Chapitre 15.1

89 16 0
                                    


Chelsea trouva le White Horse avec une déconcertante facilité. Elle n'eut même pas besoin de demander son chemin. Un taxi l'avait déposée non loin du quartier et elle avait fait le reste du chemin à pied.

"Je m'y retrouve de mieux en mieux dans cette maudite ville." Commenta-t-elle intérieurement.

Le bâtiment dans lequel se trouvait le club était étonnamment...banal. Il n'y avait rien qui le distinguait des autres immeubles de la rue si ce n'est un écriteau lumineux qui formait les lettres White Horse.

Elle se présenta au portier d'une voix polie et demanda si elle pouvait entrer. Il lui rétorqua que si elle avait l'intention de consommer, c'était possible. Il avait jeté un vague coup d'œil curieux à ses habits mais n'avait pas fait le moindre commentaire et lui avait ouvert la porte.

Elle traversa un hall d'entrée décoré sobrement. Un épais tapis rouge recouvrait le sol, quelques plantes en pot décoraient le lieu et des lampes éclairaient la pièce. Une lourde porte se trouvait au fond, derrière laquelle elle pouvait entendre de la musique. Chelsea prit une grande inspiration et poussa l'un des battants.

La salle était très vaste et remplie de monde. Le sol était recouvert du même tapis rouge qu'à l'entrée, des colonnes d'un style impérial soutenaient le plafond légèrement voûté, des fauteuils en cuir sombre étaient dispersés dans tout l'espace dans lesquels des hommes d'affaires fumaient ou buvaient des verres d'alcool que leurs apportaient des serveurs et un bar bien garni était situé au fond de la salle.

Elle aperçut Rita Hall non loin du bar, en compagnie de plusieurs hommes. Elle était aussi belle que sur la photo, avec des cheveux d'un brun sombre et savamment coiffés, un teint de porcelaine, des lèvres pulpeuses surlignées de rouge, une robe noire et sobre qui mettait en valeur ses courbes généreuses. C'était une très belle femme. Malgré tout, Chelsea ne pouvait s'empêcher de ressentir un sentiment d'antipathie envers elle.

Elle la trouvait beaucoup trop vulgaire. Provocante dans sa posture, dans les sourires qu'elle adressait aux hommes présents, dans sa façon de se mouvoir. C'était le genre de femme que Chelsea aurait préféré ne jamais rencontrer.

Et pourtant, elle était là, dans cette salle où elle n'avait indéniablement pas sa place. Sa présence était déplacée dans cet endroit. Avec son manteau refermé jusqu'au col, sa petite robe sage, son visage dénué de tout artifice, elle ne se sentait pas à l'aise.

"Quitte cet endroit !" Hurla une voix dans sa tête après avoir surpris le regard d'un homme d'affaire qui l'observait avec un intérêt grandissant et qui avait l'âge d'être son père.

Elle esquissa un geste de recul, presque instinctivement. Au même moment, elle entendait le rire éclatant de Rita Hall, de l'autre côté de la salle.

"Non. Je ne peux pas renoncer." Se rabroua-t-elle.

Elle n'était pas de celles qui renonçaient aussi facilement. Elle n'allait pas se laisser déstabiliser par des regards hautains ou insistants. Elle était là pour April. Ce fut donc d'un pas assuré qu'elle s'approcha de Rita Hall qui était toujours en grande discussion avec deux hommes d'affaires.

- Mademoiselle Hall ? Appela-t-elle d'une voix ferme.

Ils interrompirent leur conversation et se tournèrent vers elle. Comme elle s'y attendait, Rita lui lança un regard dépourvu de bienveillance, à la limite du mépris. Pourtant, l'actrice lui sourit. C'était un sourire hypocrite, mais un sourire quand même.

- Et qui la demande ? Rétorqua-t-elle d'une voix feutrée.

Elle avait un timbre de voix beaucoup plus grave que ce que Chelsea s'était attendue. Elle se présenta :

- Chelsea Russell.

Les yeux outrageusement maquillés de l'actrice s'écarquillèrent légèrement.

- Russell ? Répéta-t-elle.

Elle la détailla du regard, les sourcils froncés. Elle devait sans doute chercher une quelconque ressemblance avec April. Elle ne dû pas la trouver mais murmura toutefois :

- Je vois...

L'un des hommes intervint :

- Tu connais cette personne, Rita ? Demanda-t-il en jetant un coup d'œil hautain à Chelsea.

- Veuillez m'excuser. Lui sourit-elle, charmeuse. J'en ai pour une minute.

L'autre homme fit un signe de tête et se détourna vers le bar pour commander un autre verre, imité par son ami. Toujours avec le sourire aux lèvres, Rita indiqua un coin un peu à l'écart de la foule et Chelsea la suivit. Elles s'installèrent dans un canapé et Rita se servit d'un autre verre avec la bouteille qu'elle avait gardé dans les mains.

- Champagne ? Proposa-t-elle en lui lançant un regard interrogateur.

- Non merci.

- Il est directement importé de France. Insista-t-elle.

Chelsea mourrait d'envie de lui rétorquer "et alors ?", mais elle se retint. Elle supposa que si Rita Hall indiquait la provenance du champagne, c'était pour lui faire remarquer que la bouteille était très chère et qu'il aurait été impoli de refuser une coupe.

- Juste un verre, dans ce cas. Accepta-t-elle à contrecœur.

Rita lui servit une coupe de champagne et la lui tendit. Elle leva le sien, comme si elle voulait porter un toast.

- Je ne sais pas si je dois être ravie de rencontrer une autre Russell ou si je dois être furieuse. Commenta-t-elle.

- Je suppose que la première vous a fait passer l'envie d'en rencontrer une autre ?

- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler. Rétorqua-t-elle sans se défaire de son sourire.

Chelsea remarqua toutefois que son ton était devenu nettement plus froid.

- J'ai discuté avec Rex Rosay. Répliqua-t-elle d'un ton calme qui lui signifiait clairement qu'il était inutile de lui mentir.

Rita fit une grimace.

- Ah. Répliqua-t-elle. Vous avez parlé à Rex, c'est ça ? Je suppose qu'il vous a dit tout le mal de moi ?

- Ce qui m'intéresse, c'est votre point de vue.

- A propos de quoi ? Je n'ai rien à vous dire.

- Je veux simplement savoir comment était April de son vivant.

Rita arqua un sourcil.

- C'est tout ? Vous auriez mieux fait de rester auprès de Rex, lui qui idolâtrait cette petite dinde d'April ! Vous n'entendrez que des éloges venant de sa part. Mais pas de moi.

- Vous étiez amies, pourtant.

Chelsea sortit de son sac la photographie et la lui donna. Elle était persuadée d'avoir aperçu une lueur de nostalgie dans son regard mais cet éclat s'estompa presque aussitôt.


 

Deux SoeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant