CHAPITRE DIX-HUIT .2

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Les deux cavalières passèrent le double rempart et se mirent sur le côté du chemin de terre pour attendre les volontaires. Tranit expliqua à Adacie.

— Milly me servait souvent d'ordonnance pendant les veilles ou pendant nos exercices. Les deux autres femmes dont elle a parlé sont des officières de notre milice, qui ont été virées comme moi.

— C'est quelque chose qui se produit de plus en plus, lui apprit la jeune fille d'un ton maussade. J'en ai entendu parler par d'autres. On refuse de plus en plus aux femmes les postes de responsabilités.

C'est l'influence de l'empire ou des Latins. Sa seigneurie n'y prête pas attention et engage qui il veut, faisant d'abord attention aux capacités et aux compétences. C'est même pour ça, que dans mon contingent, il y avait deux filles pour un garçon. Erwan dit que nous sommes plus attentives, moins souillons que les gars.

Beaucoup ne deviennent pas officiers comme moi, mais elles sont nombreuses en Juzon à tenir des postes de transmetteur fixes par exemple.

Ou alors les anciens soldats mutilés, ils deviennent aubergistes dans les relais de poste. Comme ça, notre seigneur dispose de personnes de confiance partout.

— J'imagine que c'est bien différent d'ici maintenant, soupira Tranit.

— Pas partout commandant, mais en Asasp, en Juzon et en Banca oui ! Le père de notre seigneur lui fait entièrement confiance et a fait appliquer plusieurs de ces décisions. Ça n'a pas plu à tout le monde, mais ils ont dû s'y faire.

Adacie semblait joyeuse en prononçant ses paroles, sans doute se rappelait-elle quelques situations dont elle était particulièrement satisfaite.

Elles restèrent silencieuses jusqu'à ce que Trual apparaisse à la tête d'une troupe d'une bonne soixantaine d'hommes. Tranit lui rendit son salut et les laissa passer devant elle, Adacie à ses côtés. La jeune femme souhaita qu'ils fassent bonne apparence devant les officiers montagnards.

Une fois qu'ils furent passés, elle se tourna vers Adacie.

— Qu'en penses-tu ?

— Ils me semblent être pas mal, commandant. Je ne sais pas ce qu'en penseront les officiers du Barcus, mais ils vous feront honneur.

— Mais j'ai remarqué quelques visages pâles. Pourrais-tu envoyer un message pour qu'une fois arrivés au point de ralliement les hommes puissent trouver quelques boissons et un petit quelque chose à manger ?

— À vos ordres, commandant. Laissez-moi quelques instants.

Adacie s'empara de son transmetteur et retourna au rempart, laissant sa monture sous la surveillance de Tranit. Elle la vit grimper au faîte du châtelet où elle retrouva deux cavaliers montagnards, Tranit reconnaissait maintenant facilement leurs uniformes.

Elle revint quelques instants plus tard, se mettant automatiquement au garde-à-vous.

— Message transmit au centre, commandant, à l'auberge. Les services du sénéchal ont accusé réception et font le nécessaire.

— Bien, allons-y.

Les deux jeunes femmes se mirent au pas et remontèrent la colonne qui avançait d'un pas paisible, celui qu'une troupe de soldats expérimentés adopte pour avancer efficacement sans se fatiguer trop vite. Les abords du chemin, généralement bien dégagés, avaient cette fois été complètement rasés pour fournir du fourrage aux montures et des litières aux centaines d'hommes venus s'installer dans et autour du bourg.

Par endroit, la terre était nue sur des centaines d'arpents. Guère malin. Au moindre orage un peu violent, des torrents de boue s'écouleraient vers le nord pour rejoindre les ruisseaux des baïssa. Combien de campements temporaires se feraient emporter ?

La guerre n'était pas encore commencée que Taranis, dieu de la guerre mais aussi des morts, recevrait ses premières offrandes humaines.

Tranit dit à Trual de faire avancer les hommes jusqu'à la porte est, puis de la rejoindre au marché à bestiaux, où la plupart des volontaires sans engagement avaient été envoyés.

Elle s'y rendit d'abord et échangea quelques mots avec les miliciens de garde. Ils lui indiquèrent quelques personnes à qui parler pour que la rumeur se propage. Lorsque le lieutenant arriva à son tour, plus d'une douzaine d'hommes écoutaient Tranit poser ses conditions.

Il désigna plusieurs hommes qu'il connaissait, s'approcha d'eux, discuta à voix basse. Certains s'éloignèrent, peu enthousiastes, mais d'autres approchèrent.

Les convaincus commençaient à faire leurs bagages et récupérer leurs armes au poste de la milice. Cela augmenta la propagation de la rumeur et finalement Tranit se retrouva avec bien plus d'une centaine de volontaires.

Elle approchait sans doute plus du double. Elle laissa Trual les arranger avec ceux qu'il avait pris avec lui et la colonne fortement grossie se remit en route, en direction du moulin de la porte nord. Ils croisèrent quelques marchands, aperçurent de petits campements aux limites d'un roncier.

Quelques cavaliers pauvrement équipés vinrent s'informer de ce qui se passait. Plusieurs d'entre eux se joignirent à la colonne à la surprise de Tranit. Jamais elle n'avait imaginé que tant de gens chercheraient à rejoindre l'ost.

En même temps, jamais elle n'avait vu autant d'hommes si mal équipés ni même si sales. Sa vie à Outre-berge semblait avoir été d'une facilité, d'une douceur déconcertante.

Lorsque Tranit atteignit la porte nord, elle aperçut un autre groupe se rassemblant, un mélange de piétons et de cavaliers, près d'une soixantaine de personnes. Un enseigne vint vers elle et Adacie. Un simple salut et le message délivré en un instant.

— Dix soixante-douze pour Barcus.

La réponse aussi sèche d'Adacie.

— Dix-quatre, poursuivez !

L'enseigne faisait déjà demi-tour. Adacie regarda Tranit.

— En général, les enseignes du service communication s'adressent à moi, c'est une de mes tâches de vous apporter ces informations. Sauf quand le message vous est directement adressé.

— Et là ? Soixante-douze c'est pour eux, des volontaires ?

— Oui commandant, dix soixante-douze annonce un renfort, ici ce sont ces nouveaux volontaires.

— Va les chercher, Adacie. Fais-les passer devant moi.

* * *

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Vixii

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant