CHAPITRE SIX .1

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La nouvelle avait circulé en seulement quelques instants dans l'ensemble du campement. Il était toujours étonnant de voir comment une information réservée, à défaut d'être secrète, était connue dans son ensemble en un rien de temps.

Le légat avait eu quelques soucis d'autorité. La cavalerie d'ordinaire si disciplinée, comparée à l'infanterie, s'était montrée sous un jour que Tranit n'imaginait pas.

Tous ces jeunes fils de bonne famille exigeaient un retour immédiat, en pleine nuit, en dépit du bon sens, pour solliciter un poste dans la cavalerie du jeune seigneur de Lannemezan. Tout le monde l'avait exigé au nom de leur nom ! Que désirer d'autre que d'être connu, de voir son nom cité dans un chant ?

Tranit devinait là un défaut majeur de ces milices des cités libres ou inféodées à un seigneur. Ce volontariat était dépourvu de réelle profondeur. Manœuvrer, passer des nuits d'astreinte, tout cela était acceptable à moins que quelque chose de plus important ne se présente.

Après une longue nuit de libations, pendant laquelle la garde était intervenue plus d'une centaine de fois, pour empêcher des bagarres et récupérer quelques ivrognes qui avaient fini par se persuader qu'il fallait mieux rentrer au plus vite par leurs propres moyens, les préparatifs de retour avaient été laborieux.

Tranit était restée étrangement calme par rapport aux autres, mais elle avait profité de l'occasion inespérée pour arranger sa propre situation. Certes, elle ne négligeait pas l'influence que cette campagne allait avoir sur sa vie, sur son avenir, mais malgré son avidité d'écouter, d'apprendre, elle avait passé quelques heures harassantes au milieu de l'agitation générale pour effacer toutes traces de son forfait.

Pressé de toute part, le légat avait passé plusieurs heures à faire part de ses souvenirs, de ses expériences à son entourage. La jeune femme était passée plusieurs fois l'écouter, prétextant des affaires à régler pour s'absenter à plusieurs occasions. Se doutant qu'elle allait probablement tenir un rôle d'importance auprès de son supérieur, Tranit s'était forcée à en entendre le plus possible, tout en allant plusieurs fois creuser le sol de sa propre tente pour y enterrer le cadavre.

Comme quelques autres chevaliers avaient ajouté leurs propres souvenirs, profitant ainsi d'une attention supplémentaire de la part de leurs cadets et appréciant les libations offertes, Tranit avait même offert la plus grande partie de sa queue d'erkis pour les inciter à plus de détails, de précisions.

Elle n'avait gardé pour elle que quelques bouchées, délicieusement préparées, il est vrai, mais dont le goût s'était vite effacé devant l'épuisement, l'afflux d'information et toutes les cogitations auxquelles elle s'était livrée pendant qu'elle pelletait le sol.

Creuser d'une coudée de profondeur pour y dissimuler un corps aussi volumineux n'était pas faisable. Il fallait presque le double et donc il était nécessaire de dissimuler un volume de terre bien plus important.

Que personne ne se soit permis de venir la chercher lorsqu'elle était présente alors que tant d'hommes faisaient du grabuge tenait du petit miracle. Mais Tranit disposait de sous-officiers expérimentés sachant très bien régler ces situations.

Il avait suffi à la jeune femme de se montrer aux moments stratégiques pour que tous se fassent à l'idée qu'elle était présente, attentive et quelque peu fouineuse pour qu'il ne vienne à personne l'idée de la chercher sous sa tente !

Tranit avait terminé sa tâche en remplissant de sacs de jute le surplus de terre, sac qu'elle avait ensuite fait vider par la garde comme s'il s'agissait de simples fixes poteaux pour sa tente, alors qu'en fait ce modèle n'en avait pas besoin.

Mais dans les brumes de la quatrième veille, avec des relents d'alcool, de fatigue et l'envie pressante de retourner chez eux, personne n'avait relevé la moindre anomalie.

Tranit avait peaufiné la situation en allant perdre près de la rive un gant et l'escarcelle vide de son agresseur. Elle en avait profité pour se débarbouiller à l'eau froide et lancer une petite incantation au cours d'eau.

Elle n'était pas une lavandière de la nuit venue jeter l'âme d'un guerrier dans les flots. Elle prit le temps de se revoir écrasée par la brute, revécut le moment où elle s'était emparée de sa dague pour lui percer le flanc avant de pouvoir l'égorger.

Elle n'était coupable de rien et pour bien l'affirmer cracha trois fois par terre en maudissant son nom. Cela la rasséréna et Tranit retourna près d'un feu de camp pour partager boissons et rations avec les gardes.

Le matin, après une trop courte nuit pour la plupart des hommes comme des officiers, les trois transports s'étaient bien présentés à l'heure convenue, mais ils étaient lourdement chargés et avait déjà embarqué des voyageurs, de jeunes cavaliers sortis d'on ne sait où, qui avaient répondu à l'appel et se dirigeaient vers Maubourguet dans l'espoir d'obtenir un engagement qui leur donnerait enfin une situation.

Tout le monde ne pourrait embarquer. Devant les protestations des cavaliers, le légat s'était arrangé pour répartir ses compagnies et sa cavalerie de façon différente afin d'en satisfaire le plus grand nombre.

Bornarou s'était fait remarquer en hurlant des malédictions parce qu'un de ses serviteurs avait disparu. Encore ivre, il n'avait pu fournir d'explications plus compréhensibles et des affaires retrouvées au bord de l'eau laissaient craindre le pire.

Il avait directement accusé Tranit, à l'étonnement de tout le monde, mais tant d'officiers et d'hommes l'ayant vu la nuit précédente, le fils de marchand devenu chevalier par la grâce de l'or de son père avait vite perdu le peu de considération qu'il conservait. Tranit s'était juste montrée assez en colère et prête à demander réparation sur le champ pour que le légat intervienne directement.

Il avait réuni ses commandants d'unités et leurs adjoints et après un petit sermon sur leur inconduite, avait distribué ses ordres avec minutie pour que leur retour ne s'apparente pas à une course d'imbéciles, comme ces ivrognes jetés au trou pour y cuver leur nuit et souhaitant tous échapper aux quolibets de leurs amis ou de leurs familles lorsque les portes des cellules s'ouvraient.

Les ordres avaient été écrits sur des plaquettes d'argile scellées. Tranit, pleinement satisfaite de la situation malgré l'épuisement, avait fait de même. Son maître de camp, l'ancien impérial, avait accepté de rentrer avec les pressés pour procéder au débandage des unités de réserves et prendre temporairement la tête de la milice. Elle en avait profité pour toucher deux mots de la situation de la jeune artilleuse à une lieutenante de sa milice.

Il allait y avoir forcément une augmentation de l'activité d'ici peu, lorsque les premières troupes s'installeraient et chercheraient à se divertir. Le légat avait décidé de rentrer par voie terrestre, avec les chariots et les dorkis capturés. Tranit avait décidé de le suivre et laissé le choix à ses officiers.

Elle avait été étonnée de se voir suivie par près de la moitié de ses troupes et une bonne partie de la cavalerie que le légat lui avait attribuée. Les trois transports avaient repris leur route, profitant d'un petit vent d'ouest les conduisant plus vite à destination.

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Vixii

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant