CHAPITRE DIX-NEUF .1

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17 germinal, en journée

Adacie prit la route menant à la maison forte qui faisait face aux pâturages que Tranit avait visités deux jours plus tôt pour les Montagnards, mais elle ne reconnaissait presque plus le chemin.

Tout avait été dégagé, arasé, signalé. Le chemin semblait en meilleur état que la route principale d'Outre-berge. Des excroissances du roncier avaient été coupées et proprement empilées sur les côtés des voies.

Mais Adacie bifurqua avant d'atteindre la maison forte et Tranit vit que les Montagnards avaient directement créé un accès supplémentaire aux rives de l'Estirac avant qu'il ne se jette dans l'Adour.

— Vous avez des araseurs avec vous ? s'exclama la jeune femme, vraiment étonnée.

Ces gros quartz bourrés d'énergie servaient à brûler terre et roches pour en faire des murs, pour creuser des passages. Il était horriblement cher de faire appel à eux.

La somme pour créer les deux remparts d'Outre-berge avait été phénoménale et plusieurs fois l'achat avait été reporté tellement les marchands rechignaient à une telle dépense. Mais Adacie confirma d'un léger signe de tête.

— Sa seigneurie en dispose d'un pour son armée. C'est tellement plus pratique.

— Mais c'est horriblement cher ! Même Maubourguet n'en a pas !

— Mais Erwan si ! expliqua-t-elle avec le sourire. Commandant, ajouta-t-elle, Maubourguet est une grande cité libre, certes, mais pas beaucoup plus grande que nos cités à nous. Nos Pyrénées sont trop vastes pour que je connaisse tout, mais j'ai déjà visité plus d'une dizaine de villes aussi grandes ou même plus que Maubourguet.

Simplement, j'ai appris que la plupart de nos échanges se font vers l'ouest, vers le Banca. Ça doit être pour cela que vous, les gens des contreforts, vous n'imaginez pas que nous soyons aussi nombreux ou puissants. Vous verrez commandant.

Avant que Tranit ne réponde, elles débouchèrent sur la rive, elle aussi arasée, où un immense catamaran de transport était volontairement échoué, laissant assez de place pour un autre transport d'emprunter le cours d'eau. Une vingtaine de chariots attendait d'être remplis de ballots de marchandises sous la protection de plusieurs dizaines d'hommes en armes, arbalétriers, piquiers et même des hallebardiers.

Tranit en resta muette. Il y avait un sens de l'organisation qui la dépassait. Jamais elle n'avait vu un déchargement aussi bien organisé, même par la guilde des débardeurs. D'immenses bâches avaient été tendues au-dessus des deux flotteurs et même du caisson central.

Tranit devinait des balistes ou des lances-flammèches pointés vers le ciel. Avec une telle activité et autant de gens dans un espace découvert, l'attaque d'un rapace était à craindre. Les gens ici ne prenaient aucun risque inutile.

Adacie lui fit laisser sa monture à un poste de garde et expliqua.

— Ici, vous allez percevoir tout le matériel et l'habillement que les officiers d'Erwan se doivent de recevoir. Vous pourrez aussi en acheter en plus, tant qu'il y en a de disponibles.

Il y aura même des choses dont vous ignorez tout ! Mais c'est aussi ma responsabilité de vous l'expliquer. Sa seigneurie jugera la qualité de mon travail à l'aune de vos progrès.

— Il y a tellement de choses à apprendre ? s'inquiéta quelque peu Tranit.

— Ce n'est pas la quantité commandant, c'est le temps qui m'inquiète le plus. Moi, cela fait deux années pleines que je suis dans l'armée et avant j'avais eu trois autres années de préparation. Vous, vous n'avez qu'un mois ou quatre décades au plus !

— C'est rassurant, ironisa la jeune femme. Alors pressons-nous !

Elles empruntèrent une longue rampe conduisant à la plateforme centrale du navire, un gros transport identique à celui qu'elle avait pris pour revenir de manœuvres.

Elle vit que des deux flotteurs, une cohorte de marins déchargeait des marchandises en quantité astronomique. Il y avait de quoi équiper une armée avec un navire de cette taille !

Arrivées en haut, Adacie remis son quartz et celui de Tranit à un lieutenant qui semblait avoir la charge des opérations. De nombreux hommes ne portaient pas d'uniforme ce qui étonna Tranit avant qu'Adacie ne se penche vers elle.

— Ce bâtiment est un navire fédéré, c'est ainsi que Sa Seigneurie appelle les seigneurs ayant passé des accords avec lui, mais sans faire vœux de vassalité. Ce navire est fédéré au prince Awel.

— Tu le connais ? s'étonna Tranit.

— Pas du tout, lui répondit la jeune fille en lui montrant des signes peints sous le nom du navire à moitié caché par une bâche, mais c'est écrit ici. Ce dessin en partie masqué c'est certainement celui de la montagne aux Trois bleus, c'est le signe du prince Awèl Exalar.

Tranit leva les yeux au ciel devant l'évidence de la réponse d'Adacie puis elle se retrouva avec un sac à dos vide qu'une soldate lui fixa sur les épaules et deux grandes gibecières d'une toile fort solide. Tout était dans ces tons verts que les Montagnards semblaient affectionner.

Elles descendirent dans l'immense cale de la plateforme et suivirent un chemin tracé entre ce qui semblait être de minuscules échoppes où Tranit recevait son dû. Adacie avait reçu une longue feuille de papier sur laquelle elle vérifiait que tout lui était correctement remis.

En suivant ses conseils, Tranit paya de sa poche des tenues supplémentaires, des sous-vêtements, un nécessaire de toilette complétant le réglementaire.

Ses sacs s'alourdissaient au fur et à mesure de l'avancement le long du chemin. Mais toutes ces petites échoppes semblaient regorger de matériel. Tranit aurait aimé s'arrêter devant la coutellerie où tant de lames différentes étaient disponibles. Tranit resta jubjugée devant une échoppe proposant des accéssoires pour harpon ou hallebarde, Elle y aurait passé des heures. Mais Adacie l'incitait à poursuivre son chemin, lui portant une de ses gibecières pour lui faciliter la tâche.

Elles arrivèrent finalement devant une dernière table sur laquelle des monceaux de quartz, de papiers, d'outillages assez bizarres étaient empilés. Un sous-officier fourrier vérifia la feuille que lui tendit Adacie, document qu'il examina longuement puis piocha comme à regret dans plusieurs piles sans dire un mot.

Adacie s'approcha de Tranit.

— Là, ce sont des affaires uniquement réservées aux officiers d'active, ceux qui sont dans une unité combattante.

— Comme nous ?

— Oui. Sa seigneurie vous a choisi personnellement pour ce travail, mais nos maîtres fourriers ont toujours autant de difficultés à se défaire de leurs réserves, comme s'il leur en coûtait personnellement. Ne soyez pas surprise, je vois ces visages depuis mon incorpo.

Devant le regard étonné de Tranit, Adacie haussa les épaules et fit comme si elle effaçait ce qu'elle venait de dire.

— Depuis mon arrivée chez Erwan.

Adacie discuta avec le fourrier et s'acheta quelques affaires supplémentaires, signalant à Tranit ce qu'elle devrait elle aussi prendre en plus. La jeune femme suivait ses recommandations et payait le prix demandé. C'était parfois assez cher, mais Adacie l'assurait que cela en valait la peine.

Lorsqu'elles ressortirent de la cale pour se retrouver à l'air libre sur la plateforme centrale, Tranit vit que le soleil avait bien entamé sa route dans le ciel, signe qu'elle avait passé dans cet entrepôt flottant beaucoup plus de temps qu'elle ne se l'était imaginé.

La jeune femme vit aussi qu'une importante colonne de cavaliers, entouré par des chasseurs et quelques carabiniers venaient pour s'équiper.

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Vixii

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant