Chapitre 1.1

233 24 4
                                    

Rex était son ami et aussi son producteur. C'était lui qui l'avait repéré et avait fait d'elle ce qu'elle était aujourd'hui. Elle lui devait tout.

Si April était venu s'installer à Chicago, c'était pour devenir actrice. Mais les événements ne s'étaient pas produits comme elle l'avait espérée. Qu'est-ce qu'elle s'était imaginée ? Qu'elle allait débarquer comme une fleur sur un plateau de télévision, que tout le monde s'extasierait sur son talent de comédienne et qu'on allait lui donner le premier rôle sur-le-champ ?

On ne lui proposa pas le moindre rôle mais un petit travail en tant que maquilleuse. Elle avait commencé comme ça, en coulisse, en maquillant les femmes qui avaient déjà de l'expérience dans le domaine et qu'elle jalousait secrètement, sans cesser de sourire et de faire semblant que tout ça lui convenait.

April était une très bonne comédienne.

Et Rex était arrivé. Il travaillait pour un autre studio et avait un rendez-vous avec les membres de la direction pour laquelle April travaillait. Il était venu en avance, comme à son habitude. Pour passer le temps, il avait flâné dans le studio. Et il l'avait vue.

Elle aussi était arrivée en avance. Elle avait préparé ses affaires de maquillage et attendait que les autres maquilleuses et techniciens arrivent à leur tour.

Elle ne savait pas ce qui lui était passé par la tête, mais elle avait eu envie de s'amuser, quitte à se faire surprendre et renvoyée par ses employeurs. Elle s'était maquillée avec des poudres bleues et orange, avait peint ses lèvres délicates avec un rouge vif et ébouriffé ses longs cheveux blonds. Elle avait revêtu une tunique marron et avait éclaté de rire en se contemplant dans le miroir. Une vieille femme de chambre sur ses vieux jours. Voilà à quoi elle avait pensé quand elle se voyait dans le miroir. Et elle avait joué le rôle à la perfection, criant, grondant et pestant contre la poussière qui s'était accumulée dans les coulisses :

- Mais enfin ! Qu'est-ce que c'est que ces simagrées ? Maugréa-t-elle d'une voix grinçante. Qui est le responsable de ce capharnaüm ? Combien de fois faut-il expliquer que les vestes vont avec les vestes et non pas avec les pantalons ? Je refuse de travailler dans ces atrooooooces conditions ! Je me plaindrais à la direction, vous voilà avertis !

C'est en posant un regard mécontent à la pièce qu'elle avait remarqué la présence de Rex. Il était sur le seuil, figé, bouche-bée. April s'était également immobilisée, surprise de trouver quelqu'un à une heure aussi matinale dans les studios. Elle avait senti son visage devenir aussi rouge que ses lèvres, se trouvant soudain ridicule.

- Oh...je...vous....Avait-elle bredouillé.

Elle n'avait jamais eu l'occasion de terminer sa phrase. Elle ne savait d'ailleurs toujours pas ce qu'elle avait voulu dire à ce moment-là.

Cet homme, élégant, charismatique, avait soudain éclaté de rire. Il était plié en deux et riait sans retenue. April avait continué de le regarder, atrocement gênée. Elle avait voulu disparaître à jamais. Il ne fallut pas moins de dix minutes pour que Rex ne retrouve son calme et son aplomb habituel.

- Mademoiselle, je vous félicite pour votre prestation. Avait-il déclaré en applaudissant. Je ne me suis jamais autant amusé qu'en cet instant !

April n'avait rien répondu. Elle était retournée vers sa boîte à maquillage et s'appliqua à nettoyer son visage des poudres colorées. Rex l'avait regardé s'activer, sans se défaire de son sourire.

- Vous avez du talent. Avait-il continué.

Elle avait haussé les épaules. C'était sûrement un compliment de sa part mais elle n'en n'avait pas tenu compte. L'humiliation était bien trop cuisante.

- Vous feriez une bonne actrice.

Elle s'était tournée vers lui et l'avait regardé droit dans les yeux.

- Je ne souhaite pas me lancer dans une carrière de clown, monsieur.

Il avait souri :

- Ai-je une tête à travailler dans un cirque ?

- Les apparences sont trompeuses, monsieur. Je n'ai pas la tête d'une actrice.

- Dommage.

Elle avait froncé les sourcils, déstabilisée par cette remarque. Rex avait sorti sa carte de visite et l'avait posé sur la table de maquillage de la jeune fille.

- Si vous changez d'avis... Avait-il murmuré avec un sourire des plus charmants.

Il s'était légèrement incliné devant elle et avait quitté la pièce. April était resté quelques instants immobile avant de se décider à prendre la carte. Elle y avait lu « Rex Rosay ». Elle ne savait pas qui était cet homme. Mais de toute évidence, elle était la seule dans ce cas. Lorsqu'elle avait demandé autour d'elle qui était Rex Rosay, les réactions ne se firent pas attendre :

- Tu ne sais pas qui est Rex Rosay ? S'était écriée une autre maquilleuse, offusquée.

- C'est un des plus grands producteurs de Chicago ! Avait rétorqué un technicien, levant les yeux au ciel devant la naïveté d'April.

- Il a l'œil pour trouver les meilleurs acteurs !

- Des gens tueraient pour travailler une journée avec lui ! Avait renchérit une autre maquilleuse en désignant l'une des actrices sur le plateau d'un signe de tête éloquent.

Le soir même, April avait pris sa décision et téléphona à Rex Rosay.

- Oui ?

Même à l'autre bout du fil, il avait une voix agréable.

- Bonsoir...c'est moi...

- Qui donc ? S'étonna-t-il poliment.

April s'était giflée mentalement.

- Moi, répéta-t-elle d'une voix plus cassante. Enfin...la femme de ménage complètement folle et ridicule qui vous a fait rire ce matin dans les coulisses du...

Un éclat de rire avait retentit à l'autre bout du fil.

- Bien sûr ! Ma nouvelle actrice ! J'ai cru que vous ne m'appellerez jamais.

- Vous étiez sérieux, ce matin ? J'ai vraiment du talent ?

- Oui. Vous souhaiteriez qu'on se voie pour discuter de votre carrière naissante ?

- Je...oui.

- Bien. Donnez-moi votre adresse, mon chauffeur viendra vous chercher.

- Il est inutile de...

- J'insiste.

- Bon...

Elle lui avait communiqué l'adresse à laquelle elle logeait avec sa colocataire, la voix tremblante. C'était la première fois qu'on allait venir la chercher en voiture ! Et avec le chauffeur de Rex Rosay en prime !

- Oh ! Une dernière chose...Avait intervenu la voix de Rex.

- Oui ?

- Quel est votre nom ?

- April.

- April...répéta-t-il. Je vous souhaite une bonne nuit et je me réjouis de vous retrouver demain.

- Merci. Et, euh...à quelle heure votre chauffeur viendra-t-il me chercher ?

- Est-ce déraisonnable de vous demander d'être prête pour huit heures ?

- Il serait déraisonnable de vous répondre non.

Rex éclata de rire à nouveau.

- J'aime votre humour, April.

- J'aime vous entendre rire, Monsieur Rosay.

Deux SoeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant