Chapitre 8

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Leroy Daniels était un homme occupé. Il venait une heure plus tôt au département de police et repartait bien après ses collègues avec le sentiment de frustration de n'avoir pas beaucoup avancé durant sa journée. Pourtant, ses supérieurs ne tarissaient pas d'éloges à son sujet : inspecteur de police depuis cinq ans, il avait plus d'arrestations à son actif que la plupart de ses collègues. C'était un homme de vingt-huit ans, à la mâchoire carrée, aux yeux vifs et aux épaules larges. Il était d'un caractère attentif, soigné, dynamique, efficace, plus à l'aise sur le terrain que dans la paperasse administrative. Il accueillait les témoins et les victimes avec tact et bienveillance, les criminels et les voyous avec sévérité.

Depuis le temps qu'il travaillait au département de police, depuis le temps qu'il voyait des scènes de crimes et qu'il écoutait les témoignages larmoyants des victimes et de leurs familles, depuis le temps qu'il écoutait les aveux des meurtriers se sentant plus ou moins coupables selon les affaires, il aurait dû perdre la naïveté des Bleus. La naïveté de penser qu'on peut sauver tout le monde. Mais peu importait le nombre d'arrestations qu'il réussissait ; il y aurait toujours des criminels et des policiers, des meurtriers et des victimes, des gentils et des méchants. On ne pouvait pas sauver tout le monde. Mais c'était plus fort que lui, il avait envie d'aider le monde.

Il aurait voulu aider April Russell.

L'appel du département l'avait tiré du lit. Son collègue, Henry Ward, l'avait averti qu'il y avait une jeune fille qui avait été retrouvée au bord du fleuve par deux témoins. Leroy se serait rendormit aussitôt si Ward ne lui avait pas appris qu'elle avait été assassinée d'une balle dans le ventre.

Il s'était dépêché sur la scène du crime, avait découvert le corps sans vie de la pauvre jeune femme, avait vérifié que des photos de la scène soient prises, s'était assurée qu'elle soit conduite en toute discrétion à la morgue, avait écouté les deux témoins (deux hommes qui rentraient chez eux après quelques verres au bar), avait pris leur déposition au département de la police et avait cherché l'identité de la jeune femme.

Cela ne prit guère de temps car l'une des secrétaires, Margaret, qui était aussi une cinéphile invétérée, aperçut l'une des photos du corps et ne leur révèle, bouleversée, qu'il s'agissait d'April Russell, une jeune actrice talentueuse.

Leroy Grant devait donc enquêter sur la mort suspecte d'une actrice. La tâche s'annonçait compliquée.

Le dossier venait d'atterrir sur son bureau, avec les quelques éléments qu'ils avaient à leur disposition. Les photos de la scène du crime et du corps, le rapport d'autopsie qui confirmait qu'elle avait reçu un coup de feu au ventre, les témoignages des deux hommes qui l'avait découverte et pas la moindre piste à exploiter pour trouver le meurtrier.

Il ne savait pratiquement rien sur sa victime. La plupart des informations qu'il reçut vint de Margaret qui était une excellente source concernant la vie professionnelle et privée d'April Russell. Elle avait vingt ans, elle travaillait dans les studios de Rex Rosay, l'un des plus grands producteurs dans le milieu, n'avait aucun fiancé, aucune liaison, aucune famille. Bref, à part ses collègues, personne à avertir de son tragique décès. Il ne s'y connaissait pas beaucoup en matière de cinéma, mais il savait que les acteurs et actrices aimaient étaler leur vie privée aux yeux de tous et les journalistes en faisaient leurs choux gras. Mais ce n'était apparemment pas le cas d'April Russell.

Même si ses informations lui étaient d'un grand secours, cela ne lui permit pas d'avancer d'avantage dans l'affaire. Il n'avait pas le moindre suspect en vue.

Il repassa les quelques photos de la jeune femme. Même dans la mort, elle restait très belle. Elle avait encore une bague en argent à sa main et une fine montre au poignet. Les deux objets devaient bien valoir plusieurs centaines de Dollars chacun. Il songea avec un certain réconfort qu'il pouvait éliminer la piste d'un vol qui aurait mal tourné.

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