37. Aucune échappatoire

7 3 1
                                    

Il avait été projeté hors de son siège et gisait sur le sol ardent de la salle des commandes. Tous les contrôles étaient dans le rouge. Le vaisseau était sérieusement touché et en plus des tirs essuyés le saut hyperluminique avait aggravé les dommages au niveau de la propulsion.

Il se releva péniblement dans les vapeurs des fluides de refroidissement. Ceux-ci pouvaient le maintenir hydraté quelques heures encore. Il trouva quelques rations de récupération dans une tablette médicale et les ingurgita sans chercher à savoir ce qu'elles contenaient. Le signal d'alerte strident lui vrillait les oreilles. Il sauta dans le siège de pilote et ralluma les réacteurs. Il ne fallait pas s'éterniser ici. Le vide sidéral le plus absolu enveloppait l'appareil. Pas la moindre étoile ne constellait l'espace. Yathko ne put malgré cela s'empêcher de pousser un cri de victoire. Az582 avait retrouvé sa liberté. Il ne savait pas où il se trouvait, dans quelle galaxie, quel système ? Ni comment il tiendrait jusqu'au prochain astroport avec des réserves d'oxygène aussi basses... mais il était libre.

Le répit fut de courte durée.

— Appareil inconnu en approche rapide, appareil inconnu en approche rapide, répéta la voix du processeur.

— C'est pas possible !

Il mit une fraction de seconde pour comprendre.

— Ils m'ont collé un traceur.

Il alluma la transmission et ordonna :

— Vaisseau en approche, veuillez vous identifier.

Pour toute réponse l'astronef dissipa son champ de furtivité. Le fuselage noir qui se dessina dans le vide était si affûté qu'il aurait pu certainement éperonner n'importe quelle sorte de blindage. Il en identifia immédiatement l'origine :

— Un Fajugh !

Il y eut un feulement sourd dans le transmetteur. Cela prit quelques secondes au droïde interprète pour traduire :

— « Coupez vos réacteurs et ouvrez vos sas de jonction. »

Yathko n'avait jamais eu affaire à un Fajugh. Il connaissait les rumeurs qui couraient selon lesquelles ils avaient prêté allégeance à la Lune noire. Et il savait aussi qu'ils étaient les pires des assassins. Mais ce genre de choses qui aurait pu saisir d'effroi le commun des mortels ne lui faisait pas beaucoup d'effet, lui qui avait grandi sur Tsebōra, dans les bas-fonds, où il avait lui aussi appris à tuer pour survivre.

— Écoute-moi bien, l'enténébré, il va falloir que tu viennes me chercher, espèce de tumeur purulente de Nrödull !

Solketsine n'avait pas l'habitude de parlementer. Tous ses contrats se déroulaient dans l'uniformité, la perfection rectiligne. Il n'avait jamais failli et ça n'était pas aujourd'hui qu'il allait commencer.

La prime pour ce Tsaddha vivant était doublée par rapport à celle qu'il empocherait pour ce même Tsaddha congelé. Et même s'il était l'un des tueurs les plus impitoyables de toutes les régions libres, il avait une épouse et quatre petits rejetons qui avaient déjà un solide appétit. Le choix était donc évident.

Solketsine observa quelques secondes le vaisseau mnémorg, guettant avec curiosité la moindre de ses oscillations.

Le Fajugh devina que Yathko allait rallumer sa propulsion hyperluminique. Il déduisit qu'il avait perdu la raison.

Il modifia son injonction et se rapprocha pour s'accrocher au vaisseau.

Traduction de l'interprète biomécanique à bord du croiseur mnémorg :

— « Une dernière fois, ouvrez vos sas de jonction. Votre vie restera sauve. »

Un froissement métallique puissant se fit entendre dans le vaisseau. Le chasseur fajugh venait de se verrouiller sur le flanc du croiseur. La manœuvre empêchait toute tentative de fuite.

C'était sans compter avec la détermination du Tsaddha.

Yathko réenclencha aussitôt la propulsion principale et simultanément poussa à fond sur les magmoréacteurs. L'accélération phénoménale arracha l'intercepteur qui partit en tonneaux incontrôlés et fit voler une partie de la coque du croiseur en éclats. Yathko parvint à s'extraire du champ de tir du Fajugh, semant derrière lui une traînée de pièces arrachées de sa carlingue.

Le sursis fut de courte durée. Solketsine se rétablit dans un râle et rattrapa sa cible en quelques secondes.

Yathko tenta une dernière fois de se localiser.

— Comment c'est possible ?! gueula-t-il.

Il n'avait rien en visuel, pas le moindre astéroïde.

Il lui fallait au moins quatre corps célestes en orbite pour trianguler une position sur le cartographe qu'il venait d'installer. Au bout de quelques longues secondes, le vaisseau finit par détecter un système extrêmement éloigné. Le processeur le compara avec toutes les configurations astrales existantes répertoriées dans l'atlas cosmique, puis se mit à énumérer froidement les planètes du système où Yathko venait de terminer son vol-lumière :

— Goranda... Lenddu... Shirgo... Brazno... Kirgē... Ulma.

— Pas d'étoile ??! Foutue machine ! cria Yathko en cognant sur les instruments de bord. Si nous étions dans un système, il nous serait difficile de ne pas voir de soleil !!

Solketsine attendait. Il semblait se délecter de la peur qui envahissait peu à peu le Tsaddha. Il l'entendait depuis son cockpit maudire le sort qui s'acharnait contre lui. Un rictus sinistre se dessina sur son visage.

*

Le souffle lugubre du Fajugh s'éleva dans le bureau du général Krolōv.

— « Je tiens votre Tsaddha, général. »

— Parfait. Quelle est votre position ?

— « Votre fugitif a eu la malchance de finir sa course en Kalentis. »

— Bien. Ramenez-le-moi au plus vite et n'oubliez pas le croiseur.

— « Je vais l'amener sur notre lune, certains de mes frères veulent examiner ce qu'il contient, général. »

Le militaire fit un effort pour se contrôler.

— Vous ne respectez pas les termes de notre contrat, Solketsine !

— « Les termes de notre contrat sont respectés, général. Vous semblez ne pas en connaître toutes les clauses. Votre prisonnier a été récupéré en Kalentis, où il restera en transit pour analyse... Selon ses dires, et après vérification, votre Tsaddha porte en lui une charge active de métamatière. Ce qui pourrait constituer une menace pour notre galaxie. Il sera maintenu sur Kūolom jusqu'à ce que nous décidions de vous le livrer comme convenu. »

Le Fajugh coupa la communication et s'adressa à son prisonnier :

— « Tu aurais mieux fait de garder le silence, Tsaddha. »

Yathko tentait de discerner le Fajugh dans l'obscurité à travers la glace du caisson dans lequel il l'avait enfermé.

Il avait joué sa dernière carte.

— « Ce que tu as fui n'est rien à côté de ce que mes frères vont te faire subir. »





Rappel : les Fajughs sont originaires de Kalentis, une galaxie où toutes les étoiles sont éteintes. Ils évoluent donc au sein de systèmes qui ne connaissent pas la lumière.

la Lune Noire : caste de sorciers jyolothes qui ont pour dessein de soumettre tous les systèmes de Tleïssia à leur emprise maléfique.


Les Forêts d'AcoraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant