CHAPITRE VINGT-QUATRE .2

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Le jeune prophète s'alluma ce qu'il appelait une clope, du chanvre finement coupé et roulé dans un étui de papier végétal. Il fumait en marchant lentement lorsque le tintement cristallin du transmetteur lui fit lever les yeux vers la coupole.

– D'Asasp Unité, 10-03 sur le 10-20.

Erwan s'approcha de l'homme et le gifla violemment.

– Il n'y a rien sur ce pâturage ! Tu mens !

Avant même que l'homme put protester, Erwan lui saisit l'articulation du coude et la pressa d'une telle façon que l'homme hurla à s'en briser les cordes vocales !

– Nooon ! Pitié ! C'est ce qu'il a dit, ânonna-t-il dans un sanglot recouvert de morve et de bave. Une pâture en bordure du fleuve, juste au sud de la ville. ...

Erwan leva la tête mais vit que l'enseigne installé dans l'ouverture avait déjà entendu et transmit les informations supplémentaires. Erwan jeta un œil à son poignet et vit qu'il était presque huit heures. Tant de temps perdu ! C'était à hurler de rage !

Le visage d'Awel était décomposé. Le jeune prince était très sensible et toujours inquiet quand il voyait Erwan aussi agité. Il était l'une des rares personnes l'ayant vu faire une sorte de crise d'épilepsie un jour de frustration et ne voulait plus jamais revivre cette situation. Quelques instants, plus tard l'enseigne se fit entendre.

– D'Asasp Unité. 10-25 avec Barcus Unité. 10-62 est 10-04.

Awel s'approcha d'Erwan, le regard brillant.

– Elle sait où c'est ! Tu vas le trouver !

Erwan lui pressa l'épaule, le sourire crispé.

– Occupe-toi de tout ici, pas de traces, pas de remous ...

– Ne t'en fais pas. Vas-y !

Erwan s'avança vers la porte et Awel cria un 10-25 pour Aquitaine Unité. Les portes s'ouvrirent, les trois hussards au garde-à-vous. Erwan leur fit signe de redescendre.

Les portes se refermèrent et une détonation étouffée se fit entendre. Awel allait faire en sorte que rien de ce qui s'était passé ici ne tombe dans des oreilles indiscrètes.

Il descendit lentement, terminant de fumer et passant à peine le perron vit une cavalcade arriver vers lui, Cydrac à la tête de ses hussards conduisant Tranit et Adacie.

Ses hommes étaient déjà en selle et on lui apportait sa monture. Le jeune homme afficha un air calme et regardant Tranit et Cydrac leur demanda de l'amener à la retenue du Pursuit. La jeune femme d'Outre-berge prit la tête de la colonne et les entraîna à sa suite sans hésitation.

Erwan se cramponna au pommeau de sa selle et tenta de se raisonner. Il devait courir plusieurs lièvres à la fois et ne disposait pas d'assez d'hommes originaires de la région, ce qui expliquait ces problèmes de localisation.

Il faisait tout son possible pour tout remettre en ordre, mais il était difficile d'y arriver d'un seul coup, surtout quand tant d'autres joueurs étaient dans la partie.

Ils sortirent de la ville bien plus vite qu'Erwan ne l'espérait aussi put-il s'approcher de la jeune femme et lui poser quelques questions. Les traits concentrés, Tranit lui apporta heureusement les réponses souhaitées. C'était toujours merveilleux quand vos souhaits étaient comblés avant même que vous ne les exprimiez.

Il se tourna pour ordonner à un enseigne d'envoyer un message et de faire remonter un patrouilleur à leur rencontre. Ça serait certainement utile pour la suite.

Ils cavalèrent à la suite de la jeune femme pendant près de trois quarts d'heure, avant d'arriver dans ce qu'il pensait être un fourré, puis de découvrir un pâturage et les restes d'un campement dévasté.

Une seule grande tente avait survécu mais semblait prête à s'effondrer. Pas d'oiseau ici, c'était évident.

Erwan se précipita vers la tente et lança à Cydrac un impératif :

Chouffe le piaf mon frère !

Il entendit les ordres brefs de son officier et la question qu'il posait d'une voix stressée à Tranit.

Erwan n'écouta pas la réponse, entendant seulement les cavaliers repartirent au triple galop. Le jeune homme sauta à terre de sa monture et courut vers l'entrée de la tente, le cœur battant, les sens aux aguets.

Il relevait à peine le battant de toile de ce qui devait être un vestibule et regardait autour de lui ce qui était plongé dans une semi-obscurité quand il entendit des bruits de meubles venant de l'intérieur suivit d'une sorte de sanglot bref.

Son arme en main, il déboula dans la chambre principale, heureusement éclairée par une petite lampe à quartz portable. Accroupis pour offrir la cible la plus petite possible à un éventuel ennemi, Erwan balaya l'endroit intrigué, apercevant un lit pliant à moitié défoncé, deux chaises renversées, des sacs éventrés, jetés à terre, mais personne !

Une sorte de grincement de lanière lui fit lever les yeux et son cœur s'emballa. Un corps pendouillait à plus d'une demi-toise du sol. De rage, Erwan se releva et rangea son arme tout en dégainant son glaive de la gauche.

Il lui était impossible de soulever le corps puis de le détacher, le nœud était trop haut. On lui avait toujours dit d'éviter la chute du corps lors d'une dépendaison.

– Garde ! hurla-t-il, alors qu'il amenait le lit sous le corps pour diminuer l'espace vide.

Il rangeait son arme et s'apprêtait à prendre son glaive lorsqu'une présence se fit à ses côtés.

– Prends-lui les jambes et soulève-le. Quand je coupe, tente de le faire basculer sur le lit.

Le hussard s'exécuta sans poser de question et Erwan prit son élan. Se servant d'une chaise, il sauta le plus haut possible et mit toute sa force disponible dans son coup.

Se rappelant ses cours d'arts martiaux des années plus tôt, une vie plus tôt, il tint fermement sa garde et sentit sa lame trancher l'épaisse lanière de cuir. Il sentit sa lame l'entailler profondément mais pas la couper complètement, alors ses réflexes jouèrent.

De la main droite, Erwan saisit la lanière juste au-dessus de la tête penchée du suicidé pour la tendre et réarma son bras pour donner un nouveau coup.

La lanière céda et il sentit le corps tomber lourdement dans les bras de son cavalier. Erwan évita que la tête ne secoue trop en retenant doucement la sangle et ses réflexes de secouristes prirent la suite. Il dégagea le nœud coulant et fit allonger le corps sur le sol.

– Je m'en occupe, dit-il au hussard. Fouillez et surveillez les alentours.

Ses doigts parcoururent trachée-artère et cou, ne découvrant aucune blessure fatale. Ni section, ni écrasement, c'était bon signe. Mais le gars, c'était un homme, cela se voyait au travers de la chemise déchirée qu'il portait, était inconscient.

Erwan fit repartir le cœur en prodiguant un massage cardiaque énergique et utilisant quelques trucs grappillés auprès d'urgentistes. De longues minutes, il pratiqua les gestes appris et plusieurs fois utilisés dans sa vie.

Une onde de satisfaction le parcourut lorsqu'il sentit finalement le pouls carotidien revenir et se maintenir à un rythme plutôt faible mais régulier. Certain que tout allait bien, Erwan l'installa sur le flanc droit, lui relevant le bras droit et pliant sa jambe gauche.

Il valait mieux qu'il reste ainsi, en position de sécurité. S'il vomissait, il ne s'étoufferait pas, puis le recouvrit d'une fourrure pas trop miteuse, probablement son couvre-lit.

Erwan s'accorda un petit moment de détente. Il but longuement à sa gourde puis fit entrer plus de lumière dans la tente en relevant les rabats intérieurs et extérieur du vestibule. Il vit son garde, la main sur son revolver qui gardait leurs deux montures et observait les alentours et aperçut un second hussard resté monté qui patrouillait tout autour. Tout allait bien.

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Vixii

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant