Nous marchons dans la ville en ruine depuis une demi-heure. Autour de nous tout n'est que désolation, ruines et regret. Nous passons dans les mêmes rues où, à peine quelques heures auparavant, je soignais les rescapés du combat des anges et des démons. Enfin, je suppose que ce sont les mêmes rues, toutes les maisons sont en ruines, effondrées sur elles-mêmes. Ça et là, des traces de sang signalent la présence d'un cadavre sous les décombres.
Je ne sais pas comment j'ai réussi à survivre à l'effondrement de la cathédrale. Tout ce que je sais c'est que je me suis réveillée allongée sur le sol, à côté d'une étrange jeune fille. J'ai tout de suite été attirée par son visage, le visage d'un enfant, mais qui portait en lui les traces d'une éternité de tristesse, cependant je n'ai pas eu le temps de m'attarder plus longtemps qu'un étranger m'a parlé dans mon dos.
"Ah, tu es réveillée ! Je commençais à craindre que tu sois morte toi aussi. J'ai un peu soigné vos blessures, ajoute-t-il avec un sourire presque gêné."
C'est à ce moment-là que j'ai réalisé que tout mon corps me faisait souffrir. Sur mon bras droit, un bandage avait été appliqué, sans doute par l'étranger. Du travail d'amateur, mais qui faisait le boulot. Cependant je n'ai pas pu lui sourire pour le remercier, j'ai regardé autour de moi. Des décombres, des cadavres, certains atrocement défigurés par chute de la voûte, d'autres dont le visage gardait dans la mort la même expression d'horreur absolue qu'ils avaient dû avoir lors de l'effondrement du bâtiment. Je reconnus l'enfant dont je pansais les blessures, la moitié de son visage avait été arrachée par un bloc de pierre, le reste de son petit corps était disloqué par l'impact. J'ai fermé les yeux, comme pour tenter de me réveiller, mais je savais qu'il était trop tard. Je n'avais pas pu les sauver. Tous, ils étaient morts et je n'avais rien pu faire. À ce moment-là, je n'ai pas pu empêcher de larmes de passer à travers mes paupières fermées. Je me suis empressée de les essuyer, mais l'étranger les avait vues. Ce n'était pas le moment d'être faible. Je me suis alors tournée vers lui.
Ses cheveux étaient étranges, d'un vert d'algues, et leur mouvement dans le vent semblait presque aquatique.
"Je suis Neïss, comment t'appelles-tu ?
-Samoth. Et elles tu la connais ? répondit-il en désignant la jeune fille toujours allongée à côté de moi.
-Non, je me rappelle juste l'avoir vu entrer dans la cathédrale peu de temps avant mon blackout.
-Okay, on ne peut pas rester dans les décombres, il faut s'en aller. Je propose d'aller vers la mer.
-D'accord, mais sortons de la ville d'abord."
J'étais encore trop faible pour marcher, le temps que je récupère, je lui demandai d'aller chercher du bois dans les décombres pour bricoler un travois. Une fois ceci fait, nous installâmes la fille évanouie dessus et nous nous dirigeâmes vers le nord-ouest de Solaris.
Et voilà, j'ai presque complètement récupéré à présent. Avant de partir, j'ai donné à Samoth un peu de thé de Nylian, qui donne une meilleure endurance pendant quelques heures, et j'en ai pris moi aussi. Je n'aurais même pas pu me lever sinon. Maintenant, nous devons absolument trouver un endroit protégé avant que l'effet se dissipe, car quand ce sera le cas, nous allons tous les deux être pris de torpeur pendant plusieurs heures. Nous nous relayons pour tirer le travois, le thé nous empêche de ressentir la fatigue.
Nous passons devant une charrette renversée, toutes ses marchandises - de la nourriture principalement - éparpillées sur le sol noirci.
J'ai l'impression de sentir une présence sous le bois de la charrette, une présence vivante, fugitive. Mais nous n'avons pas le temps de courir après des fantômes. S'il y a réellement un survivant là dessous il finira bien par nous rejoindre.
Nous croisons d'autres ombres dans les ruines fumantes. Certaines toutes petites, comme des enfants. D'autres, imposantes. Aucune d'entre elles ne nous interpelle. Nous évoluons dans un monde à part, une bulle un rêve. Avec une seule ligne d'objectifs : sortir de la cité, trouver un abri, manger, dormir.
Qu'est-ce que tu es en train de faire Neïss ? À fuir seule comme une traîtresse alors qu'il y a dans cette cité des centaines d'âmes qui ne demandent que ta main pour être sauvées.
Ça y est, je me mets à me parler à moi-même, logiquement je vais bientôt éclater de rire sans raison. Et c'est ce que je fais, un rire froid et qui sonne faux à mes yeux, un rire triste. Samoth me regarde bizarrement, je détourne les yeux.