CHAPITRE ONZE .6

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Le hallebardier la scruta, sans animosité et esquissa un bref sourire.

— Elle finira sa punition chez nous. Elle grimpera sur un chariot avec son carcan.

Il connaissait tous les détails de l'histoire en venant du côté opposé ! Tranit apprécia et hocha la tête.

Le Montagnard la remercia en souriant un peu plus franchement.

Sarix donna ses instructions à ses adjoints et Tranit envoya deux cavaliers dégager l'avenue et prévenir la porte nord de se libérer. Sarix mit pied à terre et s'offrit une longue gorgée à sa gourde. Il était couvert de poussière.

— J'ai pas arrêté depuis hier matin, bavardant comme si de rien n'était. J'ai accompagné le prince à Maubourguet avec les chevaliers qui tenaient à prêter hommage directement au jeune seigneur. De vrais gamins !

— Combien ?

— Cinq cents chevaliers ! Et hier, notre seigneur avait déjà présenté trois cents hommes du Juzon. Le jeune seigneur Saert de Lannemezan n'en revenait pas, il ne s'attendait pas à autant d'hommes. C'est pour ça que notre seigneur s'est bien gardé de lui dire qu'il en avait bien d'autres et qu'il les a fait passer plus au nord.

Ça jalouse pas mal dans l'entourage de Saert. C'est pour ça que le prince va rester sur place pour faciliter les choses. Il est excellent pour mettre les gens en confiance et notre seigneur a entièrement confiance en lui pour s'occuper de nos intérêts.

— Tant mieux pour toi, pour vous ! Au fait, l'erkis est chez le légat, en pleine forme.

Sarix lui sourit à pleines dents, illuminant son visage couvert de poussière.

— Je sais, je suis passé le prendre ! Il arrive avec la remonte. J'ai deux femelles erkis pour le calmer et le maîtriser. T'en fais pas, ajouta-t-il souriant à pleines dents, tu auras ton argent.

Déjà, un escadron arrivait au petit galop pour baliser le chemin. On apercevait un nuage de fumée se diriger vers le bourg. Les hommes se massaient pour observer.

Voir autant de cavaliers précéder autant de montures n'était pas vraiment un spectacle courant à Outre-berge. C'était impressionnant.

Sarix s'enfila une nouvelle rasade.

— Tu sais que j'ai failli me battre avec un gros balourd qui montait la garde devant l'écurie du légat ? Il prétendait que tu aurais dû lui vendre l'animal.

— Le fils Bornarou, j'imagine. Tu aurais eu ma bénédiction pour lui faire avaler un peu de poussière.

— Il avait vraiment l'air mauvais. J'espère que tu n'as plus rien à faire avec lui.

— S'il reste dans la cavalerie, non. Sinon... 

Tranit laissa sa phrase en suspense. Sinon quoi ? Se battre avec cet imbécile ne lui faisait pas peur, mais cela lui attirerait plus d'ennuis que ça n'en résoudrait.

Sarix remonta en selle.

— Bon, mes gars arrivent. J'y vais.

Il se mit à l'avant d'un peloton de hallebardier qui dirigeait la remonte et tous les miliciens se turent pour les voir passer. Les hallebardiers en formation étaient impressionnants, mais ils précédaient plusieurs centaines d'animaux qui trottaient, encadrés par le reste de la cavalerie.

Même Tranit en fut impressionnée. De loin, elle avait trouvé les colonnes immenses, de près, à quelques pas, c'était même effrayant.

Les dorkis passèrent d'abord, ne s'arrêtant pas, ralentissant seulement à l'entrée du bourg ; puis vinrent les erkis, encadrés par le reste des hallebardiers. C'était un sacré spectacle. Une puissance incroyable vu leur nombre et Tranit savait que cela n'en représentait qu'une partie.

La dizaine de gros chariots de transport qui suivit la remonte sembla alors minuscule aux yeux des gens bien que ces modèles fussent assez rares par ici et en général jugés impressionnants par les habitants.

Il y eut quelques instants de silence après que le convoi fut passé puis les gens reprirent leurs activités avec, peut-être, la première fois depuis l'annonce de la mobilisation, d'un sentiment diffus de prise de conscience du danger que représentait la guerre.

Tranit le vit sur les visages l'entourant et sans doute montrait-elle aussi cette vague impression d'appréhension. Mais il y avait encore du travail, toujours du travail avec ce surcroît d'activité.

Elle retrouva plusieurs officiers au champ de manœuvre qui s'était déjà bien vidé de son surplus d'occupants et tenta d'établir la liste la plus précise du nombre d'engagés supplémentaires et de réservistes qu'il allait falloir payer. Ils se cassèrent la tête les deux heures de l'après-midi avec l'aide d'un vieux clerc bougon qui vérifiait leurs additions.

À trois mercuriaux de cuivre par jour pour un milicien, cinq pour un sergent et huit pour un cavalier ou un officier, les marchands allaient devoir avancer dix lunes d'argent par jour pour simplement assurer la sécurité. Cela doublait directement les frais journaliers.

Tranit ne préféra pas penser aux frais que les marchands devaient aux miliciens ayant effectué les manœuvres puisque la solde était doublée. Cela coûtait cher d'entretenir une armée, si petite fût-elle. En tout cas, la jeune femme conserva les plaquettes dans une gibecière après que le clerc et les officiers y eurent apposé leurs sceaux.

Les clercs du magistère vérifieraient tout ça et Tranit fut encouragée à demander au légat quand les frais de manœuvres seraient versés. Elle promit de le faire, elle aussi voulait son argent, surtout qu'avec les primes venant de leur chasse, la somme serait rondelette.

Tranit avait prévu d'en laisser une partie à ses hommes, la vente de l'erkis lui ayant apporté une aisance financière qu'elle n'imaginait pas connaître. Elle partagea un repas sur le pouce puis se rendit directement à Maubourguet pour le conseil militaire.

Si les alentours d'Outre-berge étaient encore déserts, ceux de la cité, une fois le canal traversé, étaient transformés en plusieurs villages de tentes grouillants comme des fourmilières. Des drapeaux surmontant les plus grandes tentes annonçaient quels seigneurs bivouaquaient là. De grandes bandes de tissus rectangulaires dans lesquelles étaient verticalement brodés les noms.

Tranit reconnut les cartouches des plus importants comme Lasseube, Gan, Mourenx et Mounein, mais tant d'autres flottaient à leurs côtés. Ils devaient être des vassaux de ces principaux. Tranit estima qu'au moins cinq mille hommes vivaient ici. Combien d'autres résidaient en ville ou bien près des autres portes ? C'était presque effrayant.

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Vixii

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant