CHAPITRE TROIS .1

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Le coche d'Itaïng avait poursuivi sa route vers la muraille, la caisse heurtant parfois le sol au passage d'ornières plus profondes que les autres. À vouloir économiser, l'aubergiste risquait d'abîmer sérieusement les deux quartz permettant au véhicule de flotter au-dessus de la surface. Après le marché, ils étaient passés devant de nombreuses maisons de pierres à deux ou trois niveaux dans lesquelles s'entassaient des familles de manœuvriers ou d'ouvriers.

Deux mille âmes au moins vivaient dans cette partie du bourg. Il y en avait à peine deux cents lorsque quinze ans plus tôt Itaïng était venu s'installer ici. Mais le développement de la cité libre, la guerre et l'anéantissement de Lembeye avaient contribué à l'épanouissement du bourg.

Surtout, le druide avait maintenu la tradition et refusé l'esclavage alors que Maubourguet, sous l'influence de ses relations commerciales avec les terres d'empire au nord ou les duchés de l'est, se montrait plus conciliant avec ce trafic.

On n'en vendait pas, mais les marchands étrangers pouvaient passer par son territoire sans risque de voir leur main-d'œuvre servile confisquée et aussitôt libérée, alors qu'à Outre-berge tout esclave le réclamant était délivré.

Le druide savait parfaitement que nombre d'hommes libres vivaient plus misérablement que les esclaves de certains marchands, mais il ne voulait pas se laisser tenter par cette généralisation.

Les dieux voulaient les hommes libres de les adorer, comme de choisir leur vie.

Les terrains suivants étaient encore au repos. Des lopins que les pauvres pouvaient cultiver pour améliorer leur ordinaire. Venait ensuite un magnifique bosquet d'une demi-douzaine de noisetiers entouré d'une haute palissade pour protéger cette richesse.

Maître Landre était sans doute le plus riche marchand du bourg, le second bosquet de noisetiers de l'autre côté n'étant pas encore aussi prolixe que le sien et celui du nord lui appartenant au tiers.

Mais Landre donnait toujours l'impression d'être un homme paisible, réfléchi et Itaïng, pour les quelques affaires légales les ayant rapprochés, s'était très bien entendu avec lui.


Après ce bosquet, des terrains nivelés, mais laissés en friche jusqu'au second rempart, une haute enceinte de terre compactée surmontée d'une deuxième palissade de bois.

Ce système de double enceinte se révélait très efficace contre les intrusions des prédateurs. Rien de pire qu'une fouine, une belette, ou pire, un renard surgissant en pleine nuit, détruisant des maisons, déchiquetant de pauvres paysans.

Ce second rempart, plus haut que l'enceinte extérieure permettait aux miliciens de mouvoir leurs balistes et d'abattre ces monstrueux animaux.

Cela avait coûté cher à la communauté, en temps, en travail, en or pour payer les maîtres-bâtisseurs et leurs équipes, mais la sécurité n'avait jamais été aussi efficace. Même au plus froid de cet hiver, alors que la ville avait subi presque une attaque par décade, Outre-berge n'avait tremblé qu'une seule fois.

Sa fille Tranit, alors officier de permanence, n'avait eu besoin que de ses hommes de garde pour neutraliser une monstrueuse belette, une femelle pleine. La quasi-totalité du bourg n'en avait rien su avant que la rumeur se répande au petit matin.

Les gens avaient découvert, horrifiés, le cadavre exposé sur le champ de manœuvre près de la porte sud. Le maître-tanneur de la ville s'était dépêché de réunir la somme nécessaire pour s'approprier ce magnifique trophée et les miliciens s'étaient félicités de leur bonne fortune, la prime versée en valant largement la peine.

Le coche passa la double porte de bois et traversa la bande de terrain qui servait d'herbage lorsque le temps était clément. La porte de la première muraille était ouverte toute la journée puisqu'elle donnait sur la route la plus directe conduisant à la ville.

Elle ne se fermerait qu'après la première veille et seuls les gens ayant payé l'octroi à la milice de Maubourguet pourraient entrer en pleine nuit.

Un sergent de garde les regarda passer et reconnaissant Itaïng le salua respectueusement. Le druide répondit à son salut puis regarda un attelage de marchand se présenter à l'entrée. Il reconnut le fils du nouvel aubergiste qui se dépêchait de ramener d'immenses amphores pleines de bière ou d'alcool.

L'interdiction des marchés pour les trois jours suivants signifiait que les deux auberges et les trois tavernes du bourg allaient être prises d'assaut par des consommateurs souhaitant célébrer dignement l'équinoxe.

Il était interdit de vendre des aliments destinés à être cuisinés, mais autorisé de vendre ce qui était déjà préparé, prêt à être mangé.

Le jeune Alèr fit accélérer son attelage profitant d'un chemin bien droit et bien dégagé qui conduisait jusqu'au canal, presque asséché pour l'instant, mais qui retrouverait une intense activité dès que la fin des fontes en altitude amènerait les nouvelles eaux.

Par souci d'économie, aucun marchand n'avait jamais proposé d'avancer les fonds nécessaires à la construction d'un pont permanent, aussi se contentait-on d'un ouvrage de bois dont la partie centrale se mouvait selon le niveau de l'eau, devenant en cette période un simple ponton flottant d'une douzaine de toises de long, plus bas que les arches fixées aux rives.

Cela ralentissait le trafic, surtout les jours de marché, mais la traversée était gratuite.

Le jeune garçon dirigeait sa monture efficacement, ralentissant pour que le coche ne verse pas sous la poussée de son propre poids et avec à peine quelques secousses plus fortes que les autres lorsque la caisse touchait le sol bosselé par tant de passages, le ponton fut traversé en quelques instants et l'autre rive remontée aussi facilement.

On apercevait déjà la crénelure de l'enceinte de Maubourguet, derrière une petite colline. Le druide savait parfaitement qu'une fois l'élévation franchie, le bruit de la cité l'envelopperait. Il s'en étonnait toujours.

Il avait pourtant vécu longtemps dans une grande cité du nord-ouest pendant la plus grande partie de ses longues études, passé des années à Lembeye, juste avant sa destruction, mais jamais dans ses souvenirs ces villes n'avaient été aussi bruyantes que Maubourguet.

La cité semblait montrer sa prospérité par l'intensité du bruit qu'elle produisait. Le bruit de près de cinquante mille âmes vivant, commerçant, travaillant, produisant et s'enrichissant en permanence, bien que l'enrichissement, il fallait l'avouer, ne concernait qu'une bien trop petite partie de la population.

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Vixii

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant