Les Forêts d'Acora

26. Cap sur Tsebora

— Officiellement, intervint Hoggar, aucune preuve formelle n'a confirmé l'hypothèse que quoi que ce soit ait pu survivre à la désintégration du Vortex.

— L'entité que vous avez nommée similoïdes, reprit le vieux Khesan, continue à l'heure où nous parlons, d'œuvrer dans l'ombre, nous en avons la certitude. L'énergie qui pourrait être extraite et catalysée ferait des Theluads l'arme de conquête la plus puissante jamais forgée.

— Qu'est-il advenu du Theluad de Thi Selat ? demanda Esval.

— Nous l'ignorons. Ce dont nous sommes sûrs est qu'il n'a pu être détruit. Il est fort probable qu'il ait dérivé dans l'espace suite à la désintégration de la nébuleuse. Il vous faudra retrouver aussi celui-ci.

— Je mènerai à bien cette quête, Maül. Au nom de l'Alliance je m'y engage.

Le moine joignit les mains et acquiesça.

— Une dernière chose... vous devez garder un secret absolu sur ces faits et cette quête dont venez d'être investi.

— Nous garderons le secret, Maül.

— Puissent les forces célestes vous guider et vous protéger aussi loin que vous irez. Et puissiez-vous accomplir l'œuvre ultime sans connaître d'obstacles.

Le vieux sage entra en un recueillement profond.

*

La spiritualité reprenait son souffle dans les galaxies de l'Orion qui renaissaient de leurs cendres. Le règne de la lignée des Ivrid était déchu. Des plus lointaines galaxies autour d'Acora s'élevait à nouveau la force d'une sagesse indicible, qui paraissait unir en un souffle commun les traditions et les croyances les plus distantes... Uthaïhadda était porteuse du message de cette voix unifiée.

Des routes hyperluminiques joignaient maintenant Ionos à Olomis, Azepha à Tedrā ; pourtant l'Univers n'avait jamais été aussi vaste. Et les nouvelles frontières qui s'étendaient chaque jour un peu plus, au rythme des escouades de vaisseaux-sondes qui parcouraient le vide, ralliaient aux régions connues de nouvelles formes de vies dont les esprits les plus clairvoyants s'accordaient à leur tour, un à un, à l'harmonie spirituelle naissante.

Quelque chose se dessinait dans les lueurs de cette aube. Les Theluads, une fois réunis, nous apporteraient des réponses à nos questions... et peut-être même la réponse à la question ultime. Nous devions trouver le moyen de franchir l'Abysse. Maintenant, il n'appartenait qu'à nous d'écrire page après page, jour après jour, les versets de notre propre prophétie. La danse éternelle du bien et du mal continuait d'animer le cosmos. Pour beaucoup de gouvernants la menace similoïde n'avait été qu'un atout politique. Certains penseurs n'avaient vu en eux qu'un facteur déterminant dans notre évolution, une motivation décisive pour la survie commune de toutes les espèces.

Du point de vue des forces de l'U.I.A. les Selati avaient constitué l'essence de l'énergie destructrice opposée à celle de la génération de la vie. Ailleurs, les mystiques de l'Entente Céleste de Kallacus s'étaient eux posés la question de savoir s'ils étaient capables d'amour... et s'il était possible de concilier avec eux. Nous, sentinelles de l'Alliance, savions que c'était peine perdue. C'était une chose dont nous avions la certitude. Non pas parce que nous les pensions totalement dépourvus de jugement ; mais parce que les similoïdes n'avaient aucune existence qui leur était propre... La matière selati revêtait constamment une apparence, et cette enveloppe d'emprunt n'était utile qu'à servir sa volonté aveugle de pouvoir. Qui, ou quoi, se trouvait à la source de la pensée commune selati ? Comment ces particules, ou ce flux, s'organisait-il pour accomplir la globalité de son plan de propagation ? Autant de questions auxquelles nous n'avions pas encore pu répondre. Car aucun spécimen de répliquant n'avait pu être étudié avec certitude, avant qu'il ne s'autodétruise. Nous avions combattu durant plus de deux cyclocosmes quelque chose qui, même à présent, nous demeurait encore inconnu.

*

De mémoire d'Acorien avait-on déjà vu cela ? Deux colossaux Jathikans survoler les plaines et venir se poser non loin des premiers hameaux de Tahat Ossar, en bordure du vaste spatioport ! Les deux immenses reptiles nous saluèrent d'un cri d'adieu retentissant lorsque notre navette prit son envol puis nous escortèrent jusqu'aux limites de la stratosphère, aussi haut et aussi vite que leurs forces le leur permirent.

Esval allait nous accompagner pour toute la durée de notre prochaine mission, et certainement pour toutes celles qui allaient suivre ; l'ordre émanait du Concile de l'Alliance qui venait de se tenir.

J'avais décidé de mettre le cap sur Lomahar, un amas galactique où le chaos régnait encore. L'Unification Inter Amas y était en discussion avec les diplomates de l'Entente des Systèmes Technocratiques afin qu'elle pût disposer de sièges à l'assemblée lomaharienne, une discussion qui durait maintenant depuis presque un cyclocosme.

La planète Tsebōra était notre destination. Nous devions retrouver Subōr, le vieil ami d'Hoggar qui avait comme moi prit part à l'ultime attaque du Vortex de Thi Selat. La perte des pilotes qui se trouvaient en première ligne avait été expliquée par le Mnémolab par l'extrême force de la déflagration du noyau ennemi, associée à des radiations d'orbolythe dépassant le seuil de tolérance organique... Pourtant Subōr, qui avait été déclaré disparu, avait bien survécu. Il s'était éveillé dans un hôpital militaire expérimental où il avait été retenu prisonnier. Les fichiers ultra secrets qu'il avait dérobés dans son évasion pouvaient apporter la preuve d'un stratagème impliquant le Mnémolab dans la régénération des forces similoïdes qui, selon des sources certaines, opéraient à nouveau dans l'ombre...