Chapitre 26.1

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Qu'est-ce que c'était encore cette histoire abracadabrante ? C'était pour cette raison qu'April voulait quitter le cinéma ? Pour se lancer dans le crime organisé ? Chelsea admettait que sa sœur avait toujours été hors-conventionnelle mais là, c'était beaucoup trop improbable pour qu'elle y croit !

- Oui, j'ai employé votre sœur en temps qu'espionne. Répéta-t-il.

- Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? S'écria-t-elle, éberluée.

- Une histoire touchante. Une histoire d'amitié et d'amour.

- Vous plaisantez ! Cria-t-elle en se levant d'un bond.

Mais il l'apaisa immédiatement.

- Je vous en prie, mademoiselle, gardez votre calme. Si vous faites trop de bruit, mes hommes se sentiront obligés d'intervenir et il serait regrettable que cette conversation se termine de façon...brutale. De plus, si vous vous sentez en colère, ce n'est pas contre moi qu'il faut l'être.

- Ah non ? Répliqua-t-elle en le fusillant du regard.

- Vous avez rencontré Owen. Dit-il en désignant la porte derrière laquelle le jeune homme avait disparu au début de l'entretien. C'est contre lui que vous devriez être en colère car c'est lui qui est à la cause de toute cette histoire.

Chelsea prit une grande inspiration pour se forcer au calme et se rassit docilement. Quand elle reprit la parole, sa voix était ferme :

- Est-ce que vous pourriez m'expliquer ?

- Certainement. C'est pour cette raison que nous avons cet entretien, non ?

Il souriait à nouveau.

- Owen est un bon gars mais c'est aussi un idiot romantique. Je ne suis pas contre le principe, moi-même étant marié. Mais Owen est tombé amoureux de la mauvaise femme.

- Joyce ? Demanda-t-elle en se souvenant de la jeune fille éplorée qu'elle avait rencontrée aux studios de Rex Rosay.

Il fit la moue, comme s'il avait mangé quelque chose de très amer.

- Oui. C'était la maquilleuse de votre sœur si je ne me trompe pas. Je ne voulais pas qu'Owen la fréquente. Elle n'est ni Irlandaise, ni catholique.

- Deux qualités indispensables pour une femme, donc. Résuma Chelsea avec un sourire narquois.

- En effet. J'avais l'intention d'aller la voir, de lui expliquer mon point de vue et qu'elle se rende compte qu'elle avait meilleur temps de mettre un terme à cette relation.

- Bref, soit elle obéissait, soit elle en subissait les conséquences, c'est ça ?

- Je sens un reproche dans votre voix. Commenta-t-il. Mais peu importe. J'ai mes raisons d'agir de la sorte et je n'ai pas à me justifier. Je ne sais pas comment April a été mise au courant pour cette visite. Peut-être est-ce Owen, peut-être est-ce Vallone, peut-être est-ce simplement l'intuition féminine. Toujours est-il que votre sœur a débarqué ici et n'a pas hésité à me menacer si j'osais m'approcher de cette maquilleuse. Votre sœur avait beaucoup de cran. Ajouta-t-il avec un sourire. Elle n'a pas bronché, même quand tous mes hommes ont braqués leurs armes sur elle.

Chelsea arrivait parfaitement à s'imaginer a scène ; April, crachant des injures et des menaces à un dirigeant de la pègre irlandaise avec une dizaine de carabines et de pistolets braqués sur elle.

- Vous ne l'avez pas tué ?

- Je vous avoue que j'ai hésité à l'abattre moi-même. Personne n'avait jamais osé me parler sur ce ton, pas même mes hommes ! Alors une jeune fille...

Il soupira.

- Mais elle avait beaucoup de courage. Et j'aime bien les gens qui disent ce qu'ils pensent. J'ai donc passé un marché avec elle. Je laissais Owen et sa chérie tranquilles si elle espionnait Vito Vallone pour moi.

- Et April a accepté ? S'étonna-t-elle, incrédule.

- Elle n'a pas hésité longtemps. Votre sœur était de toute évidence une amie loyale.

- Pourquoi devait-elle espionner Vallone ?

- Parce qu'il est l'un des plus hauts dirigeants de la pègre italienne et c'est mon ennemi. Vous n'avez pas besoin d'en savoir plus.

- Etes-vous conscient que c'est peut-être sa mission d'espionnage qui est la cause de la mort d'April ?

- Vallone n'aurait pas touché un seul de ses cheveux. Et il n'aurait pas donné l'ordre de la tuer.

- Je n'en suis pas sûre.

- Il était amoureux d'elle. Assena-t-il avec une grimace. April était devenue sa maîtresse avec une déconcertante facilité. Il la couvait de bijoux, de bouquets, de poèmes et l'emmenait dîner dans les restaurant les plus luxueux de la ville. Votre sœur a joué le jeu, comme l'actrice talentueuse qu'elle était. Elle m'a transmis tout ce qu'elle avait appris de Vallone et cela m'a été bien utile.

- Elle travaillait encore pour vous lorsqu'elle a été tuée ?

- Non. Trois jours avant qu'on ne la retrouve dans le fleuve, elle est revenue me voir, elle m'a donné les dernières informations qu'elle avait obtenues et m'avait annoncé qu'elle arrêtait. Elle voulait rompre avec lui, elle voulait quitter le cinéma et partir loin, isolée.

- Et vous l'avez laissé partir ? S'écria Chelsea, stupéfaite. Comme ça ? Sans plus d'explications ?

- Je n'avais pas besoin de plus d'explications. Et pourquoi l'aurais-je retenue ? Grâce à elle, j'avais appris en une semaine bien plus de choses sur Vallone que mes espions en trois mois d'infiltration. Elle avait rempli sa part du contrat et j'ai rempli la mienne. On s'est quitté en bons termes et je n'ai plus entendu parler d'elle jusqu'à ce que je lise les journaux le jour où on a découvert son corps.

Il poussa un infime soupir :

- C'est bien triste ce qu'il lui est arrivé. Je l'aimais bien cette gamine. Un peu trop insolente et téméraire mais c'était une femme qui méritait d'être connue.

Chelsea resta silencieuse un long moment.

- Qu'est-ce qui me prouve que vous me dites la vérité ? Demanda-t-elle, méfiante.

- Rien du tout. Répliqua-t-il. Il va falloir me faire confiance sur parole.

- Je ne pense pas que je peux le faire.

- Tant pis pour vous ! Déclara-t-il en haussant les épaules. Mais dites-moi franchement ; si j'étais le meurtrier d'April, pourquoi aurais-je perdu mon temps à vous inventer des mensonges alors qu'il aurait été tellement plus simple de vous faire disparaitre de la même manière ?

Chelsea marqua un temps de réflexion.

- Vu sous cet angle...Marmonna-t-elle. Pourtant, vous disiez vouloir me tuer tout à l'heure.

- Parce que je ne savais pas qui vous étiez. Répliqua-t-il. Mais je n'ai aucune raison de le faire à présent.

Il se leva à nouveau et alla ouvrir la porte. La jeune femme comprit qu'il était temps pour elle de prendre congé de son hôte. Elle se leva à son tour et sortit du bureau. Elle quitta McKinley avec une franche poignée de main et il lui chuchota encore :

- Vous ne savez rien de moi et les informations que je vous ai données vont peut-être vous permettre de coincer l'assassin de votre sœur. Votre cause est noble, mademoiselle Russell. Chez les Irlandais, la famille, c'est sacré. Vous pouvez les transmettre à cet inspecteur mais je vous déconseille de les rapporter plus loin. J'ai des relations dans les plus hautes sphères du pouvoir et votre parole ne pèsera pas lourd contre la mienne.

- C'est...très prévenant de votre part. Marmonna-t-elle. Merci pour l'avertissement.

- Encore un conseil ; ne vous confiez pas à n'importe qui. Cette ville est dangereuse pour ceux qui ne suivent pas les règles. Et vous, vous êtes une brebis dans une fosse aux lions. Un seul faux pas et c'est la fin.

- Je...merci. Balbutia-t-elle, sans savoir s'il s'agissait réellement d'un conseil, d'une mise en garde ou d'une menace.


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