Chapitre 1

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La fête était somptueuse, sans le moindre doute. Le couple Hawks n'avait pas hésité à dépenser une petite fortune en champagne et amuse-bouche. La suite, qui se situait au 12ème étage du luxueux hôtel Cameron, accueillait en cette soirée de septembre une trentaine d'invités triés sur le volet. Tous étaient issus de riches familles d'industriels, de banquiers, d'éleveurs, d'acteurs talentueux, tous étaient à leur place dans cet univers fait d'argent, d'or et de paillettes.

Sauf elle.

Elle, elle n'était pas comme eux. Même si elle avait appris à le masquer. Elle portait des robes splendides, comme ce soir-là. Elle était magnifique dans sa longue robe pailletée d'or, elle le savait. Tout le monde le lui avait fait remarquer, comme si elle était inconsciente de sa grâce et de sa beauté. Elle savait se tenir, elle parlait d'une voix claire et assurée et pouvait discuter sur un bon nombre de sujets que bien d'autres femmes ne connaissaient pas. Bref, elle savait se comporter comme une parfaite lady.

Mais elle n'en était pas une.

Elle, elle était une actrice. Une très bonne actrice puisque personne ne s'est jamais rendu compte qu'elle n'avait jamais côtoyé leur monde avant de se faire remarquer par les producteurs à succès. Elle savait jouer la comédie, elle savait plaire, elle savait se construire une image lisse et parfaite. Mais au milieu de tous ces hommes et femmes riches et élégants, elle ne se sentait tout simplement pas à sa place. Elle ne faisait pas partie de leur univers, malgré tous ses efforts pour leur faire miroiter le contraire.

Elle s'était un peu isolée de la foule, une coupe de champagne bien remplie à la main. Depuis la fin de la prohibition, quelques mois plus tôt, l'alcool était à nouveau autorisé à la vente. Bien que cela ne change pas grand-chose. Peu furent les Américains à avoir respectés cette loi. Mais à présent, plus personne n'avait à se cacher.

Elle manquait d'air. L'ambiance de cette fête qui s'éternisait devenait de plus en plus pesante pour la jeune femme.

Elle profita qu'un serveur passe tout près d'elle avec son plateau pour y déposer son verre encore plein et se dirigea vers le balcon de la suite. Elle passa devant un groupe de jeunes hommes, probablement des fils de banquiers, car leur discussion portait sur des comptes en banque bien remplis, mais n'eut pas l'occasion de faire un pas de plus. L'un d'eux l'interpela et tous se pressèrent autour d'elle pour lui dire à quel point elle était ravissante, belle, parfaite, qu'elle serait prochainement l'actrice la plus demandée de tous les Etats-Unis et plus encore... avec cette nonchalance qui leur correspondait si bien. Elle esquissa un énième sourire, à la fois gêné et flatté, leur lança une plaisanterie avec une légèreté déconcertante qui les fit rire et s'esquiva sur le balcon en espérant que personne ne vienne la déranger.

« Enfin de l'air ! » songea-t-elle en prenant de grandes respirations. L'air froid de ce début d'automne lui fit beaucoup de bien. La nuit était tombée depuis bien longtemps et les lumières de Chicago brillaient comme des milliers de petites lucioles, aussi vives que les étoiles.

Elle s'approcha de la balustrade et regarda en bas. Même à cette heure tardive, des voitures continuaient de circuler et des piétons flânaient sur les trottoirs, probablement qu'ils n'allaient pas tarder à rentrer chez eux. Depuis son perchoir, tout lui paraissait minuscule. Cela lui donna un sentiment de puissance, même si ce n'était qu'une illusion.

Elle s'alluma une cigarette et laissa les volutes de fumée s'élever vers le ciel. Elle éprouva un soudain sentiment de nostalgie. Elle était entourée d'amis et d'admirateurs, elle menait la vie dont elle avait toujours rêvé et pourtant, rien ne pouvait venir à bout de cet ennui qui rongeait ses journées. Elle n'arrivait même plus à se souvenir de ce qu'était sa vie avant qu'elle ne parte pour Chicago, loin de sa famille, loin de ceux qui comptaient vraiment à ses yeux.

- April ?

Elle sursauta et se retourna. Un homme venait de sortir sur le balcon et la regardait avec attention. Un très bel homme qu'elle connaissait bien.

- Rex. Salua-t-elle simplement.

Elle retourna à sa contemplation de la ville et sentit son producteur s'accouder à la balustrade juste à côté d'elle, son coude frôlant sa main.

- Est-ce que tout va bien ? Demanda-t-il.

La jeune fille pouvait sentir l'inquiétude qui perçait sa voix.

- Je vais bien. Répliqua-t-elle d'une voix douce.

Elle l'avait convaincu, il se redressa.

- Tu n'es pas à la fête ? S'étonna-t-il.

- Non. J'avais besoin d'air frais.

- Tu n'as pas trop forcé sur l'alcool, au moins ?

April éclata de rire et le fixa de ses grands yeux clairs.

- Tu trouves que j'ai trop bu ?

Il fit la moue, dubitatif :

- Avec toi, je ne sais jamais.

- Tu me connais, pourtant.

- Je crois te connaître, nuance.

April cessa de sourire et détourna le regard. Son talent pour la comédie était à la fois un avantage et un inconvénient. Si elle était capable de tromper le monde qui l'entourait en se faisant passer pour ce qu'elle n'était pas, elle trompait également ses amis.


 

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