39 Mutation

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— Placez-le dans une cellule du dédale.

Les douleurs semblaient avoir définitivement cessé et Yathko trouvait le caisson cryogénique dans lequel il était captif plutôt confortable. Il éprouvait ce sentiment sûrement parce qu'il avait conscience de ne pas être congelé. En soi, être congelé n'avait rien de déplaisant puisque l'on ne ressentait plus rien du tout. Ce qui posait problème étaient les phases de décongélation et de réveil, hasardeuses et extrêmement douloureuses... Dans les cas où l'on se réveillait bien sûr.

Les chasseurs de primes et les contrebandiers de tissus organiques ne se souciaient pas du confort de leurs marchandises.

Solketsine entra et salua en s'inclinant la silhouette qui se tenait assise à terre. Elle semblait méditer en contemplant les armes disposées en demi-cercle face à elle.

— Le prisonnier est un Tsaddha, maître. Il attend d'aller en salle d'analyse. Voulez-vous assister aux examens qui vont être pratiqués ?

— Un Tsaddha ?

— Oui, maître.

— Et selon vous, il serait porteur de l'engeance similoïde ?

— C'est certain, j'ai moi-même procédé à un contrôle à bord de mon vaisseau.

— Intéressant. Et comment ce Tsaddha peut-il... être encore un Tsaddha, en portant ce qu'il porte en lui ?

— C'est justement à cette question que les praticiens vont répondre, maître.

— Solketsine, tu attises ma curiosité.

— Nous n'avions jamais été confrontés à un tel spécimen.

— Laisse-moi deviner... Le Mnémolab, c'est ça ?

— Oui, un fugitif que je devais reconduire sur la station mnémorgue.

— Un fugitif. Nous pourrions en tirer un bon prix. Qu'en penses-tu, Solketsine ?

— Ce qu'il a en lui pourrait avoir beaucoup plus de valeur, maître. Il faut prendre le temps d'évaluer ce qu'il contient.

— Très bien. Allons voir de plus près ce Tsaddha répliquant.

Yathko était plongé dans le noir total. Mais, avec ou sans lumière, une cellule de quatre mètres sur quatre restait une cellule. Une cellule froide. Il avait essayé à tâtons de sentir les contours d'une quelconque ouverture... Pas la moindre aspérité. L'odeur de la mort flottait dans l'air et s'insinuait dans ses narines à chacune de ses respirations. Yathko regrettait le confort du caisson de cryogénisation qu'il avait quitté. De l'autre côté de la paroi, sûrement une autre cellule, et plus loin, certainement une autre encore. L'épaisseur des murs assourdissait des hurlements de douleur qui s'élevaient parfois. Il avait perdu toute notion d'espace et de temps. Tôt ou tard, il sombrerait inéluctablement dans la folie. Il n'éprouvait presque plus aucune faim, bien que la dernière chose qu'il avait mangée fût ce bol de suc infect qu'on lui avait fait boire avant de l'enfermer. Comment ces créatures pouvaient-elles vivre sans la moindre source de lumière ? Étrangement, cette obscurité le ramenait à l'intérieur de lui-même. Ses sensations tactiles étaient tout ce qui lui restait. Les douleurs n'avaient plus repris. Seule subsistait une sorte de vibration au niveau des os de ses tempes. Elle paraissait se répéter à intervalles réguliers.

Il commença à y prêter une attention soutenue. Les intervalles n'étaient pas si réguliers que ça. Cela se manifestait en lui. Cela voulait sortir de lui. Les maux de tête qu'il avait endurés... Ce mal qui s'était focalisé au niveau de sa boîte crânienne... Il avait l'impression que cela s'attaquait à son organe de pensée parce que cela n'arrivait pas à fuir, comme si son cerveau constituait un intrus dont il fallait se débarrasser.

Le docteur Weyzar avait pris des pincettes pour lui expliquer ce qui s'était passé dans son organisme. Yathko restait convaincu qu'il ne lui avait pas tout dit.

« Votre corps abrite, en infimes proportions, de la métamatière, qui serait en quelque sorte dans une phase de gestation interrompue, grâce au sérum stabilisant qui vous a été inoculé. » Le doc avait minimisé les proportions. Car jusque-là, il avait eu l'impression de contenir autant d'activité qu'un réacteur de centrale protostellaire !

Mais maintenant, tout allait mieux. À part bien sûr le fait qu'il fallait qu'il trouve un moyen de s'évader du cube dans lequel il se trouvait avant que les Fajughs ne cherchent à leur tour à le disséquer.

D'autres sensations commencèrent à apparaître alors. Des picotements sur tout son épiderme, qui n'avaient rien de désagréable. C'était comme un fourmillement subtil qui parcourait par vagues toute la surface de son corps. Une sorte d'énergie commença à l'animer. C'était... réparateur. Il aurait appréhendé tous ces changements positivement s'il n'avait pas su qu'un flux de métamatière essayait de prendre le contrôle de son organisme.

Les changements dans son corps s'amplifièrent. Le contact du sol sur la plante de ses pieds devint indescriptible. Il lui semblait éprouver la sensation de la pierre elle-même... sa rugosité, sa lourdeur, sa dureté... tout cela était dans la plante de ses pieds. Sans le vouloir vraiment, il alla plaquer une main contre une paroi de la cellule : le ressenti fut le même. Inconsciemment, il chercha en lui-même un retour, une information sur ce qu'il devait faire maintenant... une instruction. Les vibrations contre ses tempes s'accentuèrent. Soudain, son champ de vision s'éclaircit, au point qu'il fut aveuglé pendant quelques secondes. Le flash se dissipa progressivement, comme si cela procédait à un ajustement de la luminosité. Les parois de la cellule lui apparurent, le sol et la porte, insérée dans le mur en un bloc parfaitement ajusté. Il y voyait aussi clairement qu'en plein jour !

— D'accord, pensa-t-il tout haut. Qu'est-ce que tu peux faire d'autre pour moi ?

Il revint vers la porte et y plaça sa main à nouveau. Son ressenti plongea encore à travers la pierre. Il ferma les yeux, le souffle d'un air neuf pénétra ses poumons. Ici, pas d'odeur de mort et il faisait plus chaud. Mentalement, il pouvait observer le couloir, les escaliers qui montaient à une cinquantaine de mètres de la porte de la cellule ! Soudain, des cris horribles s'élevèrent du corridor ; la force avec laquelle l'onde sonore vint percuter ses tympans fut telle qu'il partit en arrière et chuta au sol.

— Par Iva !! s'écria-t-il. J'étais de l'autre côté !

Le flux de métamatière s'adapte à l'isosérum, pensa-t-il pragmatiquement en tentant de calmer son pouls. Ça a pour effet de décupler mon métabolisme, voilà tout. Ou peut-être que ça essaie de me corrompre : ça me donne ces pouvoirs pour gagner ma confiance, pour m'empêcher d'aller me livrer dans une station médicale de l'U.I.A. Puisse Iva faire que je ne devienne pas fou avant d'y parvenir.

Il perçut soudain des bruits dans le corridor. Des pas qui approchaient. La pierre stellaire de la porte s'ébranla et s'ouvrit.


Les Forêts d'AcoraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant