CHAPITRE VINGT-TROIS .3

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La veille, il avait longuement discuté avec deux jeunes fauconniers préparés par Awel, deux jeunes hommes un peu moins âgés que lui mais l'écoutant de manière favorable. Avec toute la diplomatie dont il était capable, Erwan leur avait demandé si l'un d'entre eux était intéressé d'aller voir à quoi ressemblait leur objectif, la fameuse double forteresse du Mas d'Azil, les Imprenables, comme les légendes les chantaient.

À sa plus grande stupéfaction, Erwan avait été éconduit. Poliment, mais fermement. Un fils bâtard n'avait pas à s'immiscer dans la stratégie de leur suzerain. Erwan qui en cinq ans de présence dans la région avait rencontré un nombre incalculable de seigneurs plus prétentieux les uns que les autres, mais était toujours parvenu à ses fins, n'en avait pas cru ses oreilles. Et même en offrant une fortune d'un montant démentiel, il n'avait attiré que des regards dédaigneux. Comment osait-il parler d'argent alors qu'on allait obtenir la gloire ?

Il lui avait fallu un suprême effort pour ne pas dégainer son fidèle 92f et vider un chargeur de seize cartouches dans les tronches de ces misérables et jubiler à voir les balles parabellum forer des trous dans leurs carcasses.

Awel, Cydrac et les trois dragons assurant la protection d'Erwan s'étaient très vite interposés avant que leur seigneur ne commette un impair en massacrant l'élite de la noblesse présente, bien qu'à son moindre commandement, les trois soldats lui servant d'escorte y eussent participé avec joie.

Erwan but une nouvelle bouteille d'eau fraîche et comme les six heures approchaient, il alla se doucher et passer des affaires propres. Il n'avait dormi que trois petites heures cette nuit et ne pourrait plus espérer fermer l'œil avant le soir, peut-être.

Il donna des instructions pour qu'on lui serve à manger et descendit au premier niveau de son fourgon dans lequel une salle de bain lui avait été aménagée avec toutes les facilités possibles. L'eau bien chaude l'aida à dénouer les crispations qui nouaient son corps lorsque l'angoisse ou l'énervement le tenait.

Erwan se savonna longuement, se relaxa autant que possible et vingt minutes plus tard, ressortait de son chariot frais comme s'il venait de passer une agréable nuit dans son véhicule luxueusement aménagé.

Un enseigne lui tendit une note lui apprenant que Mousse, son protégé, avait dégagé deux itinéraires possibles à travers les cours d'eau pyrénéens pour transporter son armée et qu'il pensait en trouver au moins un autre d'ici le midi.

Erwan sourit en pensant à ce pauvre gamin légèrement autiste qui lui apportait une nouvelle fois la solution à ses problèmes. Commencer une journée par une bonne nouvelle, certains prendraient ça pour un bon présage. Erwan tenta d'en faire son crédo pour le moment.

Il avait faim, c'était bon signe. Il allait réfléchir à un autre moyen d'en apprendre plus sur son objectif. En moins de deux décades, peut-être que quelques chevaliers de confiance pourraient s'y rendre. Les frères et sœurs de Diérel auraient sans doute des choses à dire sur cet endroit légendaire.

Erwan se félicita de pouvoir prendre son petit-déjeuner tranquillement. L'enseigne de corvée lui apporta les beignets fourrés et surtout un grand pot de chicorée torréfiée, ce qui pouvait s'apparenter le mieux à du café.

Erwan en avait un peu soupé du lait de noisette et avait été très content d'apprendre que la racine de chicorée était connue mais peu appréciée. Le jeune homme avait fait découvrir la torréfaction et depuis lors, cette boisson était réservée à la petite élite qui finissait par l'apprécier. Mais bon, ça ne remplaçait pas un bon caoua. Il manquait tant de choses, c'était frustrant par moment.

Erwan allait se replonger dans ce qu'il voulait faire avec Awel pour tenter de manœuvrer le jeune prince Saert quand il entendit le code 28-1 hurlé par un cavalier arrivant au galop. Une urgence absolue.

Erwan s'obligea à rester calme, c'était à ses enseignes de lui apprendre ce qui arrivait et quelques instants plus tard la porte s'ouvrait, un enseigne laissant le passage à un hussard qui posait un genou à terre.

– Monseigneur ! 10-28-1 de la part d'Exalar Unité.

– Que me veut le prince Awel ?

Le cavalier reprit son souffle et tenta de se remémorer ce que lui avait dit le prince.

– Arthez Unité a fait parvenir un message au prince. Il a appris la présence en ville d'un 10-90 de l'ouest. 90-4 est le codé utilisé par son excellence.

À entendre parler d'un oiseau, Erwan s'était levé. Le 4, c'était ... Il ne s'en souvenait plus vraiment, ne l'ayant jamais utilisé mais ses yeux tombèrent sur un parchemin tendu dans un cadre près de son bureau et son regard trouva le 4. Un goéland. C'était bien ce qu'Awel et lui avaient entendu dire deux jours plus tôt, sans avoir réussi à en apprendre plus.

Erwan avait déjà ceint un lourd ceinturon de toile auquel pendait une pochette contenant son 92f d'un côté et un sabre court de l'autre. Il s'emparait d'un brelage contenant le redoutable MR 73 et ses munitions.

– 10-25 pour Cydrac ! Où est Exalar Unité ?

– AuCapitole de Maubourguet, mon seigneur. Apparemment, c'est là que se trouvait le volant.

De l'extérieur, des commandements se faisaient entendre. L'urgence était palpable. Erwan envoya le hussard souffler un peu et sortit de son chariot, alors qu'on lui apportait un de ses dorkis déjà prêts et que Cydrac arrivait à son tour avec un peloton de hussards.

– C'est vrai mon frère ? Awel a trouvé ton oiseau ?

– Benwan lui en a parlé, c'est tout ce dont je suis sûr. On file AuCapitole. Maintenant !

La petite troupe se mit au galop dès le début et quitta ce pâturage du Petit Sombrun où Erwan avait installé la plus grande partie de son état-major et de ses troupes spéciales. L'autre colline, à l'ouest était réservée pour les troupes régulières et les nouveaux venus.

Plus d'une lieue les séparaient du bourg fortifié puis encore un trois quarts de lieue pour rejoindre la cité libre. La tranquillité et la sécurité étaient à ce prix, une distance importante que certains devaient franchir deux ou trois fois par jour. Fort heureusement, ses chasseurs et ses ingénieurs avaient dès la veille balisé et remis en état les chemins principaux.

Erwan et son escorte arrivèrent sans encombre à l'Estirac et ce large mais tranquille ruisseau fut traversé grâce à un bac mis en service par ses hommes.

Vers l'est, on devinait la masse d'un lourd catamaran remontant le ruisseau pour apporter des hommes ou du matériel à l'embarcadère temporaire établit à la jonction avec le Laya.

Les cavaliers repartirent au galop profitant d'un terrain en pente légère qui ne présentait aucune difficulté. Les montures pouvaient soutenir ce rythme effréné plus d'une heure. Ils passèrent sans y jeter le moindre coup d'œil auprès de l'arbre abattu autour duquel plusieurs dizaines de personnes commençaient à s'affairer et le quart de la première heure du jour approchait lorsqu'ils entrèrent par la porte nord-est de Maubourguet.

Ils en découvrirent les encombrements habituels à cette heure. Malgré la rage qui l'habitait, Erwan fut contraint de serrer les mâchoires et de laisser ses hommes lui ouvrir le chemin le long de l'avenue. Les uns derrière les autres sans chercher à se mêler à la populace et aux groupes d'hommes d'armes, ils finirent après de longues minutes par atteindre la place du forum encore bien dégagée.

Deux carabiniers du Banca gardaient la voiture personnelle d'Awel. Les hommes se mirent au garde à vous en apercevant Erwan et lui montrèrent la coupole du bâtiment avant même qu'il ne leur posât la question.

Cydrac, deux enseignes et deux cavaliers mirent pied à terre tandis que les autres laissaient souffler leurs dorkis et les approchaient d'un abreuvoir.

Erwan ne laissa personne le devancer mais grimpa les escaliers la main sur la crosse de son arme. À peine essoufflé, il arriva au dernier étage alors que deux carabiniers en faction l'annonçaient déjà en code.

– 10-25 pour Aquitaine Unité !

Les deux hommes lui rendaient les honneurs alors qu'une lourde porte s'ouvrait.

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Vixii

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant