CHAPITRE NEUF .1

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Ils quittèrent le bivouac des miliciens et se retrouvèrent là où avait eu lieu le repas de la veille. Un peu plus loin était installé un second petit chariot entouré de plusieurs hommes qui finissaient de s'habiller. Une fumée s'en échappait ainsi qu'une délicieuse odeur.

— Normalement, nous ne devrions pas l'avoir avec nous, expliqua le hallebardier, nous ne sommes pas assez nombreux ? Mais notre prince étant là, il y a exception à la règle.

Sarix écarta quelques cavaliers qui attendaient d'être servis.

— Priorité à la garde de nuit. Kyat ? C'est prêt ?

Une voix grognonne sortit du chariot bâché.

— Ça vient commandant. Le lait est déjà prêt, servez-vous !

Sarix prit deux chopes fumantes et en tendit une à Tranit.

— Tu vas voir. Le lait du matin est plus doux, plus sucré.

Tranit en eut confirmation dès la première gorgée. Quelques instants plus tard, un plateau comportant une vingtaine de beignets beige surgit de l'encoignure de la bâche. Sarix s'en réserva d'autorité quatre avec ses mains gantées.

— Pas trop chaud, comme je les aime. Il entraîna Tranit à sa suite, retourna près des tables et y posa ses beignets. Il en prit un dans lequel il croqua avidement. La pâte beige souple révéla un ragoût rougeâtre. Tranit n'avait jamais rien vu de tel.

— C'est encore une bénédiction de notre seigneur. La farine de châtaigne est allégée pour faire un beignet cuit à la vapeur. Dedans, il est fourré d'un ragoût, de la caille aujourd'hui. C'est vraiment bon et nourrissant.

— Cuit à la vapeur ? Tranit n'en avait jamais entendu parler sauf pour les légumes et les fruits, évidemment.

Hésitante, elle prit un beignet et mordit dedans. Elle n'avait pas l'habitude d'une pâte si molle, mais son association avec le ragoût en faisait quelque chose de délicieux.

Son estomac en exigea immédiatement plus et en quelques instants les deux beignets furent proprement avalés. Elle se sentit heureusement rassasiée. Sarix termina sa chope et retint un rôt.

— Je n'aurais jamais cru le dire, mais depuis que notre seigneur a réorganisé nos armées, je n'ai jamais aussi bien mangé en campagne.

— C'est vrai que c'est bien meilleur que notre brouet froid habituel du matin.

— Nous avons encore du brouet, mais là aussi, Sa Seigneurie a modifié la recette et il est bien meilleur, si nous avons quelque chose pour le chauffer. Sinon, c'est toujours aussi peu ragoûtant.

Tranit allait rajouter quelque chose lorsque le druide de la veille descendit du chariot attenant à la tente du prince et se dirigea vers eux.

— Déjà là ? dit-il de son ton bourru habituel. Plus de lumière aurait été bienvenue, mais ça ira.

Un enseigne arriva à son tour avec l'écritoire et d'autres ustensiles qu'il installa sur la table. Trois lanternes bien brillantes et un cube de cuivre contenant des lentilles de quartz. Un désamagar cubique ! C'était bien la première fois que Tranit voyait un tel engin. Pourquoi ces gens ne cessaient-ils pas de se comporter étrangement, de faire les choses différemment de ce qu'elles devaient être ? Tranit ne comprenait pas.

Le druide lui montra la chaise.

— Asseyez-vous là commandant, face à moi et bien droite.

Tranit obtempéra, bien qu'elle aurait voulu poser de nombreuses questions. Le druide plaça les lanternes un peu derrière elle et installa son instrument devant son visage, à quelques pas. Tranit avait déjà vu sa sœur procéder ainsi nombre de fois lorsqu'elle utilisait ses tubes pour imprimer, graver une plaquette de quartz pour en faire un livre.

— Vous allez imprimer mon visage ? demanda-t-elle en écarquillant les yeux, incrédule.

Le guide la regarda, étonné.

— Tu as déjà vu faire ? Donne-moi ta plaquette.

Tranit la lui tendit, peu rassurée.

— Ma sœur est une atercloch, un maître même. Mais on ne peut pas graver un objet ni même un être ! affirma-t-elle.

Le druide lui sourit.

— Si tu savais, commandant, ce que j'ai dit à notre seigneur la première fois qu'il m'a demandé de le faire ! J'ai bien fait de ne pas parier avec lui, mon âme errerait dans les enfers depuis ce jour-là.

Comme hier avec ton doigt, ça va chauffer un peu plus fort, mais très brièvement. Ne respire plus et compte jusqu'à quatre !

Tranit venait à peine d'entamer le deux qu'un éclair de chaleur la saisit, un instant si bref qu'elle se demanda si elle venait de rêver. Le druide regarda dans son engin et une seconde après en sortit la plaquette de quartz de Tranit qu'il avait glissé dedans. Il approcha une lanterne et mit la plaquette devant.

— Voilà pourquoi personne ne pourra prendre ton argent sans ton accord.

Sur la première page de la plaquette apparaissait à côté de son nom, du dessin de son pouce, son visage comme jamais elle ne l'avait vu dessiné auparavant.

Le druide bougonna.

— Bon, les tons sont un peu fades, parce qu'il est trop tôt, mais c'est bien toi. Garde-la bien.

— Oui, maître !

Tranit ne pouvait répondre autre chose, tant elle était stupéfaite. Comment réagirait Ilatrane lorsqu'elle lui montrerait ça ? Comment cette chose était-elle possible pour ces Montagnards? Elle était certaine de n'en avoir jamais entendu parler auparavant ? Ilatrane n'aurait pu lui cacher une telle information.

Encore une fois, elle aurait aimé poser des questions, mais le druide remportait déjà ses affaires et autour d'eux les gens s'activaient de plus en plus. Tranit rangea son quartz dans son étui de cuir et se releva.

Un enseigne venait en courant vers Sarix.

— Commandant ? Dicedicesète pour soixantedouzetrois. Le transport s'est remis en route.

— Excellent. Confirmez l'embarquement pour zérosètcenmax.

Le messager repartit au pas de course.

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Vixii

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant