CHAPITRE DOUZE .4

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Elle utilisa sa connaissance des lieux pour disparaître au milieu de l'assemblée, derrière un pilier et emprunter un couloir discret qui lui permettrait de descendre par un autre escalier de service, alors que les gens s'attendaient à ce qu'elle descende le grand escalier noir de monde. Le temps qu'on réalise qu'elle n'était plus là, elle serait déjà loin.

Tranit passa dans une galerie au-dessus de l'entrée et aperçut le fils Bornarou en tenue de chevalier avec deux nouveaux imbéciles.

Elle fut immédiatement persuadée qu'il l'attendait, soit pour l'humilier, mais il manquait d'intelligence pour ça, soit pour la pousser au combat, ce qui était plus dans ses cordes, parce qu'il s'imaginait plus fort qu'elle. Ses deux acolytes fixaient l'escalier principal, mais regardaient aussi vers l'arrière de l'entrée. Ils avaient peut-être quelques gros bras supplémentaires avec eux. D'un geste instinctif, la jeune femme vérifia que ses armes étaient bien là où elles le devaient, avant de poursuivre son chemin.

Tranit s'esquiva sans aucun regret, mais éprouva comme un vide en elle. Elle aurait bien aimé pouvoir parler à son père ou à sa sœur pour se soulager, s'épancher auprès des deux personnes les plus aimantes qu'elle connaissait. Elle inspira profondément pour chasser la mélancolie qui l'enveloppait et poursuivit son chemin.

L'escalier lui permettait de rejoindre le forum de manière discrète, mais la faisait passer près des montagnards du prince de Banca. Tranit s'arrêta en pleine descente et se pencha vers l'avant. Elle devina une silhouette massive postée au pied des marches. Un garde. Un homme de Bornarou, elle reconnut cette cape rouge rapiécée de noir qu'il aimait porter. Il aimait jouer des poings et de la hache.

Un peu devant lui, Tranit vit Sahix le carabinier discuter avec la lieutenante des chasseurs qu'elle avait accompagnée la veille. Les deux officiers regardaient vers l'entrée du Capitole. Ils avaient certainement entendu parler de ce qui allait lui arriver. Le jeune carabinier voulait probablement s'entretenir avec elle.

En temps normal Tranit aurait accepté, mais entre leurs manigances, leur comportement, la présence du séide de Bornarou et son état d'esprit, mieux valait ne pas y songer. Tranit se sentait des envies de violence plutôt étonnantes de sa part.

Tranit aurait aussi bien aimé s'occuper du garde et passer sa rage sur lui. En l'attaquant à l'improviste elle se savait capable de le neutraliser et de lui faire passer un sale moment. Comme pour son cousin sous la tente, elle ressentait presque physiquement son arme qui plongerait dans sa gorge et le percerait. Mais sa raison la retint et elle rebroussa chemin pour faire un autre long détour afin de rejoindre le sol et traverser le forum.

Elle passa derrière les gibets, effectivement tous occupés et puants déjà les excréments, la peur et le sang et rejoignit le passage conduisant à l'arrière de l'auberge, qui ne désemplissait toujours pas.

Une silhouette faisait les cent pas à l'autre bout et Tranit n'eut que le temps de s'arrêter avant de se sentir doucement tirer par sa manche.

— Vous êtes attendue commandant, lui glissa une petite voix. Ne bougez pas.

À l'autre bout du passage, la silhouette s'était arrêtée et regardait dans leur direction. La gamine qui venait de l'empêcher d'avancer passa devant elle et s'avança, une chope à la main.

— C'est pas pour toi mon gars ! s'écria-t-elle en la bousculant. On m'a dit pour le costaud de garde dans le passage.

Tranit vit la petite tendre une chope au garde et échanger quelques mots, certainement à son propos avant de revenir vers elle.

— Mon frère m'a demandé de vous attendre, lui expliqua-t-elle toujours à voix basse. Il y a une rumeur de bagarre entre vous et un chevalier. Il y aurait même un pilori prêt à être libéré rien que pour vous.

Tranit sentit une boule de colère lui parcourir le ventre. Elle serra les poings violemment.

— Quelle belle rumeur pour les ruffians ! Et quoi ? La boisson est droguée ? Il va s'effondrer pour me permettre de m'échapper ?

La gamine poussa Tranit vers une pile de sacs posés contre le mur.

— Non, simplement, j'ai servi la boisson à la mauvaise personne. L'écuyer d'un chevalier va l'avoir mauvaise d'ici peu et quand je lui aurais dit que ce garde a prétendu être lui, il va s'en occuper avec ses amis. Le tavernier va laisser faire, il hait les hommes de Bornarou.

La gamine s'éclipsa rapidement et Tranit se retrouva isolée parmi les passants qui traversaient le forum ou bien les clients sortant de la taverne. Elle s'affala à moitié sur les sacs et sortit sa pipe de chanvre pour se donner une certaine contenance, mais garda la main sur la garde de sa dague, prête à toute éventualité.

Tout cela était bien étrange. Ces gens qui apprenaient plus vite qu'elle ce qui se tramait à son sujet et qui décidaient de l'aider. Elle ne les connaissait que de vue, ignorait même leurs noms, ne venant ici qu'une ou deux fois par mois pour quelques instants.

Mais la petite avait dit vrai. Après quelques bouffées d'un chanvre léger, Tranit entendit un rugissement et vit le garde au bout du chemin rejoint par deux autres silhouettes. L'échauffourée ne dura pas longtemps.

Tranit s'engagea dans le passage avant que trop de gens ne viennent, attirés par les bruits. Quand elle déboucha dans la cour, le garde gisait inconscient au sol, nez et lèvres éclatées. Deux écuyers de Mourenx lui pissaient dessus en riant grassement. Ils s'arrêtèrent net en voyant Tranit, mais le tavernier s'interposa.

— C'est lui qui a commencé, officier ! Il a volé la boisson de ce brave écuyer.

La jeune femme haussa les épaules.

— Les piloris sont pleins, tavernier. Mettez-le à l'amende et corrigez-le bien, fit Tranit comme si de rien n'était.

Les deux écuyers poussèrent un rugissement de joie et s'acharnèrent de nouveau sur le garde inconscient alors que Tranit passait son chemin en adressant un petit sourire au tavernier.

Finalement, elle récupéra sa monture près de la porte qui clôturait la cour de l'auberge.

Elle décrocha sa propre cape qu'elle conservait comme couverture d'appoint, se recouvrit du vêtement gris et ôta son casque de cuir qu'elle portait sous celui d'acier de milicienne, rendu un peu plus tôt au conseil.

Pour la première fois depuis bien longtemps, Tranit ne ressemblait plus du tout à Tranit, devenue en quelques instants une chevalière anonyme parmi les centaines se trouvant en ville.

Elle remonta en selle et par la même rue prise moins de deux heures plus tôt, elle rejoignit la porte nord de Maubourguet. Le soir tombait, la première veille venait d'être sonnée. Il n'y avait plus grand monde dehors, aussi sortit-elle par la porte normale, sans attirer l'attention des miliciens présents dont plusieurs la connaissaient.

Une fois dépouillée de ses attributs militaires, elle était anonyme, invisible dans la foule, une simple cavalière comme beaucoup d'autres. Tranit refoula une envie de pleurer alors qu'elle passait sous la barbacane parmi d'autres cavaliers. Cette sortie marquait la fin d'une vie. Elle n'était plus rien et cela la troubla bien plus qu'elle ne voulait se l'avouer.

Tranit se lança au galop comme pour évacuer un trop plein d'énergie, de colère et rejoignit la porte sud d'Outre-berge en un rien de temps, sans prêter attention aux campements qui avaient éclos un peu partout le long de la piste de terre battue. Un lieutenant était là, à surveiller des volontaires et lorsqu'il leva les yeux vers elle et la reconnut, Tranit sut qu'il savait déjà.

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Vixii

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant