Chapitre 13.1

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Rex avait l'air profondément bouleversé par la disparition soudaine de son actrice. Chelsea s'adoucit mais décida de ne pas se laisser berner :

- Cela faisait longtemps que vous travailliez avec April ?

- Deux ans environ. Elle était maquilleuse dans un des autres bâtiments. Notre rencontre était le fruit du hasard.

- Elle maquillait ?

- Oui.

Il éclata de rire devant sa mine stupéfaite :

- Oh, vous savez, c'est rare de trouver un rôle quand on vient de débarquer ! Surtout que le cinéma de Chicago est une vaste institution. Il y a beaucoup de demande pour peu d'offre. Souvent, on doit commencer tout en bas de l'échelle. C'est ce qu'a fait April. Un jour où elle s'ennuyait, elle s'est déguisée et a piqué une crise. J'ai assisté, malgré moi et malgré elle, à ce spectacle. Je repère les gens talentueux à des kilomètres et du talent, April n'en manquait pas !

C'était donc de cette anecdote qu'April parlait dans sa lettre.

- Elle était heureuse ? Demanda-t-elle.

C'était une question qu'elle se posait depuis plus de deux ans. Sa petite sœur avait été très évasive dans sa lettre et Chelsea voulait en avoir le cœur net.

Rex tira une dernière bouffée de fumée avant d'écraser sa cigarette.

- Je crois que oui. Répondit-il, son sourire s'effaçant légèrement. Au début, elle l'était. Mais...ces derniers mois, elle était plus...distante.

- Quelque chose qui la perturbait ?

- April était très secrète. Comme je l'ai dit à la police, je ne la connaissais finalement pas si bien que ça. Elle ne parlait pas de sa vie privée. Elle a envoyé quelques lettres les dernières semaines avant sa mort, chose qu'elle n'avait jamais faite auparavant.

- Vous savez qui étaient ses destinataires ?

- Non. Je vous le répète, Avril ne se confiait pas à moi. Ni à personne d'autre, d'ailleurs. Quoique...

- Quoique ? Répéta Chelsea.

- Vous devriez poser vos questions à Joyce. C'était sa maquilleuse attitrée. Je crois qu'elles s'entendaient bien.

- J'irais volontiers la voir, si vous me le permettez.

- Bien sûr.

Rex jeta un nouveau coup d'œil à la photographie qu'il tenait toujours entre ses mains. Un sourire nostalgique apparut sur ses lèvres.

- Ça fait bien longtemps que je n'ai plus revu cette photo. Murmura-t-il. C'était l'une des premières soirées mondaines à laquelle j'ai emmené April. Elle adorait ces fêtes...

Il se tut, perdu dans ses pensées. Chelsea laissa le silence envelopper le lieu quelques minutes avant de reprendre :

- Vous l'aimiez ? Demanda-t-elle.

Quand il croisa son regard, elle y vit une franche méfiance :

- Dans quel sens du terme ? Répliqua-t-il.

Le ton de sa voix était devenu plus froid. Chelsea haussa les épaules, nullement impressionnée :

- Vous semblez proches sur cette photo. Et derrière, il y a une phrase signée R. Je ne fais qu'émettre l'hypothèse que c'est vous qui le lui avez écrit.

Rex lu les mots inscrits derrière la photo. Il hocha négativement la tête.

- Ce n'est pas moi qui ai écrit ça.

- C'est qui ? La femme ? Ou le photographe ?

- Elle, c'est Rita Hall. C'était une amie d'April. A l'époque de la photo.

- Parce qu'elles ne le sont plus ?

Le producteur eu un regard éloquent.

- Comme je vous l'ai dit, le monde du cinéma est très dur. Il faut beaucoup travailler et avoir beaucoup de talent pour pouvoir rester sous les feux des projecteurs. April avait un charme que Rita n'avait pas. Elle était certes nouvelle, mais elle l'a très vite évincée. Elle a volé plusieurs rôles à Rita.

- Et je suppose qu'elle n'a pas du tout apprécié. Commenta Chelsea.

- Je ne vous le fait pas dire. Approuva-t-il. Elles se sont disputées et Rita est partie. Elle joue dans des théâtres à présent.

- Et ça rapporte moins que le cinéma.

- En effet.

Chelsea réfléchit à vive allure. Était-il possible que cette Rita soit la coupable ? Qu'elle ait tué sa sœur par jalousie ? Elle ne la connaissait qu'à travers une photographie et le portrait que Rex en faisait mais elle était sûrement du genre à être très rancunière.

- Vous pensez qu'elle en veuille toujours à April ? Demanda-t-elle.

- Je ne sais pas. Ça fait plus d'un an que je ne l'ai plus revue. Mais je ne pense pas qu'elle lui en veuille au point de vouloir la tuer. Ajouta-t-il en fronçant les sourcils, comme s'il avait deviné sa pensée.

- Si vous le dites. Vous savez où je peux la trouver ?

Il haussa les épaules.

- Probablement au White Horse. C'est un club qui se situe pas loin du quartier du Loop.

- Je vous remercie.

Elle se leva pour prendre congé du producteur mais une autre question lui vint à l'esprit :

- Est-ce qu'April vous a dit qu'elle souhaitait quitter le cinéma ?

Rex semblait abasourdi.

- Quitter le cinéma ? Répéta-t-il sans comprendre. Démissionner ? Elle ne l'aurait jamais fait !

Chelsea se tordit les mains, mal à l'aise.

- Je crains de vous décevoir, mais April m'a avoué dans une lettre qu'elle souhaitait quitter le cinéma et Chicago pour une autre vie.

- C'est ridicule ! Tempêta Rex. April était beaucoup trop douée, être actrice était son rêve ! Et où serait-elle partie ? Elle n'avait nulle part où aller ! Elle...La Louisiane ! S'écria-t-il soudain, comme prit d'un éclair de lucidité.

La jeune femme le regarda, perplexe.

- Elle vous a parlé de cette maison en Louisiane ? Demanda-t-elle.

- Oui...une fois, après une soirée...marmonna Rex, les sourcils froncés, tournant soudain en rond dans la pièce. Il y a un mois environ. Elle était ivre, je l'ai ramené à sa chambre d'hôtel et elle m'a demandé...si c'était beau la Louisiane...je m'en souviens maintenant ! S'écria-t-il. C'était donc ça !

Il cessa de faire les cents pas et regarda à nouveau Chelsea. Il avait l'air si hébété qu'elle hésitait entre l'amusement ou la pitié.

- Elle voulait partir...Chuchota-t-il. April serait partie...

Il s'assit sur la seule chaise de libre et se prit le visage entre les mains. Chelsea ne bougea pas, ne sachant si elle devait le laisser seul ou rester pour le réconforter.

- Je suis désolée de vous l'apprendre. Murmura-t-elle.

Il émergea de ses mains. Il semblait soudain avoir vieilli de dix ans, tellement il paraissait fatigué.

- Ce n'est rien...Marmonna-t-il. J'aurais dû m'en apercevoir...j'aurais dû insister pour qu'elle se confie à moi...J'aurais pu l'aider...

- Vous n'auriez rien pu faire pour la dissuader de partir. Dit-elle avec amertume. April était ainsi ; elle suivait ses rêves jusqu'au bout. Croyez-moi, je sais de quoi je parle...

Elle lui adressa un sourire triste, reprit la photographie et quitta la pièce, laissant le producteur seul avec son chagrin.


 

Deux SoeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant