CHAPITRE DIX-SEPT .1

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17 germinal, à l'aube.

En faisant le moins de bruit possible, Tranit descendit au rez-de-chaussée du pavillon pour se confectionner une petite collation matinale et vérifier son cou. Elle déglutissait avec une certaine gêne et voulait s'assurer que le problème de la veille n'était pas aussi grave qu'elle le craignait.

Elle ne savait pas exactement quelle heure il était, car occupée à lire attentivement le long message de sa sœur, elle n'avait pas entendu clairement la trompe de la milice. Était-ce la dernière veille ou la première heure du matin ? Impossible à dire à cette époque de l'année.

Tranit n'avait pas dormi longtemps, mais se sentait malgré tout reposée. Elle avait presque dû obliger la jeune Adacie à s'endormir, celle-ci voulant s'assurer que Tranit se sentait bien et ne voulait rien apprendre d'autre.

Étrange gamine qui cherchait à lui plaire à tout prix. Tranit s'était couchée pour la forcer à faire de même. Maintenant, elle dormait à poings fermés, agrippée à sa massue et marmonnant parfois des paroles incompréhensibles.

Tranit vérifia sa gorge dans un miroir de la salle de bain et grimaça en découvrant les traces laissées par son agresseur, Elle comprenait son problème de déglutition, Encore quelques secondes et il lui aurait sans doute écrasé la trachée. Non seulement elle allait devoir se faire examiner au plus vite, mais elle allait aussi devoir faire attention à sa tenue pour masquer les marques, Elle se gargarisa avec de l'eau tiède, puis s'offrit une première tasse de lait de noisette avec de fines tranches de pain recouvertes de gelée de fruits. Pour ne pas se gâter l'humeur, elle repensa aux phrases de sa sœur et sa joie d'être enfin mariée.

Dans sa longue missive, elle ne faisait qu'aborder le conflit entre le vénérable de Maubourguet et leur père.

Il était à prévoir que celui-ci partirait bientôt ailleurs. Quel dommage pour Outre-berge, mais Tranit savait bien que le bourg allait radicalement changer. Elle aussi allait partir et n'y reviendrait sans doute pas avant longtemps.

Un léger bruit lui fit tourner la tête tout en portant la main à sa dague. Adacie apparut, seulement vêtue de ces sous-vêtements noirs, comme elle les appelait, que Tranit trouvait, il est vrai, très confortables.

Mais elle, elle avait gardé l'aube de laine sur elle. Adacie posa l'étui de sa massue.

— Mes respects, commandant. Un problème ?

— Aucun, lieutenant. Viens t'asseoir et manger si tu n'as plus sommeil.

— Non, ça ira commandant, merci.

La jeune fille s'installa devant elle et se prépara à boire et à manger. Tranit rangea son quartz et termina ses tartines. Adacie engloutissait une tartine qu'elle faisait passer avec une grande tasse de lait bien chaud, se pressant comme si quelqu'un allait lui dérober sa part.

— Mange plus lentement ! s'amusa Tranit. C'est mauvais de manger trop vite. Tes parents ne te l'ont jamais dit ?

— Non, commandant, nous n'avions jamais assez à manger. Le moins rapide se faisait voler par les autres, répondit Adacie sur un ton neutre, mais haussant les épaules.

Tranit se sentit mal à l'aise, et s'en excusa. Adacie fit comme si de rien n'était.

— Sa seigneurie nous l'a dit plusieurs fois, mais le matin c'est plus fort que moi, j'avale tout ce que je peux !

— Alors apprends-moi autre chose ! Tu n'auras pas le temps de manger.

Cela fit rire la jeune fille qui reposa une tartine à peine entamée et se limita à une gorgée raisonnable.

— Vous avez raison. Aujourd'hui, je vais vous faire devenir l'une d'entre nous en vous trouvant un paquetage réglementaire. J'ai un uniforme en rabe qui devrait vous aller.

— En quoi ?

— En rabe, commandant, c'est une expression de notre seigneur pour dire qu'il en a plus que nécessaire. Ne demandez pas d'où ça vient, j'en sais rien.

— Et tu avais raison pour les sous-vêtements, c'est confortable et pratique.

— Alors maintenant, je devrais peut-être vous parler des armes... Vous avez appris plusieurs choses très importantes, commandant, mais moins spectaculaires que ça.

Savez-vous utiliser une hallebarde ou un harpon ?

Tranit se désigna en faisant la grimace.

— Avec mon gabarit, c'est impossible. Je n'ai pas assez de force pour l'actionner. Bien qu'hier soir, j'aurais bien aimé en avoir une à portée de main !

Adacie sourit à l'allusion mais comprit en regardant Tranit, qu'il n'était pas encore temps d'en parler, Elle sourit et avala une nouvelle gorgée de lait avant de poursuivre.

— Mais vous avez déjà essayé ? Vous savez comment ça marche ?

— Oui, bien entendu. J'ai déjà tiré une fois, mais on me l'avait armée. Un puissant levier comprime un ressort à l'intérieur du fût et lorsqu'il est libéré, il projette une pointe.

C'est l'arme préférée des chevaliers, de la cavalerie lourde et ça doit être extrêmement effrayant à affronter. Notre infanterie n'en a pas ici, c'est vraiment trop cher. Alors harpon ou hallebarde, je ne peux pas.

Adacie confirma d'un signe de tête.

— Chez nous aussi. Les moins chères sont à trois doubles-soleils si je me souviens bien.

— C'est le même prix à Outre-berge. Je me suis renseignée lors de la dernière foire. Et alors ? Où veux-tu en venir ?

Adacie avait posé sa massue sur ses genoux, sous la table et la manipulait tout en regardant Tranit.

— Sa seigneurie Erwan, encore cette brève lueur dans les yeux et l'esquisse d'un sourire d'aise, nous a expliqué qu'il fallait bien comprendre que la puissance du trait venait de la force de compression du ressort et donc de la qualité de celui-ci.

— C'est évident, confirma Tranit. C'est le même problème que pour une arbalète, un arc ou même une baliste. Je ne vois pas où tu veux en venir.

— Erwan a dit qu'il fallait trouver un autre moyen de propulser le trait, un moyen plus facile.

Tranit chercha un instant, mais ne voyait pas à quoi Adacie faisait allusion.

— J'ai assez souvent utilisé mon arbalète et examiné les cordes ou les branches pour savoir que c'est impossible. Si je me fabriquais une hallebarde avec un système d'armement plus souple, je ne suis même pas sûre que mon ressort aurait assez de force pour propulser le trait à plus de cinq ou six pas. Ce qui n'aurait aucune utilité.

— Je confirme, commandant, aucune utilité. Mais si votre carreau était plus léger ? Plus court ?

— Mon fût serait évidemment plus court, mon ressort aussi, mais je perdrais en puissance.

Adacie déposa six petits tubes devant elle, approximativement de la taille d'un pouce. Ils semblaient être en pierre, l'extrémité légèrement bombée avait la couleur du plomb et le cul en laiton. Elle les montra à Tranit, hésitante.

— Ce que je veux vous apprendre commandant est très délicat. Si je vous le montre directement, vous n'écouterez plus ce que j'aurai d'autre à dire. Je l'ai déjà vu. Je vais donc essayer de vous le dire exactement comme Notre Seigneur me l'a dit voici trois ans, lorsque j'ai intégré son armée.

Le regard d'Adacie se perdit un instant dans le vague, elle souriait et Tranit sentit un brin d'impatience la titiller. La jeune fille poursuivit.

— Sa Seigneurie nous a expliqué qu'il fallait remplacer le système du ressort par autre chose de plus maniable. Il a utilisé des mots que je ne connaissais pas, certains que j'ai même oublié, mais il a réalisé ceci, expliqua-t-elle en montrant les tubes, c'est une cartouche. C'est un trait avec son système de propulsion. Pas de ressort. Regardez, commandant.

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Vixii

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant