CHAPITRE DOUZE .1

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Des portes de la ville, un flot continu de circulation entrait et sortait. Des marchandises en tout genre, pour la ville, pour les troupes et surtout des hommes d'armes, volontaires, aventuriers ou conscrits sous une quelconque bannière.

Tranit comprenait que la milice soit sur les dents. Les entrées étaient surveillées, du moins en esprit, car les miliciens vraiment n'étaient pas assez nombreux pour réguler efficacement le courant des entrants et des sortants.

Les chevaliers pouvaient conserver leurs armes, épées, dagues, haches pour certains, mais pas les simples hommes d'armes, qui en dehors d'un couteau, devaient laisser leur équipement aux portes des villes.

Les paysans des alentours, qui pensaient faire de belles affaires, venaient vendre leurs produits et Tranit en entendit protester lorsqu'ils apprenaient que la ville avait augmenté ses taxes passant du douzième au dizième de la valeur nominale.

Heureusement pour elle, une poterne flanquant la porte de la ville était réservée au service de la milice et elle put entrer bien plus rapidement sans se faire remarquer. De toute façon, de l'autre côté du rempart, c'était aussi encombré, les nouveaux venus ne sachant pas vraiment où aller. Quelques gardes tentaient bien d'indiquer les directions principales, mais personne ne les entendait.

Tranit vit un grand nombre de cavaliers montagnards qui tentaient de sortir en gardant avec difficulté leur cohésion. Elle reconnut, presque malgré elle, les différences entre les chasseurs, leurs uniformes verts étaient recouverts de quelques pièces d'armure de cuir brun et plusieurs carabiniers mêlés à eux, identifiables à leurs larges plastrons de cuir noir.

Les cavaliers observaient avec attention tous les autres militaires qu'ils apercevaient et leurs officiers semblaient converser avec les miliciens débordés. Tranit aperçut des visages se tournant dans sa direction, des signes désignant certains cavaliers, s'imagina même que certains gestes s'adressaient à elle, mais elle se garda bien d'y répondre, dirigeant sa monture dans la cohue.

Elle resta bien calme le temps de traverser la place semi-circulaire et de rejoindre le décumanus, la grande avenue est-ouest. Les fondateurs de Maubourguet, comme pour de nombreuses cités libres pyrénéennes, avaient été influencés par les Latins et les croyances locales liées au cycle solaire avaient favorisé ce système.

La jeune femme savait qu'à la réunion avec l'avenue diagonale bien encombrée aujourd'hui, elle pourrait s'engouffrer dans une petite ruelle bien plus calme, que seuls les habitués connaissaient et utilisaient.

Tranit y parvint enfin et s'y engagea au petit trot. Cette rue la conduirait directement sur l'arrière de la taverne en bordure du forum. Pourtant, même là, il y avait plus de circulation que d'habitude, des résidents, reconnaissables à leurs habits et des tas de jarres, d'amphores étaient empilés contre les murs des boutiques qui donnaient dans la grande avenue.

Lorsqu'après une lieue de trot, Tranit s'approcha enfin du centre de la cité, elle s'aperçut qu'elle était bien plus que pleine. L'étable remplie de dorkis, la courette arrière transformée en bivouac pour des serviteurs, des monceaux de vivres et des bagages obstruant le passage.

Ce n'était pas aujourd'hui qu'elle profiterait d'une bière fraîche en écoutant un élève barde chanter quelques polissonneries ou se moquer des édiles.

Tranit s'arrangea avec un garçon de la taverne qui, bien que débordé et assailli de clients de toutes parts, la reconnut et s'arrangea pour qu'on lui garde sa monture. Tranit mit pied à terre en grimaçant, les courbatures se faisaient un peu trop sentir et profita d'un étroit passage entre deux bâtiments pour rejoindre le grand forum dallé.

La jeune femme aperçut un grand cortège à l'arrêt et à la vue du blason comprit l'excitation ambiante. Le jeune seigneur de Lannemezan était là, au Capitole, à tenir sa cour. Les gens observaient sa garde d'honneur rutilante, les enfants même se régalaient du spectacle, tandis que des cavaliers errants se renseignaient auprès des gardes sur des possibilités d'engagement.

Tranit n'avait jamais réalisé à quel point l'image de l'empire, à travers des seigneurs régionaux comme Lannemezan, était forte parmi la population. Elle se fraya un chemin dans la foule qui ignorait superbement sa présence, bien qu'elle soit en uniforme, il n'y avait que ça ici, tous plus resplendissants les uns que les autres.

Tout autour du cortège, d'autres petites troupes attendaient, les escortes de jeunes seigneurs vassaux. Tranit vit en face une troupe de ces carabiniers montagnards avec le blason du prince Etxalar. Il en avait ajouté un autre assez bizarre, ces trois bandes des trois différents tons de bleu, déjà vues sur les flancs du transport. Le blason était aussi grand que ceux du Banca et du Goizueta.

Tranit reconnut la lieutenante Ilane qu'elle avait conduite aux pâturages et son irritation se manifesta par un accès de colère. La jeune officière sembla la reconnaître et la désigner à quelqu'un d'autre, mais Tranit en avait vraiment assez de ces gens. Leur présence commençait par lui sortir par les yeux. Pas question de leur resservir de guide ou quoi que ce soit d'autre ! Elle en avait soupé de leur suffisance. Elle profita du passage d'une garde composée d'hommes de forte taille pour se dissimuler et enfin rejoindre les bâtiments du Capitole.

Malgré le cordon de garde, c'était aussi encombré à l'intérieur. Une foule de courtisans, d'estafettes et de soldats de différentes unités encombraient l'entrée du bâtiment principal. Le conseil semblait se dérouler dans la grande salle de réception, sans doute en l'honneur du prince.

Tranit chercha des yeux un assistant du vénérable, eux savaient toujours tout. Elle se frayait discrètement un chemin parmi la foule et tomba finalement sur Tanel qui semblait aussi perdu qu'elle. Tranit voulut le plaisanter, mais le jeune homme baissa les yeux et lui murmura à l'oreille en lui tenant le coude et en l'attirant à l'écart.

— Tranit ! As-tu vu le baron ?

— Je viens d'arriver, lui répondit-elle d'une voix légèrement agacée. Que se passe-t-il ?

— Des ennuis, soupira-t-il. Il allait aux commodités voici quelques instants, va vite voir s'il y est encore.

Il y avait comme un soupçon de sanglot dans la voix du jeune homme et Tranit un instant pensa à une mauvaise nouvelle. Son père ? Lui serait-il arrivé quelque chose ?

Le jeune homme refusait de croiser son regard et semblait avoir envie de s'en aller. Tranit n'insista pas.

Elle força son chemin vers la cour intérieure et bifurqua juste après un escalier de service. Un cabinet de commodité s'y trouvait.

La porte était gardée par un fils bâtard du baron, le visage ne trompait pas, mais la jeune femme ignorait son nom. Celui-ci se mit pourtant au garde-à-vous, un peu nonchalamment il est vrai, en voyant la jeune femme.

— Le baron est encore là ? lui demanda-t-elle d'un ton qui se voulait enjoué.

— Oui commandant.

Sa voix montrait son ennui. Son regard fuyait un peu.

— De mauvaises nouvelles de mon père ?

— Non, commandant, c'est autre chose. Je n'en sais pas plus, fit-il en haussant les épaules.

Le légat et le baron ont discuté un peu avant le début du conseil restreint. Ensuite, il a fait passer le message à certains d'entre nous qu'il voulait vous parler au plus vite.

Le cœur de Tranit s'emballa. Cela aurait-il quelque chose à voir avec ce qui s'était passé après le retour de chasse ?  

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Vixii

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant