CHAPITRE VINGT-SIX .2

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Elle retourna prendre ses pièces d'armure qu'elle coinça comme elle le put sur sa selle et monta à son tour. Elle put apercevoir un petit navire qui remontait, à son grand étonnement, le courant à vive allure.

Elles revinrent à la ferme et y trouvèrent Erwan et ses cavaliers traînant un ensemble hétéroclite d'affaires, de sacs, de coffres. Un quatrième homme gisait inconscient sur un second traineau attaché à la croupe du dorkis d'Erwan.

Le seigneur montagnard avait posé le pied à terre et examinait les morts qui avaient tous été dénudés. Cydrac lui racontait le déroulement de l'opération. Erwan leva la tête vers Tranit et lui adressa un léger signe de tête, reconnaissant la valeur de son action.

La jeune femme mit pied à terre et, d'un geste qui lui sembla tout naturel, le salua comme Adacie le faisait en portant sa main à sa tempe.

Erwan lui rendit son salut avec plaisir puis s'approcha d'Adacie.

– Comment va ta plaie ?

– C'est clair et net mon seigneur. Le caporal m'a nettoyé la blessure. La tête de flèche est complète, il ne devrait pas y avoir de complications.

– Tu embarques sur le patrouilleur, ils ont un vrai toubib. Il regardera ça et s'il le décide, tu iras à l'hosto.

Adacie eut l'air d'une petite fille punie.

– Mon seigneur, je vous en prie. Mon commandant a encore tellement de choses à faire et à apprendre. Sans moi...

Erwan la coupa en lui posant la main sur la cuisse, recouvrant sa blessure mais sans appuyer dessus.

– Toujours aussi têtue, hein ? Tu vas d'abord te faire soigner et après, si et seulement si le druide est confiant, tu reprendras un service léger auprès de Tranit, d'accord ?

Le visage de la jeune fille s'adoucit.

– Oui mon seigneur.

– Voilà !Tu vas aussi avoir six enseignes à ta disposition pour gérer les com du bataillon, tu pourras les utiliser pour t'aider pendant quelques décades.

– À vos ordres mon seigneur.

Erwan lui serra le genou affectueusement.

– Maintenant tu vas monter à bord de ce navire et tu montres ta blessure. Je veux entendre le liaig avant le départ. Je m'occupe de Tranit. Et puis ça te donnera du temps pour chercher ton couplet, si tu veux t'y mettre !

Adacie rit aux paroles d'Erwan et ses yeux s'illuminèrent lorsqu'elle posa son regard sur Tranit.

– Je n'y manquerai pas mon seigneur.

Adacie le salua avec dévotion avant de faire tourner sa monture et rejoindre la berge où le petit patrouilleur accostait. Erwan montra le logis en ruine et fit signe à Tranit de l'y suivre. Ils s'assirent sur un reste de muret.

– J'ai besoin de m'asseoir, j'ai mal au cul de cavaler en permanence. Qu'est-ce que tu faisais à Maubourguet de si bon matin ?

– J'espérais avoir une matinée tranquille pour équiper mon chariot.

Erwan s'esclaffa.

– Elle est bien bonne celle-là, une matinée tranquille. Tu sais que tu viens de nous faire gagner la guerre avant même qu'elle ait commencé ?

Les yeux de Tranit s'écarquillèrent et Erwan la regarda en ricanant. Il se massa les tempes en grimaçant et en maugréant.

-Putain de mal de tête ! Il s'empara d'une courte pipe de bruyère qu'il alluma avec un étrange instrument et rejeta la première bouffée avec une grimace.

– Je t'explique Tranit, parce que j'aurais déjà dû t'expliquer plusieurs choses par moi-même, mais les circonstances étaient contre nous.

Tranit haussa les épaules, que pouvait-on contre les circonstances ?

– Tu sais pourquoi Saert veut partir en guerre. Tu connais son plan, Erwan affichait un air sarcastique, et sa certitude de réussir ? Sais-tu comment est cette fameuse forteresse imprenable ?

Tranit fit non de la tête. Elle en avait entendu parler dans des chansons, quelques récits, mais c'était tout. Erwan poursuivit.

– C'est exactement la même chose pour Saert et ses officiers. Deux seulement sont déjà montés jusqu'au Mas d'Azil. Je leur ai demandé de me décrire l'endroit et j'ai eu droit à deux histoires différentes.

Personne n'est en mesure de détailler l'endroit. Comment sont les forteresses, leurs équipements, les troupes, la configuration du terrain.

Autant le dire franchement, si Saert parvient à monter son armée en haut dans les temps, ce qui sera déjà un bel exploit, elle sera massacrée, entièrement anéantie en quelques combats.

Tranit sentit un frisson glacé la parcourir. Il ne lui semblait pas habituel qu'un seigneur parle aussi négativement du plan d'un suzerain.

– Mais alors, seigneur, pourquoi projeter une telle opération si c'est tellement insensé ?

– Excellente question Tranit, nous y répondrons assez facilement par la suite. Tu as vu qu'il y avait des fauconniers qui se sont joints à nous ?

– Oui, de Miélan.

– J'ai approché trois d'entre eux et proposé une fortune pour que l'un d'eux m'emmène dans les montagnes jusqu'au Mas d'Azil, pour voir comment c'était.

J'ai offert une somme telle qu'un seigneur d'une ville comme Maubourguet doublerait sa fortune... et personne n'a accepté d'être un vulgaire coche volant, voilà les mots utilisés.

Ces fauconniers sont d'une arrogance qui frise la stupidité. J'étais furieux, ce qui explique pourquoi j'ai agi ainsi avec l'arbre la nuit dernière. Je voulais les emmerder, ces idiots.

Je suis ainsi, quand on se moque de moi, je ne supporte pas.

Leurs saloperies de corvettes volantes sont tirées par des faucons utilisés comme de vulgaires bêtes de somme lorsqu'il n'y a pas de vent, mais c'est mieux que de transporter un seigneur bâtard. J'ai une envie de flinguer ces crétins !

Tranit ne connaissait pas ce mot, mais devinait qu'il ne représentait rien de bon pour les personnes visées. Puis, elle eut une impression et demanda en souriant.

– Il y avait un truc pour l'arbre ?

– Évidemment qu'il y a un truc ! affirma Erwan en clignant malicieusement de l'œil. Mais ce n'est pas de la magie ! Je suis vraiment capable de faire abattre un arbre par la foudre quand je le veux. Il faut savoir comment faire. C'est de la science.

Mais revenons à notre histoire de piaf, pardon, c'est un mot d'argot de ma langue maternelle pour désigner un oiseau.

Erwan eut un geste lui disant de ne pas s'en faire et poursuivit.

– Grâce à Benwan, oui oui, dit-il d'un air amusé, ce même Benwan qui passe plus de temps avec les filles qu'à l'entraînement, donc par lui j'ai appris qu'un fils d'une famille de fauconnier déchu allait venir répondre à l'appel.

L'empire leur a interdit de continuer l'élevage de faucon ou d'autres rapaces de guerre, mais depuis des dizaines de générations, ils utilisent des goélands, ces oiseaux marins que vous appelez mouette. Un goéland est juste une grande mouette.

Cela fait deux jours que je le cherchais en vain. Il est arrivé discrètement et s'est installé ici avec trois ou quatre cousins, mais ils avaient peur de se présenter à Saert.

Quelle déchéance pour d'anciens fauconniers de se présenter avec un oiseau aussi peu redoutable qu'un goéland. Hier, ce jeune homme a pris son courage à deux mains et est allé se présenter à Saert. Ni moi ni Awel n'étions là et nous ne l'avons appris que bien plus tard.

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Vixii

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant