CHAPITRE TROIS .3

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Itaïng salua respectueusement le vénérable, forçant juste assez sur l'obséquiosité pour satisfaire l'orgueil de ce dernier, puis les marchands déjà installés. Il n'était qu'invité dans ce conseil et devait montrer qu'il connaissait sa place.

Itaïng devina instinctivement que le vénérable allait lui parler des jugements qu'il avait rendus en début d'après-midi et qu'il allait critiquer son choix, c'était l'évidence même. Il retarderait même le début du conseil pour arriver à ses fins. Parmi les marchands déjà présents, il y avait heureusement maître Aymoric, syndic des charpentiers de la cité.

Il avait étudié pour devenir gwézatèr, un père des arbres, capable d'en tirer le meilleur pour en faire des navires, des charpentes, des meubles, mais avait renoncé à la religion pour reprendre la fonction de son père. Comme Itaïng, il avait vécu voici bien longtemps à Lembeye.

Le druide n'hésita pas un instant et décida d'agir avant que le vénérable puisse commencer à l'ennuyer sérieusement. Rejoignant le siège qui lui était attribué, il leva sa coupe vers les marchands pour attirer leurs regards.

— Maître Aymoric, félicitons-nous de ce conseil, je devais vous consulter.

Le charpentier leva sa coupe pour rendre son salut à Itaïng.

— Noble maître, le plaisir est pour moi. En quoi puis-je vous aider ?

— De vos lumières pour les arbres, bien entendu.

— Votre gwézatèr aurait-il un souci avec ce hêtre qui menace de bloquer le canal ?

Tout le monde connaissait cet arbre qui menaçait de s'effondrer. Le charpentier qui s'en occuperait aurait du travail pour des mois et gagnerait énormément. Les arbres n'étaient plus assez nombreux pour qu'on puisse les abattre inconsidérément. La punition impériale se faisait toujours aussi pesante trois siècles après son application.

Itaïng fit non de la tête.

— Maître Aspèr est jeune, mais déterminé. Il saura bien s'occuper de ce hêtre. Non, non, il s'agit de deux chênes, situés dans la courbe de l'Estirac, à une demi-journée d'Outre-berge. Ma fille y est passée la décade passée et a cru remarquer un affaissement. Elle m'en a parlé et comme je voulais sortir un peu, j'y suis retourné avec elle. Deux beaux arbres qui s'offriront à nous d'ici le solstice.

Le syndic se frotta les mains, sourire aux lèvres, tandis que les autres marchands s'intéressaient subitement à la conversation.

— Et de quelle taille sont-ils ?

— Le plus jeune est au moins d'une trentaine de brassées...

Le silence se fit. Trente hommes bras écartés pour en faire le tour... une fortune, même pour un puissant syndic comme Aymoric.

Itaïng poursuivit.

— Notre maître est trop occupé avec son hêtre, aussi je ne l'ai pas dérangé. Mais j'aimerais beaucoup que vous y retourniez avec moi pour que vous me donniez votre avis. J'ai marqué les deux arbres et lancé les invocations nécessaires. Auriez-vous du temps libre après les festivités ?

— Oui, évidemment, s'empressa de répondre le maître-charpentier dont les yeux luisaient de plaisir.

Le charpentier d'Outre-berge n'aurait jamais le temps ni assez d'ouvriers pour s'occuper de deux arbres supplémentaires, ni même d'un seul. Cela signifiait au moins une centaine d'hommes à mobiliser puis des dizaines d'artisans pendant de longs mois. Son année était faite. La suivante aussi, avec un peu de chance. Les autres syndics savaient que cela signifiait aussi du travail, beaucoup de travail pour eux. Tout le monde en profiterait.

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant