CHAPITRE VINGT-QUATRE .1

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La rotonde au sommet du Capitole avait bien changé depuis qu'Erwan y avait mis les pieds, trois jours plus tôt. Les jeunes seigneurs y avaient pris leurs aises, apporté de luxueux sièges, autant de coussins, d'étoffes chamarrées pour rendre l'atmosphère plus agréable à leurs seigneuries. La salle du grand conseil, où toutes les autorités et tous les hommes libres et chefs de famille se réunissaient aux grandes occasions ne ressemblait plus vraiment à quelque chose de digne. Erwan fit la grimace. Bien que toutes les ouvertures du dôme soient ouvertes, l'endroit puait la transpiration, l'alcool et le chanvre. Cette salle de décisions et de pouvoir était devenue à ses yeux un repaire de branquignoles.

Il aperçut Awel venir vers lui, la tenue défaite et les traits tirés. Il se massait le poing doucement.

– J'en ai trouvé un au courant, mais tellement ivre qu'il est difficile d'en tirer quelque chose.

Il désignait un homme affalé sur un fauteuil à quelques pas d'une estrade sur laquelle une sorte de trône avait été dressé.

– Il a parlé d'un campement au Purshui ou au Pursuit. J'ai tenté de récupérer un écuyer qui serait venu avec le chevalier, mais impossible de mettre la main dessus.

Erwan fit signe qu'il comprenait et se tourna vers Cydrac.

– Mon frère ? Trouve un secrétaire qui connaisse bien la région et fais-toi indiquer cet endroit. Le Purshui ? Le Pursuit ? Prends un demi-peloton avec toi, je te rejoins d'ici peu avec le reste.

– 10-4 mon frère. On y va. Vous avez un trans ici ?

Awel montra le dôme et une ouverture dedans.

– Un des miens s'y trouve maintenant, vue directe sur la tour.

Cydrac lui donna un salut militaire avant de partir en courant. Les trois hussards rejoignirent les deux carabiniers devant les portes qu'ils refermèrent.

Awel poussa un profond soupir et se prépare une pipe de chanvre en montrant la salle.

– Du n'importe quoi mon frère. Du grand n'importe quoi !

Erwan jeta un nouveau coup d'œil avant de regarder l'homme assis.

– Du théâtre, pour jouer à leurs petites vies. Quoi d'autre ?

– Des alcôves dissimulées derrières les tentures. On peut y accéder depuis un couloir circulaire à la base du dôme. Deux alcôves sont justes derrière le trône du prince Saert. Des arbalétriers doivent s'y cacher lorsqu'il est là.

– Bon à savoir. Un dragon pourrait s'introduire discrètement ici en pleine nuit ?

– Mon enseigne pense que oui, mais il faut trouver une hauteur dans les parages et c'est plus compliqué.

-Fais passer le message à Diérel, mon frère.

– Tout de suite. Sans relever la tête, mais en haussant la voix le prince Awel poursuivit. 10-05 pour Dragon Unité. Je veux un 10-27 en 28 pour un 10-55 sur notre 10-20

Erwan écouta son cousin le sourire aux lèvres. Il avait mémorisé son code bien mieux que lui, qui l'avait crée, et en quelques chiffres demandait à l'un des plus extraordinaires combattants qu'il connaissait de venir voir ici comment monter une embuscade.

Un œil toujours fixé sur l'homme immobile, il s'approcha de l'estrade et vit devant celle-ci une table basse sur laquelle reposait un magnifique plateau de jeu du guerrier.

Pour Erwan, ce n'était qu'un mélange de jeu de dames et de go, deux jeux dans lesquels il n'avait jamais été vraiment brillant. Une partie était bien entamée mais très compromise pour un des joueurs. Awel se rapprocha et regarda aussi le plateau.

– Le jeune prince Saert a fait dresser ce jeu. Celui qui avec les noirs pourra au moins bloquer les blancs pourra tout lui demander.

Erwan sourit.

– Et c'est lui qui a joué ? Le niveau me semble ...

– Non, s'empressa de le rassurer Awel. C'est la reproduction d'une partie du vénérable Ertinsa, l'auteur du plus célèbre traité de jeu du guerrier que nous connaissions. Plusieurs jeunes seigneurs se sont essayés à jouer le coup suivant, mais la situation devient de plus en plus critique.

– Ça serait un exercice stimulant pour Mousse.

– C'est ce que je me suis dit. Mon brithem a fait deux clichés avec son désamagar. Il est retourné au camp pour s'assurer de leur qualité.

– Merci Awel. Nous aurons quelque chose à tenter la prochaine fois. Il reste quoi, cinq pions noirs à placer ?

– Oui, ce qui rend l'exercice encore plus périlleux. Les blancs sont extrêmement bien placés sur le plateau et ont encore dix pions de réserve.

– Arrange-toi pour que d'ici ma prochaine visite personne ne chamboule trop la partie et je pourrais les entourlouper.

Le prince d'Etxalar allait répondre à la boutade lorsqu'un gémissement attira son attention.

– C'est bien, notre invité reprend ses esprits.

Les deux jeunes gens s'approchèrent du chevalier dont la tenue puait l'alcool et le vomi. Son air débraillé, la chevelure sale, tout dénotait en lui le fervent adepte des tavernes et des cuites sévères.

– Raconte à mon seigneur ce qui s'est passé la nuit dernière. Raconte bien, je n'ai pas envie de m'user les poings sur ta sale face de fouine.

L'homme fut parcouru d'un long frisson et d'une voix pâteuse raconta comment la nuit dernière, à la troisième veille, un chevalier volant, montésur un goéland, était venu se poser juste derrière le forum pour présenter ses respects à Saert et le servir. Le jeune seigneur n'était pas là mais deux fauconniers s'en étaient verbalement pris à lui, le ridiculisant et entraînant les autres à leur suite.

Tout cela avait duré bien après la mi-nuit quand les esprits trop échauffés étaient passés aux insultes. Même si les armes étaient normalement interdites dans cette salle du conseil, nombreux étaient ceux qui portaient encore un couteau ou une massette avec eux.

Des coups, du sang, le nouveau venu s'était enfui rejoindre sa monture et s'était disputé avec son écuyer qui l'avait planté là. Le chevalier était remonté sur son oiseau et s'était envolé avec lui. Un fauconnier avait ordonné une poursuite, offrant deux double-soleils à qui lui apporterait de la chair fraîche pour son faucon.

Un chevalier de Maubourguet avait donné des ordres pour que ses hommes se lèvent et satisfassent le jeune fauconnier. L'écuyer, soudoyé avait révélé que son cousin et d'autres membres de sa famille avaient installé leur bivouac sur un pâturage non loin de la ville, le Purshui.

Erwan poussa un long soupir, puis inspira longuement pour se calmer. Il n'avait jamais pensé que les chevaliers volants puissent utiliser d'autres oiseaux que les rapaces. Il n'y en avait pas beaucoup dans les Pyrénées et une punition impériale vieille de plusieurs centaines d'années en interdisait l'utilisation.

Seules des familles choisies pour leur fidélité pouvaient le faire et en général vivaient plus à l'est. Pour les gens de Louvie Juzon, les rapaces étaient une calamité pour les troupeaux et Erwan avait mis au point un fusil de grande taille tirant une munition puissante capable de terrasser un prédateur en plein vol.

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Vixii

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant