XII. La cité de Koreb

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Huit lunées acoriennes nous suffirent pour rallier les cinq anciennes Arbraies. Nous pouvions apercevoir maintenant les vallées et les monts arides qui s'élevaient au loin au-dessus des forêts.

— Les mines de sel de Koreb seront notre dernier point d'eau avant les déserts, dit Esval.

Il se hissa sur une branche qui passait au-dessus de la voie et en décrocha quelques gousses qui avaient flétri au soleil. Elles s'écrasèrent lourdement sur la pierre du pont.

— Une fois séchés et vidés, ces fruits nous serviront d'outres pour notre eau. La traversée des déserts nous prendra deux septades. Il faudra nous rationner. Mais nous pouvons espérer rencontrer des nomades ; leurs caravanes assurent l'approvisionnement d'Uthaïhadda.

— Les mines de Koreb sont-elles encore en activité ? demandai-je.

— Elles le sont. Koreb est restée une cité marchande grouillante de vie. Elle rassemble toutes les peuplades des régions environnantes. Sa position géographique en fait la plaque tournante du commerce primitif qui a cours dans les régions forestières. Elle est aussi devenue un repère de contrebandiers et de brigands.

— Nous pourrons donc trouver facilement des hydrocondenseurs auprès d'un revendeur clandestin, proposa Hoggar.

— Impossible, répondis-je, la moindre affaire avec les contrebandiers et nous serions certains d'être repérés. Les assassins-espions similoïdes ont tissés des liens étroits avec la pègre intergalactique. Nous devons improviser.

— Notre meilleure option est de nous faire passer pour des marchands, dit Esval. Nous pourrons ainsi nous joindre à une caravane nomade en partance.

Je remarquai, à sa pigmentation qui s'était assombrie, la déconvenue que dissimulait Hoggar avec peine. S'il avait pu se rendre au marché clandestin, notre ami en aurait sûrement profité pour reconstituer son armement qui lui faisait défaut. Chose qui le mettait particulièrement en rogne depuis que nous avions quitté Tahat. Les similoïdes étant en plus très réceptifs aux émanations d'énergies dégagées par les armes courantes, nous devions jouer selon les règles d'Acora. Le sourire d'enfant qu'affichait Esval semblait indiquer qu'il avait lui aussi déjoué la piètre diversion d'Hoggar.

— Les nomades font-ils route jusqu'à Uthaïhadda ? lui demandai-je.

— Non, ils déposent leurs marchandises aux pieds des montagnes. Les Jathikans finissent ensuite d'acheminer la cargaison. La cité-monastère n'est accessible que par la voie des airs.

— Les Jathikans ? interrogea Hoggar.

— Les féroces gardiens de la cité-monastère, répondit Esval, des reptiles géants ailés qui vivent dans les sommets. Ils seront nos seuls guides à travers les vallées de glace.

— Et notre seul moyen de locomotion, concluai-je.

*

Koreb était une cité animée nichée dans les hauteurs d'une vallée abrupte. Elle conciliait une architecture de sable blanc épurée, importée dans ces régions sauvages par quelques colons commerçants civilisés venus de Tahat Ossar, avec une multitude de constructions autochtones alliant le bois, la végétation, la glaise et autres matières brutes. Ces structures chaotiques s'élevaient en tourelles et chaumières funambules et se chevauchaient en d'improbables édifices amalgamés, défiant les lois de la pesanteur sur les reliefs escarpés de la vallée. Plus bas, les rues tortueuses d'où montait un brouhaha incessant étaient jalonnées de petites places où des marchés étalaient leurs toiles colorées. La basse ville baignait dans les fumées des cheminées mêlées à celles des temples et des fumeries de kelal, aux effluves si puissantes qu'elles suffisaient, disait-on, à emporter l'esprit. Dans les hauteurs où la végétation se raréfiait étaient creusées des habitations troglodytes reliées entre elles par des galeries. L'ensemble était couvert par un réseau vertigineux de passerelles et d'escaliers qui reliait les deux versants de l'invraisemblable cité.

Les Forêts d'AcoraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant