Prologue

107 8 2
                                    

Une douce brise et un décor paisible. Je me suis habituée à cette vue, à son odeur. Il y a une montagne, entourée d'arbres étranges mais majestueux, avec leurs troncs qui s'enroulent sur eux-mêmes comme si on était spectateur d'une danse macabre d'écorces noires. Mais tout ce décor, qui me paraissait étranger autrefois, ne me paraît plus comme tel. Enfin, pour moi. Ces arbres, je les ai vus tant de fois qu'aujourd'hui, je ne les trouve plus si différents de ceux que je peux voir chez moi, ils me paraissent banals.

Je suis allongée au milieu d'une prairie, sur un tapis de mousse blanche, moelleuse, brillante et douce. Je ne trouve pas la force de me lever. Autour de moi, quelques animaux aussi étranges que le paysage se promènent en toute liberté : des chevaux avec des pattes de félins ou des familles de lapins dont le corps couvert d'écailles. Oui, je peux comprendre qu'ils peuvent vous paraître étranges.

Au loin, quelques enfants jouent tandis que leurs parents travaillent dans les champs. C'est comme si je voyageais à travers le temps et que je me retrouvais plongée dans une époque lointaine, un retour vers le passé si vous préférez. On ne peut voir aucun outil ou matériel moderne : pas de tracteur, pas de voiture, pas de moyens de transport polluant. Simplement ces sortes de chevaux tirant quelques charrues. L'air porte cette pureté et emporte avec elle une douce et agréable odeur. Pour moi, cet endroit n'est rien d'autre que le paradis, j'aime tant ce paysage où tout semble calme, paisible. J'aimerais tant y rester plus longtemps.

Je m'allonge sur ce matelas de mousse, ferme les yeux et reste comme je suis, étendue sur ce doux lit naturel. Je sens mes lèvres s'étirer en un grand sourire. Il s'agit bien de l'endroit le plus agréable que je connaisse et le seul qui me permet de m'évader un court moment de ma vie de tous les jours. Je sais qu'au-dessus de moi se dresse un ciel qui n'est pas perturbé de nuages, qu'un grand soleil aux doux rayons réchauffe la terre encore humide par la rosée du matin, que quelques oiseaux se détachent de cette toile de fond bleue.

Je garde les yeux fermés. Une chose est certaine, je connais cette scène par cœur. Je sais à quelle distance jouent les enfants, je sais ce qu'il va arriver. Je sais tout ce qui va se passer. Si cela peut vous rassurer, rien de grave n'aura lieu ici. Je le sais car cette situation... Cette situation, je l'ai vu se dérouler tant de fois, presque tous les soirs.

Vous ne me croyez pas ? Je sais, par exemple, que l'un des enfants va tomber et de mettre à pleurer. Son grand frère, inquiet de voir son frère pleurer à chaude larme, partira trouver aide et conseil auprès de sa mère. La panique la fera courir jusqu'à ce qu'elle retrouve son fils et qu'elle fasse son propre jugement de la situation. Le résultat de cette course, c'est que toute cette vive inquiétude ne se fondera que sur de simples égratignures sur des genoux. Elle les grondera, dans une langue que je ne comprends pas, avant de retourner travailler. Elle avait dû arrêter un court instant son dur labeur pour de simples bêtises. Aussitôt, l'enfant se lèvera, se séchera les larmes avant de reprendre gaiement avec son frère le cours de leur activité. Ce que je sais, c'est qu'aussitôt cette perturbation oubliée, la vie reprendra le cours des choses dans ce décor idyllique.

Toutefois, un homme viendra à ma rencontre, un homme plutôt grand. Il viendra se placer juste au-dessus de moi et lorsque j'ouvrirai mes yeux pour le voir, en essayant vainement de percevoir les traits de son visage, je sais que je n'y parviendrai pas. C'est un effort qui est et qui sera toujours inutile puisque l'homme, à chaque fois, se trouve à contre-jour. Je ne peux voir qu'une simple ombre noire, pas même une mince partie de son visage.

Pour une raison que j'ignore, mon regard ne se détache jamais de son visage pour prêter à attention à quelque autre détail chez lui. Je dois bien avouer que la situation m'intrigue beaucoup. À quoi peut-il bien ressembler ? Je dois bien avouer que je n'en ai strictement aucune idée.

Je me plais à l'imaginer certaines fois. La trentaine, le regard sérieux, un sourire au coin des lèvres, le visage plutôt avenant. Néanmoins, la situation reste compliquée. Jamais je ne pourrai voir son visage, jamais je ne pourrai savoir si je me suis trompée.

D'où je suis, il me parvient les premiers échos des pleurs de l'enfant. Le décompte peut enfin commencer.

Comme je l'ai annoncé plus tôt, je sais ce qui va arriver. La mère ne met pas longtemps avant d'arriver et de gronder ses enfants. Cette langue m'est entièrement inconnue. Là aussi, je n'ai cessé d'imaginer ce qu'elle aurait bien pu leur dire.

La mère vient de finir ses réprimandes avant de reprendre le travail. L'enfant cesse de pleurer puis laisse place à des rires. Bientôt, il sera là. Je compte les dernières secondes qui précèdent notre rencontre. Puis, enfin, je peux entendre le son léger de ses pas venir dans ma direction. Mon cœur se met à battre à tout rompre à mesure que ses pas approchent.

Le soleil ne peut plus parcourir ma peau, réchauffer mon visage. Il est près de moi, son visage juste au-dessus du mien. Je le reconnais, jusqu'à son odeur. J'ouvre alors les yeux et essaye une fois encore de pouvoir discerner son visage. Bientôt, cet instant prendra fin sans que je puisse faire quoi que ce soit. Je n'arrive toujours pas à discerner les traits de son visage et encore une fois, je me mets à espérer qu'une prochaine fois, ce sera possible. Mon cœur s'arrête alors de battre, car je sais à quel moment tout cela prendra fin.

Mais quelque chose ne va pas ce soir. Mon cœur cesse de battre un instant tandis que je distingue un changement inhabituel. La situation dure plus longtemps qu'elle aurait dû, assez longtemps pour voir la silhouette se pencher dans ma direction puis... 

FaustianOù les histoires vivent. Découvrez maintenant