CHAPITRE SEPT .1

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Le 14 germinal, en soirée

Lorsque Tranit se présenta au campement du prince, presque tout le monde semblait là et des tables sommaires avaient été montées en U pour accommoder les invités.

Le légat était retourné à leur campement pour changer d'habits et le prince semblait en faire de même, puisque Tranit voyait sa monture et deux chevaliers l'attendant devant un petit chariot.

L'un d'eux, l'apercevant, quitta son poste pour venir la rejoindre.

— Commandant Tranit ? Je suis le commandant du premier hallebardier de Banca. Sarix.

Un jeune seigneur, à ne pas en douter pour commander une telle unité à son âge. Il ne devait qu'avoir trois ou quatre ans de plus qu'elle. Oui, il n'avait pas plus de vingt-cinq ans, mais dans la hiérarchie militaire, il lui était supérieur.

Tranit le salua donc, c'était la moindre des politesses. Elle posa sa main droite sur son cœur avant de la poser contre la paume que l'officier lui tendit.

— Salut à toi commandant Sarix.

— Et à toi aussi Tranit. J'ai entendu votre nom plusieurs fois depuis que nous nous sommes rencontrés, dit-il en revenant à un vouvoiement plus formel. C'est vrai pour l'erkis ?

Au moins, il était direct. Il ne cherchait même pas à lui parler de son nom et allait directement à ce qui l'intéressait. Tranit s'en amusa et confirma.

— Il est un peu à l'écart des autres, très calme. Un lieutenant, Sahix, est venu l'observer.

— C'est un de mes jeunes cousins éloignés. C'est un vrai connaisseur. Vous avez déjà des offres pour lui ?

— Deux offres, mais apparemment peu satisfaisantes, si j'en crois votre cousin. Je pensais attendre le retour en ville pour le mettre aux enchères.

— Vous aurez sans doute beaucoup plus de propositions. Mais me permettrez-vous de vous en faire une ?

— Vous n'avez pas à me demander la permission commandant. Je ne pourrais jamais entretenir une telle bête, ni avec ma solde, ni avec mes activités. La femelle dorkis que j'ai capturée me sera parfaite.

— Oui et ses petits seront aussi de bon prix. Vous savez que les petits nés hors saison, s'ils survivent, font de très bonnes montures.

— Je connais cette histoire, mais nous n'avons guère l'occasion de croiser des dorkis sauvages par chez nous.

Le chevalier fit signe à Tranit de le suivre à la table du haut où le jeune prince siègerait. Il s'empara d'autorité d'une coupe qu'il remplit de bière et la tendit à Tranit.

— Buvons ! À votre bonne fortune !

Tranit n'en prit qu'une petite gorgée, mais s'étonna de trouver la boisson si peu forte. Son amertume était bien pleine, pas gâchée par une trop haute teneur en alcool.

Le chevalier lui montra le petit chariot.

— Je reviens. Restez ici, vous serez à la gauche du prince, juste à ma droite, je m'en suis assuré.

Il rejoignit son poste alors que le prince sortait du chariot. Il ne semblait pas s'être changé et continuait de donner des instructions à un officier qui notait le tout frénétiquement.

Le légat arriva auprès de Tranit. Il avait passé une nouvelle tenue et s'était fait coiffer.

— Tu as eu une offre pour ton erkis ?

— Oui légat, à l'instant par ce chevalier.

— Ils ont raison, une superbe bête. Vends-le au plus vite, c'est mon conseil.

— Je sais légat, mais...

— Le plaisir de posséder un tel animal doit probablement en valoir la peine et tu y arriverais, je le sais. Je comprends parfaitement. Mais avec cette guerre qui s'annonce, trop de choses vont changer.

Le prince va essayer de m'amadouer pour commander son infanterie. Il manque d'encadrement expérimenté si j'en crois ce que m'a dit Cydrac hier.

Tranit eut un petit pincement au cœur.

— Allez-vous accepter ?

— Je suis le légat de Maubourguet depuis quinze ans, Tranit. À moins que le conseil me dessaisisse, je ne vois pas comment je pourrais quitter mon poste.

— Le baron pourrait...

— Non, pas Sayac. Il assumera la protection de la cité pendant les opérations, mais il ne conduira plus de troupes, je le sais.

Tiens, revoilà notre hôte.

Le prince venait à leur rencontre, tout sourire.

— Venez et asseyez-vous sans façon. Mon cuisinier doit être encore en train de soudoyer Mousse pour avoir sa dernière recette, alors nous mangerons frugalement.

Le légat ou Tranit ne comprenaient absolument rien à ce qu'il disait, mais ils firent comme si de rien n'était. Tranit avait appris depuis longtemps que quand un supérieur ou un seigneur parlait de quelque chose qu'on ignorait, le mieux était de faire comme si on n'avait rien entendu.

Ils furent une vingtaine à s'asseoir autour des tables, les Montagnards intercalés entre les officiers miliciens. Quelques cavaliers servaient d'échansons et remplissaient les coupes de cette bière légère.

Le prince leva son verre pour saluer le légat devant tout le monde et quelques verres furent vidés en vœux et en hommage aux dieux.

À l'étonnement de Tranit et des gens de Maubourguet, un jeune enseigne vint jouer du luth pour accompagner le repas, tandis que des cavaliers déposaient devant chacun d'eux quelques fourmis enrobées de miel. Tranit n'avait jamais mangé à la table d'un seigneur et ne connaissait pas tous leurs us et coutumes. Sahix se pencha vers elle pour lui expliquer.

— C'est notre seigneur qui a introduit cette habitude de manger en musique.

Il avait eu le même sourire que l'enseigne, la veille.

— Le prince ?

— Non, son cousin.

Le prince, lui, discutait de manière détachée avec le légat. Tranit le regarda du coin de l'œil. Lui aussi malgré sa position élevée avait juré fidélité à un autre, même si c'était son cousin.

Toutes ces questions de suzeraineté, de vassalité n'avaient pas lieu à Maubourguet et encore moins à Outre-berge.

Tranit se retourna vers son interlocuteur qui coupait ses fourmis en deux avant de les piquer avec sa dague et de les avaler avec plaisir.

— Le fils de Jouzon ? demanda-t-elle pour confirmation. C'est ce que m'a laissé entendre un enseigne hier soir.

— Oui, de Jouzon. Son père l'a reconnu assez tard, il est bâtard, mais il est très fier de cette dénomination. Mais il est surtout seigneur d'Asasp.

Tranit ignorait complètement où se trouvait cette seigneurie et avala une nouvelle rasade de bière pour se donner une contenance, mais cela fit tiquer le légat qui s'interrompit et regarda le prince avec surprise.

— Le fils de Jouzon est seigneur d'Asasp ? Kyarix d'Asasp ?

Il y eut un instant de flottement, le prince sembla aussi étonné que le légat.

— Non ! Kyarix d'Asasp est mort ! Il a été exécuté avec son père pour trahison voici... Voici quinze mois à quelques jours près.

Le visage du légat était éloquent, il ignorait tout de cette histoire.

* * *

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Vixii

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant