CHAPITRE DIX.2

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Le navire obliqua un peu plus et son flotteur gauche toucha une rive sablonneuse. Une passerelle fut prestement installée et Tranit monta sur son dorkis pour descendre à terre, suivie par les cavaliers.

En quelques instants, ils furent tous sur la petite plage alors que le catamaran retrouvait le milieu de la rivière sans aucune difficulté et poursuivait son chemin. La manœuvre était impressionnante par sa fluidité et sa rapidité.

La lieutenante divisa sa troupe en trois groupes et leur assigna des tâches bien précises. Tranit patienta un peu, les observant. La plupart des cavaliers n'avaient même pas d'arc, alors qu'en général les chasseurs étaient de redoutables archers montés. Leur chef même gardait le sien dans un carquois fiché à l'arrière de sa selle, sans se soucier de la sécurité ! Ces Montagnards étaient vraiment étrangement organisés.

Par contre, il fallait admettre que jamais Tranit n'avait vu autant de gens utiliser l'écriture. Là, des enseignes semblaient utiliser un long rouleau de parchemin qu'ils parcouraient attentivement en observant ce qu'ils voyaient autour d'eux. Deux autres semblaient manipuler des désamagar encore plus étranges que ceux utilisés la veille par le druide.

Mais après un petit conciliabule, les enseignes firent signe au lieutenant qu'ils étaient prêts. Celle-ci se tourna vers Tranit.

— Nous vous suivons commandant.

Tranit s'assura que son arbalète était bien armée et posée sur l'encolure de son dorkis puis la talonna et remonta la plage sur quelques centaines de pas avant d'emprunter un petit chemin qui menait à un gigantesque roncier longeant la berge. La lieutenante étant à ses côtés, Tranit lui donna quelques indications sur les lieux tels qu'elle les connaissait.

Les contreforts pyrénéens s'abaissaient lentement jusqu'aux baïssa, les basses terres, entourant les rivières et le fleuve, mais d'innombrables petites collines subsistaient, malheureusement trop petites pour offrir des abris viables à des communautés de quelques importances. Seul de petits manoirs, quelques fermes isolées se trouvaient sur les plus importantes d'entre elles.

La colline que Tranit avait en tête était exactement du même genre. Sa proximité relative avec Outre-berge et son manque d'arbres l'avait cantonnée dans un rôle de pâturage d'été et de terrain de chasse.

La lieutenante appelait un enseigne de temps en temps et lui donnait de nouvelles consignes qu'il notait sur une planchette.

Enfin, ils débouchèrent sur le faîte relativement bien dégagé de la colline et les cavaliers se mirent en ligne pour le parcourir au pas. Ce n'était pas très pentu, seulement recouvert de jeunes ronces, d'humus, d'herbe. Les chasseurs partirent en reconnaissance un peu partout, tandis que les enseignes semblaient discuter pour savoir comment apprécier la surface vraiment utilisable.

Tranit entraîna la lieutenante jusqu'à un petit amoncellement rocheux situé à peu près au milieu du plateau avec elle.

— Regardez, lieutenant. D'ici, nous sommes arrivés par le flanc sud-ouest de la colline. Vous avez bien vu que ce n'est pas trop abrupt, le roncier est sur un terrain assez plat, jamais inondé pour autant que je m'en souvienne.

Sur la droite, ce sentier va descendre tout doucement jusqu'à la berge du Sombrun, là où le ruisseau de la Sède le rejoint. C'est assez étonnant, mais sans qu'il y ait de guet, c'est franchissable pour des cavaliers.

C'est vraiment le seul endroit où le transport devra ralentir et manœuvrer délicatement.

La rivière fait sa jonction avec le Layza qui surgit du sol un peu plus au sud et permet de contourner le bourg et la ville par-derrière. Il doit y avoir un peu moins d'une lieue de distance. Le guet étant ce qui peut retarder le plus les déplacements.

— Est-ce très fréquenté par ici ?

— Non, en temps normal c'est vers la fin de prairial, le sixième mois que des troupeaux reviennent par ici.

— La rivière est donc au pied de cette colline, sur notre droite actuelle ?

— Oui, le lit de la rivière que nous avons empruntée est au sud, il n'y a pas une si grande distance entre l'endroit où nous avons débarqué et le guet de la Sède, une lieue, tout au plus. En suivant la rive, un bon marcheur irait de l'un à l'autre en moins de deux heures.

— Deux heures ? interrogea la lieutenante. Deux heures normales ?

Tranit eut un air étrange, tout en confirmant d'un signe de tête. Une heure était une heure.

— Oui, une matinée de marche si vous préférez.

— Mais on ne peut pas s'en assurer, il faudrait débroussailler d'abord ? demanda la lieutenante.

— Des fermiers viennent parfois mettre le feu, mais en général ils préfèrent attendre, car l'herbe ici est vraiment bien grasse et cela permet de faire du foin et de récolter une quantité de résine impressionnante et de très bonne qualité. Quant à la rive, elle est assez dégagée.

Ce qui est pratique, poursuivit Tranit, c'est que d'ici la vue vers le nord-ouest est toujours bien dégagée. Si un Escaouma jaune menace, l'alerte sera donnée à temps.

La lieutenante Ilane regarda Tranit d'un air ahuri, mais l'un de ses enseignes s'approcha d'elle.

— C'est le nom que l'on donne dans la région aux nuages chargés de miasmes. Ils sont très rares chez nous puisqu'ils suivent le relief et ne nous atteignent que très rarement.

La chasseuse hocha la tête, semblant enfin comprendre de quoi Tranit avait parlé. Celle-ci envia ces gens qui semblaient ignorer une telle menace. Vivre dans les hauteurs pouvait donc avoir des avantages ? s'interrogea-t-elle.

La jeune officière regardait les alentours et ses hommes qui s'activaient. Elle lança une série d'ordre dans ce langage bizarre que Tranit avait déjà entendu plusieurs fois et trois cavaliers partirent au petit trot par où ils étaient arrivés.

Elle voulut ajouter un mot, mais Tranit leva son bras pour l'arrêter alors que d'un regard inquiet elle parcourait le ciel.

La jeune femme était persuadée d'avoir entendu le « ka yak, ka yak » assez perçant et sec d'un oiseau de proie. Ce n'était pas un son courant dans la région, mais une fois entendu, il ne pouvait être oublié. Il était assez terrifiant d'être probablement au menu d'un faucon pèlerin.

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Vixii

Les larmes de Tranit - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant