I. Une mission des plus étranges

212 9 7
                                    




Esval s'avança d'un air enjoué et tira de sa harpe ses plus douces harmoniques, caressant le silence de la nuit froide au cœur de ces profondes vallées. Résonnait au loin, comme pour l'accompagner, le chant de quelque créature aux intonations fort moins poétiques que celles de notre ami :

"Je te rejoins ma belle vers ces vastes forêts

Dans les lumières de l'aube qui te rendent éternelle

Où chaque arbre en son cœur renferme ton secret

Où les fougères dansent je te rejoins ma belle

De tes nuits étoilées il n'est d'autres splendeurs

Quand les loups sous la lune chantent ta beauté

Quand le ruisseau murmure pour ne rien éveiller

Et la gracieuse effraie veille sur tes hauteurs

Je franchirai mille monts seul et sans monture

Et pour toit je n'aurai que tes cimes enneigées

Pour repas l'eau de source de tes vertes vallées

Et pour unique joie celle de te contempler

Souveraine Nature"

Avant qu'il n'entamât une autre tirade, notre bourru compagnon Hoggar manifesta dans un grognement guttural son mécontentement d'avoir été tiré de son sommeil. Ce qui, par une étrange coïncidence, mit aussi fin aux hurlements des loups. La nuit reposait à nouveau dans son écrin de silence. La lumière des dernières braises faiblit puis s'éteignit doucement et notre campement replongea sous les pâles lueurs de deux petites lunes bleutées.

À l'aube, nous devions lever le camp et reprendre notre route.

Bien avant l'aurore, les habitants de ces vallées vierges de toute civilisation entamaient leur symphonie, composée de chants d'oiseaux, de bruits de becs frappant l'écorce, de branchages qui s'agitaient, et ponctuée parfois du râle de quelque bête en quête de compagnie. Alors seulement, le jour embrasait de sa lumière les profonds sous-bois et entraînait d'autres mélomanes ailés, poilus, à quatre pattes, sans pattes du tout ou munis d'un nombre de pattes indéterminé, arborant différentes fourrures, plumages et pelages jusqu'aux plus extravagants, à prendre part à cette merveilleuse polyphonie naturelle improvisée. Autant dire qu'avant même que les premiers rayons de soleil ne vinssent caresser votre armure, vous étiez déjà sur vos jambes, bien éveillé, prêt à vous défendre contre toute attaque d'un de ces musiciens de mauvais poil, plume, écaille ou carapace...

Ces forêts dont la canopée pouvait culminer à plus de deux cents mètres recouvraient la majeure partie de la plaque continentale principale de cette planète. Elles bordaient de hauts plateaux arides qui étendaient leur désert jusqu'aux pieds des immenses chaînes montagneuses de l'Alghurinda Coronis.

Nous avions quitté le port de Tahat Ossar depuis douze lunées et faisions route, mes compagnons et moi, vers ces sommets.

Cette mission avait été initiée par un message des plus étranges que j'avais reçu. Il émanait d'un ordre qui siégeait au sein d'une cité-monastère perdue dans ces montagnes.

Ce message contenait pour toute information l'urgence de la situation et la réquisition de mes services sous le sceau de Vijā Saati, l'Alliance Universelle secrète pour laquelle j'œuvrais.

Les Forêts d'AcoraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant