Chapitre 30

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Chelsea ne voulut pas croire les dires de l'inspecteur Daniels. Elle était restée un long moment immobile, incapable du moindre geste, tentant vainement d'assimiler l'annonce qu'il venait de lui faire. Puis, elle s'était mise à crier. Elle avait hurlé, l'avait même injurié, faisant tourner de nombreuses têtes dans sa direction mais elle se moquait bien des conséquences. Il avait accusé son frère. Il avait osé accuser Victor ! C'était impensable, il y a avait forcément une erreur.

Personne n'avait gardé contact avec April depuis son départ. Victor moins que les autres. Il lui en avait voulu, il n'avait jamais accepté le fait qu'April devienne une actrice plutôt qu'une épouse modèle et une mère exemplaire. Non, il n'aurait pas gardé contact avec elle. Et il ne lui aurait pas non plus offert un bracelet en or et en pierres précieuses ! Il y avait une erreur. Ou le bijoutier était un menteur.

Pourtant, quand l'inspecteur revint avec l'acte d'achat du bracelet, signé par Victor Russell avec la preuve qu'il avait dépensé deux cents cinquante Dollars pour acquérir ce dernier, Chelsea dû se rendre à l'évidence : Son frère avait gardé contact avec April. Il lui avait mentit.

- Je suis dans l'obligation de l'arrêter. Marmonna l'inspecteur, sincèrement navré.

- Il doit y avoir une explication. Murmura-t-elle, la tête entre les mains. C'est impossible qu'il ait...Il n'a pas pu...

- Je suis vraiment désolé, mademoiselle Russell. Ajouta-il d'une voix compatissante. J'aurais préféré que votre frère ne soit pas sur la liste de nos suspects mais au vu des éléments dont je dispose, je dois l'interroger.

- Je...je comprends. Chuchota-t-elle. Vous faites votre travail...

- Mes hommes sont déjà en route pour Milwaukee. L'informa-t-il. Ils ont en mandat d'arrêt contre lui et ils le ramèneront d'ici le début d'après-midi. Vous souhaitez assister à l'interrogatoire ?

- Non. Répliqua-t-elle en frémissant. Je ne veux pas le voir avec des menottes aux poignets. Je ne veux pas prendre le risque d'entendre ses aveux...ce serait trop dur.

- Bien. Essayez de vous reposer en attendant son arrivée.

"Se reposer"...Comment aurait-elle pu se reposer en sachant que son frère lui avait mentit et qu'il était peut-être coupable du meurtre de leur petite sœur !?

L'attente était atroce. Elle tournait en rond dans le bureau de l'inspecteur, jetant des coups d'œil réguliers à sa montre. Bon sang ! Ce que le temps passait long !

Après de longues heures interminables, l'inspecteur revient la voir, le visage fermé.

- Mes hommes sont revenus. Annonça-t-il. Votre frère est déjà en salle d'interrogatoire.

Elle hocha raidement la tête. Il poursuivit :

- Il refuse de parler.

- Comment va-t-il ? Demanda-t-elle.

- Il semble perdu. Répondit-il. Il refuse de dire quoi que ce soit. Et malheureusement, je suis revenu avec deux autres indices qui l'accusent.

- Qu'avez-vous trouvé ? Demanda faiblement Chelsea, au bord de la nausée.

Elle redoutait ce qu'il allait lui annoncer. L'inspecteur reprit la parole avec beaucoup de tact :

- Mes hommes ont eu l'autorisation de fouiller la maison de Victor Russell. Et ils ont trouvé ceci.

Il sortit de sa poche une feuille chiffonnée et la lui tendit. Chelsea la prit en tremblant. Il y avait plusieurs phrases raturées mais une seule était lisible, écrite par la main de son frère, menaçante :

« Si tu en parles, à qui que ce soit, je te jure que je reviens à Chicago et je te le ferais payer. »

Chelsea pâlit et dû s'assoir pour ne pas s'évanouir. Elle était sous le choc. Était-ce vrai ? Ou est-ce que toute cette histoire n'était qu'un affreux cauchemar ?

- On l'a trouvé dans la corbeille à papier. Est-ce que c'est l'écriture de votre frère ?

- Oui...

- Bon...De toute évidence, votre frère l'avait écrite à l'adresse de quelqu'un de bien précis.

- Je...ne comprends...plus rien...Murmura-t-elle en sentant les larmes monter aux yeux.

- Et ce n'est pas ça le pire. Marmonna l'inspecteur.

- Qu'est-ce qui peut être pire qu'une lettre de menace ?

- Ceci.

Cette fois, il sortit de sa poche...un pistolet. Chelsea le reconnu aussitôt : C'était un Mauser C96 de calibre 9 mm. Le même que leur père leur avait montré à son retour de guerre et qu'il avait jeté quelques jours plus tard.

- C'est...l'arme du crime ? Balbutia-t-elle.

- La balistique va nous le dire dès qu'elle aura fait quelques tests. Mais c'est le même modèle et le même calibre. Ça ne plaide pas en faveur de votre frère.

Il poussa un long soupir :

- J'ai une hypothèse, si vous souhaitez l'entendre...Commença doucement l'inspecteur.

Elle haussa les épaules, abattue.

- Au point où j'en suis...

- Admettons : Il y a des années de ça, quand votre père revient de la guerre, il ramène une arme. Il vous la montre mais il se rend compte que c'est une erreur et la jette. Mais il ne soupçonne pas que Victor a récupéré l'arme et qu'il la garde avec lui, cachée dans ses affaires.

- C'est la seule explication que je vois. Comment aurait-il été en possession de cette arme, sinon ?

- En effet. Les années passent, vous grandissez. April part pour Chicago et ne semble pas vouloir revenir. Mais Victor garde contact avec elle. Il va la voir de temps en temps à Chicago et décide de lui offrir un cadeau. Il entre dans une bijouterie, achète un bracelet et le lui offre. Le temps passe mais il finit par remarquer qu'April est de plus en plus étrange. Elle lui annonce qu'elle souhaite partir en Louisiane. Pour Victor, cette annonce sonne comme un deuxième abandon. De plus, il la soupçonne d'avoir découvert certains de ses secrets, comme par exemple qu'il a gardé l'arme de son père. Il veut lui écrire une lettre de menace mais ne l'envoie pas.

- Pourquoi ?

- Peut-être parce qu'il est sûr qu'April parlera. Il ne veut prendre aucun risque. Il retourne à Chicago avec le Mauser dans sa poche et tue April.

Un long silence s'écoula.

- C'est une histoire complètement folle ! S'exclama-t-elle.

- Mais elle tient la route, non ?

- Certes...mais il y a quelque chose qui ne joue pas dans votre version des faits.

- Qu'est-ce qui ne joue pas ?

- Que Victor puisse avoir tué April, c'est déjà inconcevable ! Mais qu'il ait cherché à nous tuer pour garder son secret...

- S'il a déjà tué l'une de ses sœurs, pourquoi ne tuerait-il pas la deuxième ?

Chelsea secoua la tête, horrifiée :

- Ne dites pas des choses pareilles ! Il va parler, il va dire que ce n'est pas lui !

- Je suis le premier à vouloir entendre sa version des faits. Mais il est resté muet depuis qu'on l'a emmené. Il refuse de parler.

- Peut-être puis-je lui parler ? Suggéra-t-elle. Peut-être qu'il se confiera à moi ?

- Peut-être. Mais sentez-vous prête à entendre ce qu'il a à vous dire ? Il est possible qu'il soit coupable, et que vous ne pourrez pas encaisser cette vérité-là.

Elle redressa les épaules.

- Je me sens prête.


Deux SoeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant