XV. Croyances Uddaki

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Cet après-midi-là, un vent lourd s'engouffrait sous les grandes pièces de toile qui claquaient au-dessus de nous. Parfois retentissaient de violents barrissements. Depuis la terrasse de bois en haut du char, je contemplais les bêtes de trait gigantesques. Elles devaient sûrement être apparentées aux grands sarbhaals mais elles faisaient au moins quatre fois leur taille. Plus loin, Esval jouait de sa harpe devant un auditoire captivé de jeunes Uddaki.

J'avais plongé mon regard dans les yeux tranquilles de la bête colossale en tête du char qui suivait le nôtre. Derrière son expression impavide et paisible, j'essayais de deviner ses pensées, si elle en avait. Son énorme tête parée de cornes et de défenses se balançait majestueusement au rythme de son pas puissant. Un de nos hôtes, celui qui avait accompagné Sesnat à l'acropole, vint me trouver et m'annonça que celui-ci souhaitait s'entretenir avec moi. Je le suivi jusqu'au char de tête le long des passerelles de cordes qui reliaient les véhicules entre eux. Le guerrier nomade ouvrit une porte grinçante, m'invita à entrer et repartit sans un mot. Je pénétrai dans une pièce baignée de pénombre où flottait une odeur de vieux bois mêlée au kelal.

— Aklil... Entre mon ami.

À mon approche, les deux jeunes femelles uddaki allongées aux pieds de Sesnat prirent un air surpris et, quelque peu effarouchées, se levèrent gracieusement et quittèrent les lieux sans un bruit.

— Elles font lecture pour moi, dit Sesnat d'une voix lasse, mes yeux, comme reste, se sont émoussés sous soleil Hoznaghir.

Il désigna un siège.

— Prends place mon ami, rares sont étrangers par ici. Autant plus rares encore ceux qui recherchent ineffable vérité comme toi, n'est-ce pas ?

Son visage aux écailles racornies, tatoué de marques tribales délavées et posé sur son long cou, oscillait lentement tandis que ses yeux clairs traversaient les miens. Il tira quelques petites bouffées sur le tuyau d'une énorme pipe à eau faite d'un métal aux reflets verts.

— Je ne te propose pas kelal, dit-il. Je sais organisme humain pas supporter cela... Mais, peut-être... toi oui ?

Il me tendit l'embout de la pipe avec un rictus qui se voulait aimable. Son ton indiquait clairement qu'il avait deviné notre ruse. Déstabilisé, j'hésitai une seconde puis pris le tuyau et inhalai la fumée selon le rituel de bienvenue des nomades. Son sourire avait maintenant retrouvé une expression sincère bien qu'il m'observât encore très attentivement :

— J'ai parcouru Univers comme toi... et moi aussi vu tant de soleils lever sur tant horizons différents que mes souvenirs oubliés maintenant. Ecoute ce que dit proverbe uddaki :

"Ulhut seribba loss' talsiad' beshi

Lel' sishat Ulhut mabhtā Uruūm ioma

Lassa dshé nhukti bbtath' tessa lum olma

Mosmā dyé udrit' ssujūm sshesna dejhrit'.

Désert n'est rien et tu reviendras ici mourir

Mais il est tout et t'a donné vie

Il est vaste voie qui s'ouvre sur infini

Va... et ne reviens que lorsque

Tu auras trouvé ce que tu cherches."

— L'exil est pour nous Uddaki loi ancestrale. C'est lot de chacun entre nous. Je suis donc parti à travers astres et lunes... longtemps, jusqu'à revenir un jour. Désert était le même. Il semblait m'attendre.

Les Forêts d'AcoraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant