CHAPITRE TROIS .2

41 15 10
                                    

Dès la colline franchie, Itaïng vit des groupes revenir vers la ville, des dizaines d'ouvriers forestiers, de maraîchers qui finissaient leurs trop longues journées de travail, mais passer la nuit à l'extérieur était trop dangereux.

Il faisait encore froid la nuit, des chutes de neiges tardives n'étaient pas à exclure et surtout les employeurs ne se souciaient guère de la sécurité de leurs ouvriers qui préféraient donc rentrer à l'abri des murailles.

Le coche dépassa plusieurs groupes, mais fut arrêté devant les portes comme tout le monde. Itaïng remarqua que l'officier commandant portait l'uniforme de la garde. Alèr se tourna vers lui.

— Le légat a fait remplacer tous les miliciens par la garde citadine et des réservistes. L'enseigne qui est venu me chercher me l'a dit en me remettant le passe. Il voulait profiter de l'occasion pour entraîner ses troupes au combat d'unité.

Itaïng fut un instant hésitant.

— Quelle occasion ? Les fêtes d'équinoxe ?

Le jeune cocher sourit à pleines dents.

— Non, maître, que le vieux grigou de Bornarou a enfin accepté de payer les manœuvres de notre milice. Maîtresse Tranit essayait depuis plus d'un an de le faire céder.

Itaïng fit signe qu'il le savait, il avait entendu assez souvent sa fille se plaindre de cette situation. Les miliciens devaient avant tout protéger le bourg, ce qu'ils pouvaient faire efficacement, mais ils devaient aussi être capables de manœuvrer en terrain découvert pour mener des actions plus offensives, au moins par compagnie, à défaut du bataillon, ce qui ne pouvait s'apprendre sur un petit terrain de manœuvre ou sur un rempart.

Mais payer des manœuvres, c'était cher, surtout aux yeux d'un marchand comme maître Bornarou, réputé pour son avarice.

Se sentant soudainement mieux, le druide abaissa la capote du coche, mais garda sa cape et vint s'asseoir près du jeune garçon. Alèr poursuivit son explication, alors que son coche se rapprochait du contrôle.

— Je suis venu en ville ce matin et j'ai entendu des officiers parler. Le légat voulait réellement que Tranit puisse partir en manœuvre. Il a dit à tout le monde qu'elle était vraiment douée et il voulait profiter de l'occasion pour entraîner les deux bataillons d'active de sa milice avec les lances des jeunes nobles, pour offrir à ses hommes un exercice grandeur nature. Cela faisait plusieurs jours qu'il faisait le siège de maître Bornarou pour le décider.

Itaïng ne put empêcher un petit ricanement.

— Je n'aime pas médire Alèr, ce n'est pas honnête, mais j'ai du mal à croire que quelques jours soient suffisants pour convaincre le financier principal de notre milice de se lancer dans d'importantes dépenses.

Le jeune homme rigola franchement et montra son passe au sous-officier responsable avant de franchir le portail et de se retrouver immédiatement dans une circulation intense de chariots, coches, tous plus pressés les uns que les autres et noyés dans un flot de piétons. Un marché tout proche expliquait l'affluence permanente.

— Non maître, vous avez raison. Mais cette fois, le fils même de maître Bornarou lui est venu en aide.

Itaïng s'en étonna. Bornarou était persuadé que son fils était une incarnation terrestre d'un dieu et lui passait tous ses caprices. Puisqu'il payait la plus grande partie de l'entretien de la milice du bourg, bien que n'y résidant pas en permanence, il avait fait nommer son fils commandant du bataillon.

Ce gros coléreux batailleur était, au dire de nombreuses personnes, une catastrophe, incapable d'assumer son rôle, encore moins de le comprendre. Sa fille Tranit avait été placée comme officier en second et depuis deux ans assumait dans les faits toutes les tâches dévolues à un commandant. Ça aussi, il en avait assez souvent entendu parler.

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant