CHAPITRE DIX.1

83 17 20
                                    


La journée du 15 germinal

Alors qu'il lui semblait avoir juste fermé les yeux quelques instants plus tôt et qu'elle tentait d'oublier les raideurs dans le bas de son dos, une main la secoua doucement et une petite voix se fit entendre, lointaine.

— Commandant ? Commandant ?

Les secousses se répétèrent, plus fermes, et Tranit ouvrit doucement les yeux en se retenant de rouspéter.

— Commandant ? Nous serons bientôt arrivés. Voulez-vous manger quelque chose avec nous auparavant ? lui demanda une jeune cavalière montagnarde.

Tranit resta un instant les yeux grands ouverts, mais immobiles, réunissant ses esprits.

Le transport, le retour à Outre-berge. Tout lui revint et elle se redressa en souplesse. Ce petit somme était venu à point. Son dos protestait moins.

Tranit sourit brièvement à l'officière venue la réveiller, une jeune femme aux galons de lieutenant. Celle-ci se mit immédiatement au garde-à-vous et se présenta de manière plus protocolaire.

— Lieutenant Ilane, premier escadron des chasseurs d'Asasp. Je dirige le peloton de reconnaissance.

Tranit devinait en elle sa fierté et sans doute un petit soupçon de supériorité qu'elle ressentait. Asasp, c'était cette seigneurie que leur seigneur, dont ils étaient si fiers et ne cessaient de faire allusion à lui, dirigeait. Donc elle devait faire partie d'une unité de la garde. Une position enviable.

— Merci lieutenant. Vous avez parlé de manger ? Volontiers ! Je vous suis.

Tranit boucla son ceinturon portant son épée et sa dague et suivit la jeune fille vers l'arrière de la plateforme où elle avait réuni ses hommes. Une dizaine d'entre eux avait déjà fait remonter leurs montures de la cale, d'autres posaient sur une table improvisée des beignets semblables à ceux pris le matin même et Tranit s'en régala d'avance. La lieutenante lui tendit une chope.

— Il n'y a que ça commandant, beignets fourrés et bière légère. J'ai demandé à un de vos officiers s'ils avaient quelque chose pour vous, mais apparemment non.

La lieutenante affichait un air de mépris, comme si des soldats n'ayant pas, n'ayant plus en fait, de vivres, n'étaient pas vraiment bons à quelque chose.

Sans s'en formaliser, Tranit s'empara de la chope et d'un beignet. Elle avala une longue gorgée puis mordit dans le beignet. Ce fut un vrai plaisir.

— Ne vous excusez pas, ces beignets sont délicieux. Mon dorkis ?

— Un officier m'a dit qu'il allait vous l'amener.

Tranit vit à l'instant Tanel surgir de la cale avec sa monture. Il la lui apporta.

— Ne vous inquiétez pas pour l'erkis et votre femelle. Le légat va les conduire lui-même à sa maison forte et ils y resteront jusqu'à ce que vous veniez les chercher. Je vais l'accompagner, puis j'irai m'occuper du retour de vos hommes pour procéder au débandage de la réserve avec votre capitaine d'astreinte et votre maître de camp.

— Parfait. Tu leur diras bien que je serai de retour ce soir au plus tard, donc je pourrai reprendre mon poste d'ici demain matin. Répète aux réservistes qu'ils peuvent occuper le terrain de manœuvres encore quelques jours s'ils veulent s'enrôler dans des troupes régulières. Je leur en ai déjà parlé une fois.

— Bien commandant.

Tanel la salua et retourna près de son oncle. Tranit s'offrit un second beignet et termina sa chope de bière.

Elle reconnut le paysage alentour, ces empilements de gros rochers dénudés juste après un coude serré du Louet qui donnait dans le Sombrun. C'était admis en général comme la frontière orientale d'Outre-berge. Juste après se trouveraient les deux magnifiques chênes qu'elle avait signalés à son père.

Il était impressionnant de voir à quelle vitesse le transport avait avancé sur un si petit cours d'eau. Tranit voyait bien qu'il n'était pas plus haut que d'habitude pour la saison, aucun courant porteur ne pouvait expliquer cette rapidité. Le soleil lui montrait bien qu'il n'était pas encore la mi-journée. Même pas deux heures, peut-être encore moins, pour un voyage qui en demandait en général au moins le double

Tranit vit les chasseurs se réunir. Leur peloton avait l'air bien nombreux, avec cette vingtaine de cavaliers se réunissant. La jeune lieutenante était revenue près de Tranit et lui expliqua.

— Sa Seigneurie m'a demandé de prendre avec moi quelques enseignes qui terminent leur formation. La recherche d'un terrain pour implanter un camp n'est pas si facile et cela lui a semblé un bon exercice.

— C'est quand même pas si difficile que ça lieutenant, vous devez le savoir en tant que chasseur.

C'était le rôle de la cavalerie légère de rechercher les zones de fourrage et les terrains propices au bivouac.

— Avec les exigences de notre seigneur, c'est un peu plus compliqué, se justifia la jeune officière. Nous allons devoir rester ici un mois ou plus.

Tranit n'avait pas songé qu'il faudrait au moins ce temps pour réunir et organiser une puissante armée. Elle hocha lentement de la tête pour noter la remarque de la Montagnarde, sans poursuivre la conversation. Elle remarqua que le transport se rapprochait de la rive après avoir passé le coude de la rivière, pour entrer dans le cours du Sombrun, que les deux chênes étaient maintenant visibles et malgré la distance, Tranit put apercevoir les runes que son père y avait gravées pour respecter les rites d'abatage.

Nombreux furent les hommes à observer ces deux puissants arbres, cette fortune colossale qui n'attendait plus que le bon vouloir des dieux pour enrichir l'heureux maître-charpentier qui s'en occuperait.

* * *

Merci pour votre lecture. Si vous avez aimé, m'offrir un petit vote serait fort sympa.

Vixii

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant