Chapitre 29

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Elle rejoignit l'inspecteur dans le hall d'entrée. Il semblait encore furieux.

- Alors ? Demanda-t-il dès qu'il l'aperçut.

- Je crois qu'on va devoir l'innocenter. Répondit-elle. Pour le moment.

Il poussa un grognement tandis qu'ils retournaient dans la voiture.

- Ce jeu du chat et de la souris commence à m'agacer sérieusement !

- Je vous comprends. Murmura-t-elle tristement. Mais on ne peut pas accuser Vallone sans preuves. Pas plus qu'on ne peut accuser McKinley. Nous sommes donc revenus à la case départ.

- C'est bien ça qui m'agace. Rétorqua-t-il, acide. On a des suspects mais rien de tangible ! On n'a pas retrouvé l'arme du crime, on a plusieurs mobiles mais pas la moindre preuve !

- April ne nous a pas facilité la tâche. Soupira-t-elle tristement.

- Je doute qu'elle pensait qu'elle allait se faire assassiner. Commenta l'inspecteur.

- Certes. De toute manière, que notre coupable soit Vallone ou McKinley, nous devrons clore l'enquête. Si j'ai bien compris, personne ne va passer les menottes à des hommes aussi puissants.

- Malheureusement. Soupira-t-il. Moi, je le ferais avec plaisir. Une personne qui commet un délit doit être puni en conséquence, que ce soit un homme, une femme, un mendiant, un bourgeois, un jeune ou un vieux. Mais aucun de mes supérieurs ne l'accepterait.

Il fit démarrer la voiture et il s'engagea dans le trafic. Chelsea laissa une minute de silence s'écouler avant d'oser :

- Pourquoi ? Demanda-t-elle. Je n'arrive pas à comprendre comment des policiers, des gardiens de l'ordre, ne veulent pas protéger les citoyens !

L'inspecteur hésita légèrement :

- Souvent, c'est parce qu'ils ont peur. Répondit-il. Les hommes de Vallone et de McKinley sont partout. Et ils savent beaucoup de choses. Ils savent où le commissaire habite, ils savent quels lieutenants vont manger dans quel restaurant, ils savent où les enfants de quel inspecteur vont à l'école. Certains connaissent même le nom de l'épouse du juge. Ces hommes savent viser les points faibles et les exploiter au maximum. Alors forcément, certains n'ont pas envie de les arrêter, de peur qu'ils s'en prennent à leur famille.

Et d'autres cas, c'est pour les avantages et les profits. Un policier qui ferme les yeux sur une transaction peut facilement recevoir de l'argent en échange de son silence. Un commissaire qui laisse tranquille des hommes tels que Vallone ou McKinley à de bonne chance de se faire inviter à dîner par ces derniers et de côtoyer les sphères du pouvoir.

- Vraiment ? Murmura Chelsea, mal à l'aise.

L'inspecteur lui lança un regard lourd de sens.

- Tout le monde peut s'acheter. Répondit-il gravement. Il suffit juste d'y mettre le prix.

- Et vous ? Quel est votre prix ? Demanda-t-elle.

- Un cigare cubain.

- Vous plaisantez !

- Naturellement. Contrairement à bon nombre de mes collègues, je ne suis pas corruptible. Je suis veuf, je n'ai pas d'enfants. J'ai bien un frère aîné mais ça fait dix ans que je ne l'ai plus revu et il doit être quelque part au fin fond du désert texan. Bref, on ne peut pas me faire du chantage.

- Vous n'avez donc aucun point faible ? C'est étonnant. Répliqua-t-elle, narquoise.

- Je suis une force de la nature. Assura-t-il.

- Ça saute aux yeux.

Ils éclatèrent de rire.

L'inspecteur se gara devant le département de police et aida Chelsea à descendre.

- Et maintenant ? Demanda-t-elle en reprenant son sérieux. Qu'allons-nous chercher ?

- Ce que nous n'avons pas encore trouvé. Répliqua-t-il en entrant dans le bâtiment.

- Ça va faire beaucoup de travail. Commenta-t-elle.

- En effet.

Ils retournèrent donc dans le bureau de l'inspecteur pour se remettre aux tâches qu'ils avaient abandonnées. Chelsea nota sur le tableau noir plusieurs raisons qui auraient pu pousser Rita Hall ou Rex Rosay, leurs deux suspects restants, à commettre un meurtre.

Pour Rita, c'était assez facile à trouver : c'était une peste. Elle aurait fait n'importe quoi pour reprendre le rôle qu'April lui avait volé et revenir sous les feux des projecteurs. Même à commettre un meurtre. Chelsea était certaine que Rita en aurait été capable. Comme elle la détestait ! Mais l'inspecteur avait raison quand il disait qu'elle s'emportait. Il n'y avait pas la moindre preuve que Rita aie tué April. De plus, elle n'avait probablement pas eu assez de force pour balancer le corps de sa sœur par-dessus la rambarde du pont. Il lui aurait fallu un complice...et cela aurait pu être Rex Rosay, ou n'importe quel autre homme qui flattait l'ego de l'actrice en échange de ses faveurs.

Car Rex aussi aurait pu avoir une bonne raison de tuer April s'il savait qu'elle allait quitter le cinéma pour aller vivre en Louisiane. Si elle était partie, il aurait perdu une fortune. Mais dans ce cas, tuer April ne lui aurait servi à rien...A moins que ce ne soit un crime passionnel ? Ou qu'April avait découvert quelque chose sur Rex qui nécessitait qu'elle se taise définitivement ?

C'était décidemment un véritable sac de nœuds !

- On tourne en rond ! Grogna-t-elle.

Elle jeta la craie sur la table et s'affala dans une chaise, dépitée.

- Certes. Marmonna l'inspecteur, tandis qu'il composait un numéro de téléphone. Je vais recontacter le bijoutier au sujet du bracelet, peut-être va-t-il nous aider ?

- Dans ce cas, il faut qu'il nous donne un indice exceptionnel ! Marmonna-t-elle, de mauvaise humeur.

- Comme quoi, par exemple ? Demanda-t-il distraitement.

- Comme le nom d'un suspect qu'on n'aurait jamais soupçonné, par exemple ! Répliqua-t-elle d'un ton enflammé.

- C'est peu probable. Fit-il remarquer avec un sourire narquois.

De l'autre bout du fil, quelqu'un lui répondit.

- Bonjour, inspecteur Leroy Daniels à l'appareil. Se présenta-t-il rapidement. J'ai essayé de vous joindre hier mais vous étiez absent...Oui... J'aimerai vous poser quelques questions à propos d'un bracelet assez rare que vous auriez vendu...C'est dans le cadre d'une enquête criminelle, monsieur, j'espère que vous comprenez donc l'importance que j'accorde à votre témoignage ?...Je vous remercie...Oui, c'est de celui-là que je parle...Pourriez-vous me dire à qui vous l'avez vendu ?...Quel nom, vous dites ?...Vous en êtes absolument sûr ?...Vous avez conservé le certificat d'achat ?...La police pourra-t-elle le récupérer ?...Bien...Je vous remercie...Bonne journée.

Il raccrocha et le silence se fit.

- Vous avez une piste ? Demanda Chelsea sans détourner les yeux du tableau.

- Malheureusement, oui.

Elle le regarda, surprise. L'inspecteur était très pâle et l'observait avec un étrange regard.

- Que se passe-t-il ? S'inquiéta-t-elle.

Il prit une grande inspiration avant de répondre :

- Vous parliez à l'instant d'un suspect qu'on n'aurait pas jamais soupçonné...et bien, on l'a.

- Vraiment ? S'étonna-t-elle.

- Oui. Mais je doute que vous voudriez savoir de qui je parle.

- Bien sûr que si ! Répliqua-t-elle aussitôt en bondissant de sa chaise. C'est peut-être cette personne qui a tué ma sœur ! Il est évident que je veuille connaître son identité !

L'inspecteur avait vraiment l'air gêné.

- Et bien...la piste du bracelet – celui que votre sœur portait le jour de sa mort- me mène directement à votre frère, Victor Russell.


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