Chapitre 14

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Chelsea longea le couloir à pas lents, perdue dans ses pensées. Cette conversation avec le producteur l'avait bouleversée, elle devait bien l'admettre. C'était dur de parler de sa sœur défunte. Et Rex Rosay semblaient beaucoup tenir à elle. Elle n'avait pas vraiment digéré la façon grossière avec laquelle il l'avait accueillie mais elle se dit qu'il existait plusieurs méthodes pour faire face à un deuil. Probablement que son père, Alma et Victor portaient des vêtements noirs et adressaient des prières au Seigneur chaque jour. Elle, elle menait l'enquête. Et Rex passait son temps à hurler sur ses employés.

A chacun sa méthode.

Elle ne savait pas si cette conversation l'avait aidée ou, au contraire, l'avait embrouillé. Peut-être que Rex n'était pas sincère quand il disait ne pas savoir qu'April allait quitter le cinéma ; après tout, il savait qu'elle voulait partir pour la Louisiane. Avait-il peur qu'elle s'en aille, et avec elle tous les bénéfices qu'il tirait de sa gloire ? Était-ce un bon mobile pour un meurtre ?

Chelsea estima que oui.

Rex Rosay était pour elle un suspect potentiel.

Elle sortit son carnet et nota :

Listes des suspects :

1) Rex Rosay

2) Rita Hall

3) Admirateurs

Elle en profita également pour raturer le point cinq qui venait d'être réglé. Elle savait qui était ce R. Rita Hall.

Elle ne savait pas très bien pourquoi elle l'avait mis en tête de sa liste de suspects alors qu'elle ne l'avait jamais rencontrée. Mais il y avait quelque chose en elle qui ne lui plaisait pas. Et elle s'était disputée avec April lorsque cette dernière lui avait volé plusieurs rôles. C'était également un mobile possible...

Elle poussa un long soupir et décida d'aller voir la maquilleuse personnelle d'April. Peut-être allait-elle découvrir d'autres éléments qui lui permettraient d'avancer en discutant avec elle ?

Mais lorsqu'elle se retrouva face à cette timide maquilleuse en pleurs, la question ne se posait pas. Il était pratiquement impossible de lui tirer la moindre phase cohérente.

- Joyce, s'il vous plaît...Dit-elle avec toute la patience dont elle pouvait faire preuve. Je voudrais simplement vous parler de ma sœur.

- Oui...Mademoiselle April...Elle était...Oh, elle était si...si gentille... Sanglota-t-elle dans son mouchoir.

Elles étaient dans une loge inoccupée. Celle d'April était verrouillée et avait déjà été fouillée par la police. Chelsea avait réussi à approcher la pauvre maquilleuse qui était encore dans tous ses états. Elle avait les nerfs à fleur de peau et la moindre allusion à April la plongeait dans de violents sanglots.

- Elle vous parlait d'elle ? Demanda-t-elle avec douceur.

- Non...très peu...Ah, elle m'a dit...qu'elle détestait...le chocolat...

Chelsea détourna la tête pour que la maquilleuse ne puisse voir le sourire qui avait fendu ses lèvres. Ce détail, elle l'avait presque oublié. Mais April avait toujours détesté le chocolat, sous toutes ses formes, mêmes les plus raffinées.

- Elle vous parlait de quoi ? Poursuivit-elle avec plus de sérieux.

- Elle...me posait beaucoup de questions...sur...Owen.

- Owen ? Répéta-t-elle, les sourcils froncés. Qui est-ce ?

- Mon...fiancé. Répondit la pauvre maquilleuse. Elle voulait savoir...comment les choses allaient...

- Ah. Marmonna Chelsea, un peu déçue. De rien d'autre ?

- Je sais qu'elle avait... quelques admirateurs...mais...elle n'en parlait pas beaucoup...elle recevait parfois des cadeaux, c'était des petites attentions...rien de sérieux...

Chelsea réfléchit à vive allure. Elle voyait déjà plusieurs possibilités qui s'offraient à elle.

- Les cadeaux étaient livrés ici même, dans sa loge ?

- Oui...je crois...

- Vous avez vu qui les déposaient ? Demanda-t-elle encore, plus pressante. Un technicien ? Un acteur ? Un inconnu ?

- Pour tout vous avouer...j'en ai vu un, une fois...Murmura-t-elle. J'étais arrivée avec un peu de retard...et je l'ai aperçu sur le seuil de la loge...je me souviens qu'il en sortait et April le remerciait pour un cadeau bien emballé qu'elle avait dans les mains. Je ne sais pas si c'est lui qui offrait toutes ces attentions...

- De quelle manière lui a-t-elle dit au revoir ?

- Euh...elle lui a serré la main, avec un sourire...poli...

Chelsea resta un long moment silencieuse. C'était une piste intéressante qu'il lui faudrait creuser.

- Vous pourriez me le décrire ?

- Pourquoi ? Demanda Joyce.

Elle hésita :

- Peut-être que je le connais. Mentit-elle honteusement.

Fort heureusement, Joyce sembla se contenter de cette explication car elle répondit :

- Il était de taille moyenne. Assez mince, les cheveux sombres. Il portait un beau manteau et des gants.

- Un homme avec des moyens financiers. Conclu Chelsea.

Pour la première fois, Joyce se permit de sourire :

- Vous savez mademoiselle Russell, tous les hommes qui couraient après votre sœur avaient les moyens financiers de lui offrir tout ce qu'elle désirait. D'autres actrices en auraient profité, mais pas April. C'était une femme simple...

Elle se moucha bruyamment.

- Est-ce que vous ai été utile ? Demanda-t-elle d'une voix mal assurée. J'ai du travail qui m'attend...

- Oui, bien sûr ! Lui sourit-elle. Vous pouvez y aller. Je vous remercie beaucoup.

Elle lui sourit timidement et quitta la loge d'un pas précipité, abandonnant Chelsea à ses pensées.

Elle n'aurait jamais imaginé que parler à ceux qui avaient côtoyés sa petite sœur pouvait se révéler aussi intéressant. Et aussi compliqué.

- Tu as quand même mené une vie dissolue après ton départ. Murmura-t-elle à l'adresse d'April. Tu ne m'as pas facilité les choses !

Pourquoi avait-il fallu qu'elle devienne actrice ? Pourquoi avait-il fallu qu'elles ne se parlent plus depuis deux ans ? Pourquoi avait-il fallu une lettre pour que Chelsea décide de reparler à April ? Pourquoi avait-il fallu qu'elle ait tant de secrets ?

Pourquoi avait-il fallu qu'April meure pour que Chelsea s'intéresse à elle ? C'était de loin la question la plus douloureuse qu'elle avait à se poser.

Et à celle-ci, elle n'obtiendrait probablement jamais de réponse, si ce n'est la culpabilité.


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