42 Dans le secret des Fajughs

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Un vieux Fajugh marchait seul dans la coursive principale qui menait aux mémoires ; un léviteur étrange, aux tentacules métalliques, flottait derrière lui. Il s'agissait certainement d'un administrateur travaillant dans ce bâtiment car ce type de robot servait au tri de manuscrits et de pièces digitales. Hoggar était descendu dans le dédale de cellules de la prison. Il y trouverait certainement des détenus qui, en échange de leur liberté, pourraient lui fournir de précieux renseignements. Esval allait m'assister dans la salle d'étude des mémoires pour trouver dans leurs archives les preuves d'un lien entre Fajughs et Mnémorgs.

La haute porte à glissière se leva et le vieux Fajugh, suivi de son droïde tentaculaire, entra dans la salle des mémoires. Avant qu'elle ne se refermât, Esval et moi nous glissâmes à l'intérieur. Le Fajugh s'installa à son poste de travail en maugréant, certainement parce que le générateur connaissait encore des coupures. Le droïde alla s'activer sur des lignes de cubes métamorphiques pour manipuler des données de ses longs doigts métalliques.

Hoggar pénétra dans la cellule sans savoir ce qu'elle renfermait. Une créature était allongée au sol. Considérablement affaiblie, certainement à l'orée de la mort, elle releva fébrilement la tête et balbutia quelques mots :

— Qui... Qui êtes-vous ?

— Quelqu'un qui a besoin de renseignements. Depuis combien de temps êtes-vous enfermé ici ?

— Je... je ne sais pas.

Le prisonnier se laissa retomber lourdement ; son crâne vint heurter le sol dans un bruit sourd. Il ne se réveillerait probablement plus jamais.

— Par les cornes d'Odhmar ! jura le Molkhott.

Une voix étouffée lui vint soudain aux oreilles.

Par ici, par ici.

Hoggar alla devant la geôle d'où le murmure venait et demanda à travers la porte :

— C'est toi qui appelles ?

— J'ai senti ton odeur ; tu n'es pas un garde, n'est-ce pas ?

— Non. Mais je peux te libérer d'ici si tu le veux.

Quelques secondes s'écoulèrent. Le prisonnier ne s'attendait sûrement pas à ça.

— En échange de quoi ?

— J'ai besoin de renseignements.

— Libère-moi et je te dirai tout ce que je peux te dire.

— As-tu entendu parler d'un Tsaddha du nom de Subor ?

— Non, pas ce nom-là. Mais si tu me fais sortir d'ici, je pourrai te parler d'un Tsaddha qui beugle à qui veut l'entendre qu'il n'est pas un similoïde et qu'il est retenu ici sans raison.

Les serrures de sécurité métamorphiques étaient quasiment inviolables. Mais Hoggar était un expert. Comme la précédente, la porte se déverrouilla aussitôt. La créature assise au fond de la geôle se redressa d'un bond lorsqu'Hoggar entra. Le Molkhott pouvait voir les contours lumineux de sa silhouette dans ses lunettes à sublimation de clarté.

C'était un Fajugh imposant.

— Je te remercie de ta confiance.

Hoggar resta extrêmement vigilant, attentif au moindre geste du prisonnier.

— Passons les formalités. Je te rends ta liberté si tu me conduis au Tsaddha que tu entendais crier, ainsi qu'en échange d'informations concernant Kuolom et la Lune noire. Le marché te semble-t-il équitable, Fajugh ?

— Je te mènerai au Tsaddha. Dis-moi ce que tu veux savoir, Molkhott.

— Tout d'abord, pourquoi acheminez-vous tout ce dethanac au cœur de votre lune ?

— Nous fabriquons de la lumière... et la convertissons en énergie.

— Ça n'explique pas pourquoi vous faites cela au centre de votre planète.

— Nous générons une étoile.

— Par Ojhmyr !

— Notre civilisation a su évoluer sans lumière. Cependant, il y a de cela vingt générations, le processus de stello-formation fut voté et initié par les grands maîtres, sous l'influence de la Lune noire. Nous autres Fajughs sommes voués à l'ombre, mais si nous avons réussi à atteindre ce stade sans lumière, il est temps à présent d'utiliser celle-ci pour nous parfaire encore. Voilà ce à quoi nous sert le dethanac, Molkhott : nous fabriquons une étoile qui illuminera Kalentis.

— Tu sembles être directement concerné.

— J'ai œuvré à la conception du convertisseur luminique qui opère dans le noyau stellaire.

— Que fais-tu ici ?

— Disons que c'est politique. J'ai été condamné pour trahison. Selon notre déontologie, nous sommes affiliés à la Lune noire par notre sang de Fajughs. En grandissant, chaque individu de notre espèce est amené à être initié à différents niveaux. J'étais censé devenir un maître. Pour ça, il fallait que je tue... et que je tue encore. J'ai refusé.

— Ta décision était légitime. Pourquoi n'as-tu pas quitté Kuolom ?

— J'étais trop impliqué dans les rouages du pouvoir. Et l'on ne peut quitter l'ombre, car on lui appartient. D'un autre côté, j'avais des idées qui dérangeaient.

— À présent, justice t'est rendue... Tu es libre.

— Oui, merci mon ami. Mettons-nous en route. La geôle se situe deux niveaux en dessous et je les entends qui s'affairent bruyamment.

— Qui donc ?

— Ceux qui s'occupent de garder ton Tsaddha.

— Allons-y.

Le générateur venait de se remettre en marche et le vieux Fajugh s'était replongé dans l'analyse des données métamorphiques qui se formaient devant son masque. Je n'eus aucun mal à avoir accès aux fichiers des mémoires.

Esval alla se poster en hauteur, sur une rangée de serveurs. Il se tenait prêt à décocher une flèche paralysante sur quiconque nous surprendrait. Le droïde, lui, n'était vraisemblablement pas programmé pour détecter une intrusion.


La renaissance de la sorcellerie noire avait eu pour origine une petite lune obscure du système de Tanepp : Ulbba. Il était dit qu'Odred le Sage, qui y vivait en ermite, avait su allier à certaines lois oubliées certains rituels d'invocation. Il avait élaboré une sorte de matrice et avait ainsi libéré des forces maléfiques prisonnières depuis des cycles dans des spacium qui dérivaient dans le vide. Fort de son habileté dans les sortilèges, il était parvenu à les soumettre à sa volonté. Très loin de là, en l'amas de Kallacus, ces entités avaient été emprisonnées pour avoir gravement enfreint les lois célestes.

Odred, grâce à ce pouvoir immense qu'il détenait, allait fonder la Lune noire des sorciers tleïssites.

Lors des guerres sombres, les maîtres fajughs, reconnus comme les vassaux les plus redoutables de la Lune noire, avaient pris part aux combats contre Alkor et Tlomos. Le pouvoir que la métamatière pouvait leur offrir était la seule raison de leur engagement dans le conflit. Ils n'avaient bien sûr signé aucun des traités de la coalition et n'avaient passé que des accords tacites avec les chefs temporaires de l'UIA.

Je notai que pendant le conflit, les Fajughs avaient coopéré à plusieurs reprises directement avec les Mnémorgs.

Lors du dernier cyclocosme, le nom du Mnémolab apparaissait dans les registres. Les enfants des ombres avaient fourni au lab des spécimens organiques vivants de nombreuses fois. À ce sujet, il était effectivement fait allusion à une station expérimentale, sans toutefois la situer ou la nommer précisément. Ces éléments constituaient des preuves qui nous suffiraient à impliquer officiellement le Mnémolab dans des activités de trahison. À aucun moment cependant il n'était fait référence à la métamatière, ou à un quelconque rapport avec les similoïdes.

Je transférai le maximum de pièces que pouvait contenir le chargeur de mon neuroprocesseur. Il était temps d'aller épauler Hoggar dans la prison. 

Les Forêts d'AcoraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant