CHAPITRE VINGT-ET-UN .4

21 10 8
                                    

Elle avait à peine entamé sa collation qu'Erwan redescendait, entouré de messagers. Il avait passé la tenue typique d'un jeune prince et Tranit lui trouva fort belle prestance, maintenant qu'il ressemblait aux gens qu'elle avait l'habitude de rencontrer. Tout le monde s'activait autour de lui. Adacie se leva.

— Venez commandant ! Vous n'allez pas le regretter.

Cydrac avait rejoint Erwan et donnait des ordres à l'escorte. Celui-ci se tourna vers Tranit et Adacie.

— Venez dans mon coche, ça ne sera pas long ! Les vents ont tourné et l'orage sera à portée d'ici peu.

Elles suivirent le mouvement et se retrouvèrent dans un coche luxueusement aménagé tiré par quatre magnifiques bêtes. Au moins deux pelotons de cavalerie les entouraient et Tranit se demanda d'où ils surgissaient, si nombreux.

Elles se tassèrent avec quelques enseignes auxquels Erwan donnait des instructions en regardant autour de lui, utilisant un mélange de code pour certaines unités et de choses à vérifier. Ils étaient déjà en route à vive allure, malgré la pluie.

Ils se dirigeaient vers la porte est, normalement fermée dès la tombée du jour, mais les Montagnards semblaient s'être arrangés avec la milice. En tout cas, les portes furent franchies sans s'arrêter ni ralentir.

En un rien de temps, ils arrivaient au bord du canal où le hêtre se trouvait, majestueux. On voyait bien qu'il avait penché plus que de raison vers le canal, mais il semblait difficile de croire qu'il allait tomber sous peu.

L'arbre devait avoir une cinquantaine d'années, si les souvenirs de Tranit étaient corrects. Ayant poussé seul, il ne possédait pas un tronc élancé comme ceux qu'on pouvait trouver dans des bosquets, des futaies, mais il atteignait au moins les cent vingt toises de hauteur et son toupet couvrait une imposante superficie, très appréciable pour l'ombre qu'elle offrait en été.

Si l'arbre n'avait pas été déclaré sacré par ses parents, un chevalier ou un riche marchand en aurait fait certainement sa résidence principale. Il avait beau être un peu trop mince pour abriter une grande maisonnée, son tronc ne devait faire qu'une quinzaine de brassées tout au plus, mais sa localisation était idéale.

Tranit savait que l'arbre représenterait une masse de travail pendant de nombreux mois ainsi qu'une fortune colossale. La majorité devrait revenir à Outre-berge, mais le druide tutélaire du bourg en percevrait aussi sa dîme, qu'il devrait partager avec son prédécesseur qui avait seulement démissionné, ce qui représenterait tout de même une belle somme, de quoi aiguiser les appétits, les jalousies.

Erwan descendit du coche seul et fut rejoint par un druide avec lequel il conversa en marchand tranquillement. Hormis les cavaliers qui assuraient sa sécurité, personne ne se trouvait près de l'arbre. Adacie entraîna Tranit à sa suite. Qu'importe la pluie, ce qui allait se produire était plus important.

Erwan avait atteint l'arbre qu'il touchait en suivant les runes qui avaient été inscrites par le père de Tranit quelques mois plus tôt. Le grondement du tonnerre se faisait maintenant entendre, mais il semblait lointain. Tranit se demandait comment on pouvait assurer qu'un arbre précis serait abattu à un moment donné.

Un petit coche et quelques cavaliers arrivèrent à leur tour, des chevaliers de la milice et le nouveau druide d'Outre-berge. Tranit n'avait pas encore entendu son nom, mais reconnut en lui un des fidèles du vénérable. En tout cas, il ne semblait pas très content du comportement d'Erwan.

Tranit s'éloigna des enseignes avec Adacie.

— Les cavaliers de Cydrac ont un... pistolet ? Comme nous ?

— Un modèle différent, un révolver. Aucun chevalier ne pourra tenter la moindre chose contre notre seigneur commandant, soyez-en assurée. Écoutez !

Un grondement plus violent ébranla le sol, l'orage semblait attiré par le hêtre, comme par magie. Le nouveau druide sursautait au moindre bruit ne sachant plus comment se comporter vis-à-vis d'Erwan qui s'était reculé d'une quarantaine de toises, mais faisait toujours face à l'arbre.

Les chevaliers avaient quelques difficultés à maîtriser leurs montures et tout le monde semblait prendre ses distances avec le hêtre dont le toupet parcouru de vent produisait une cacophonie de bruits étranges et menaçants.

Tranit regardait avec attention, persuadée qu'il y avait quelque chose dont on ne lui avait pas parlé. Elle devina sur l'autre rive du canal des hommes venu voir ce qui se passait. Le ciel fut illuminé par quelques éclairs que s'échangeaient les nuages et Tranit eut la furtive impression de voir un grand oiseau noir survolant l'arbre avant que celui-ci ne replonge dans les ténèbres.

Il y eut quelques instants d'un silence pesant puis des éclairs surgirent au loin, des grondements de tonnerre assourdissant, puis tout à coup, ce fut de nouveau le silence, un silence épais.

Tout le monde put voir une boule lumineuse comme surgir du néant, un éclair d'un rose vif qui sembla s'enrouler sur lui-même puis subitement prendre une teinte verte, très pale et tout le monde vit l'éclair descendre comme au ralenti vers l'arbre et foudroyer celui-ci à sa base dans une explosion dantesque dont le souffle coucha de nombreuses personnes au sol, affolant des cavaliers qui furent désarçonnés de leurs montures.

Tout cela semblait avoir duré un long moment, alors qu'il ne s'était écoulé que quelques battements de cœur.

Il y eut un moment d'extrême confusion, le sol sembla trembler comme si le dieu Taranis venait d'abattre sa massue sur le sol, puis l'arbre émit un craquement sonore et s'affaissa vers le canal qu'il recouvrit de sa longueur, son toupet semant la panique sur l'autre rive ou de nombreux curieux étaient venus, malgré les dangers de l'obscurité et de l'orage.

Erwan se tenait toujours droit face à l'arbre, les bras levés vers le ciel en signe de supplication, mais le druide d'Outre-berge avait été soufflé et repoussé d'une douzaine de toises. Il tentait de se relever, encore commotionné par le choc.

Tranit vit qu'Adacie regardait Erwan avec une fièvre dans son regard, une passion dévorante. La plupart des cavaliers de Cydrac et les enseignes se mirent à genoux en direction d'Erwan, dans l'attitude d'un vassal prononçant ses vœux devant son suzerain. Adacie le fit aussi, mais dit à Tranit de rester debout.

— Vous n'avez pas besoin de le faire, mon commandant, je voulais juste que vous le voyiez, que vous sachiez.

Elle se tourna en direction de son seigneur et tendit les poings vers lui avant de prononcer les paroles rituelles : À toi seigneur, fils de l'Éclair Bleu, j'offre mon cœur, mon âme, ma force ! À jamais ! À jamais !

Il était impressionnant de voir la ferveur avec laquelle ces paroles étaient prononcées, mais Tranit s'étonnait de cet à jamais, alors que les paroles traditionnelles ne faisaient mention que de la volonté du suzerain, aussi longtemps que tu le désireras.

Adacie se releva alors qu'Erwan semblait envoyer des baisers de remerciements aux alentours. Il était indéniable qu'il venait de réussir un puissant exploit de magie en ayant annoncé puis réalisé la chute d'un arbre à un moment précis. Fort peu de druides pouvaient se vanter d'une telle puissance.

Les chevaliers venus assister au spectacle s'en rendaient compte et ne savaient comment se comporter, mais Erwan ne s'en soucia pas et donna le signal du retour, comme si de rien n'était, alors que l'orage s'éloignait déjà, comme chassé une fois son ouvrage accompli.

Tranit était un peu sonnée et ne sachant trop quoi penser de ce qu'elle venait de voir, resta silencieuse jusqu'à l'auberge.

* * *

Merci pour votre lecture. Si vous avez aimé, m'offrir un petit vote serait fort sympa.

Vixii

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant