CHAPITRE ONZE.1

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Nuit du 15 et journée du 16 germinal

Une partie des hommes d'astreinte était partie en patrouille avec quelques cavaliers. La présence de tous ces soldats, de ces volontaires en quête d'engagement, incitait à redoubler de prudence. L'ancienne auberge avait fait le plein de voyageurs, des chevaliers indépendants, mais à l'aise financièrement, à peine plus agitée que d'habitude, mais la nouvelle connaissait une très grande animation due à l'affluence de volontaires à l'engagement. La rumeur disait que les Montagnards recrutaient énormément.

Jamais Outre-berge n'avait connu une pareille agitation. Tranit laissa des instructions aux miliciens cantonnés là et se rendit à la porte sud, certaine d'y trouver le reste de ses hommes. En chemin, elle s'inquiéta de toutes ces silhouettes qu'elle apercevait dormant un peu partout dans la rue.

Le terrain de manœuvres était entièrement couvert d'une forêt de tentes, d'abris de fortune. Il n'y avait pas que ses hommes ici, ils étaient trop nombreux.

Elle accéléra l'allure pour retrouver son capitaine et mieux s'informer. La porte était encore ouverte et illuminée. Des hommes revenant des auberges s'y dirigeaient, campant probablement entre les deux remparts.

Les miliciens s'étaient aménagés comme un réfectoire à ciel ouvert et les hommes de repos y faisaient ripaille avec quelques amis. Tranit s'arrêta près d'eux, avisant un ancien qui ne pouvait s'empêcher de passer ses nuits dehors avec ses vieux camarades.

— Père Pulix, encore de garde ? lui demanda-t-elle d'une voix enjouée.

Le vieil homme se mit difficilement au garde-à-vous et la salua avec sa chope.

— Bonsoir, commandant. Comme toujours !

— Tu me briquerais mon armure ? Elle est toute crottée et le cuir va se craqueler.

— Pour vous, commandant, je vous la rendrai comme neuve.

Tranit lui laissa le sac et quelques piécettes qui comblèrent le vieil homme. Il avait été un bon milicien consciencieux, Tranit s'en souvenait et s'il ne pouvait plus faire grand-chose avec son grand âge, il était encore assez méticuleux pour lui rendre ses affaires parfaitement propres.

— Merci soldat ! Père Alix ? Où est le capitaine ?

Un sergent lui montra la porte.

— Dehors avec une patrouille, commandant. Trop de gens se sont installés n'importe où et j'ai l'impression que les ruffians de Maubourguet sont de sortie.

Tranit fronça les sourcils. Outre-berge ne comportait aucun mendiant. Il y avait des pauvres, quelques indigents, mais entretenus par leurs familles ou les voisins.

Les vols étaient presque inexistants. Les bagarres étaient épisodiques, quelques paysans ayant un peu trop forcé sur la bière. Parfois, quelques mauvais garçons de Maubourguet venaient tenter leur chance ici, mais en général ils finissaient la nuit au cul de basse-fosse ou bien étaient jetés hors des remparts par une patrouille.

Mais là, avec la mobilisation, ils devaient estimer avoir leur chance. Tranit laissa les hommes et descendit de monture pour rejoindre la chambre de l'officier milicien d'astreinte, qui se trouvait dans le châtelet protégeant la porte. À l'entrée, trois hommes buvaient une boisson chaude, leurs armes à portée de main.

Ils saluèrent Tranit en silence et la jeune femme monta directement à l'étage pour accéder au chemin de ronde. Elle y retrouva Milly, son arbalétrière, qui regardait trois hommes s'enfoncer dans la nuit.

— Alors ? C'est plus le grand calme ?

— Commandant, bien content de vous revoir. Le lieutenant Tanel est passé et nous a dit que vous étiez enfin de retour.

Tranit haussa les épaules en signe d'évidence, puis montra l'extérieur.

— C'est très agité ?

— Ça pourrait l'être, regardez.

Tranit s'approcha de la fenêtre ouverte et vit entre les deux remparts comme un immense campement.

— Des volontaires, commandant, des aventuriers. Le capitaine les a comptés, il y en a huit cents ici et autant sur le terrain de manœuvre. De vrais soldats, heureusement, mais certains ont la bouteille facile et les susceptibilités sont mises à rude épreuve.

— Pourquoi ne sont-ils pas à Maubourguet ? Les seigneurs y sont déjà ?

— Certains, oui. Mais il y a déjà cinq ou six mille hommes autour de la cité. Le vénérable et le conseil ont demandé au bourg d'en accueillir un certain nombre.

Heureusement qu'on s'est tous bien reposés sur le transport. À peine le pied posé à terre que le légat recevait des ordres à ne plus savoir quoi en faire. Le baron refusait obstinément de céder au conseil.

— De céder au vénérable, tu veux dire !

— Oui, le vénérable, évidemment, répondit Milly en souriant. Mais vous le connaissez. Il ne s'est pas laissé impressionner, a confirmé presque tous les ordres du baron et a laissé son neveu à notre tête pour renforcer la milice. Ensuite, il est parti en ville et on ne le reverra pas de si tôt.

— Oui, Tanel m'a dit que c'était agité. Bon, qu'est-ce qu'il reste à faire ?

— Le rempart ! On a pas assez d'hommes de disponibles. Les portes est et ouest sont closes, bien entendu, avec seulement une poignée d'hommes pour la sécurité.

— J'ai assez marché ces quinze derniers jours, grommela Tranit, mais je vais le faire. Il y a quoi ? Les trois hommes en bas et toi ?

— Non, le capitaine m'a laissé la responsabilité ici, comme ça il peut bouger plus facilement avec les cavaliers.

— D'accord, je prendrais les trois hommes avec moi. Bon, je redescends parler avec eux et vérifier les armes. On partira d'ici une demi-heure. Si le capitaine ne revient pas avant, tu lui parleras.

— Oui, commandant. Attendez ! Je vais descendre avec vous, vous faire préparer à manger.

Tranit opina du chef et les deux jeunes femmes redescendirent ensemble. Tranit posa son arbalète à répétition sur la table et entreprit d'en nettoyer toutes les parties mécaniques.

Lorsqu'elle tirait vers elle le levier d'armement, une courte flèche contenue dans un chargeur fixé sur l'engin était mise en place. Un arbalétrier entraîné pouvait tirer ses vingt flèches à un rythme époustouflant.

C'est pour cela que malgré une portée moindre qu'une arbalète classique et un prix plus élevé, les milices s'en étaient dotées, imitant ainsi les forces impériales.

Tranit examina sa corde qu'elle avait changée juste avant les manœuvres. Les pièces métalliques bien graissées, le bois bien ciré, c'était parfait. Elle avait démontré quelques heures plus tôt qu'elle fonctionnait parfaitement, même s'il était un petit peu ridicule de vouloir s'attaquer à une couleuvre avec cette arme.

Le grand arc de cette idiote d'Ilane était bien mieux adapté, sinon une bonne lame d'acier dans la cervelle réglait le problème.

Les trois miliciens lui présentèrent leurs armes, des modèles fabriqués à Outre-berge. Les chargeurs étaient pleins, les carquois contenaient soixante autres carreaux.

À eux quatre, ils représentaient une puissance impressionnante et même un monstrueux animal comme un furet ou plus gros, comme une belette, aurait fort à faire. Milly revient avec une petite écuelle de brouet réchauffé et une chope de bière, malheureusement un peu tiédasse. Tranit s'en contenta pour se caler l'estomac, puis regarda le sergent.

— Le capitaine est de sortie vers l'ouest, on prend le rempart est, jusqu'à la porte et on poursuit jusqu'à la porte nord ?

— Oui, commandant, confirma-t-il d'un signe de tête. À vos ordres.

* * *

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Vixii

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant