L'hélioporteur glissait sans un bruit au-dessus des vallées verdoyantes. De grands oiseaux venaient jouer à frôler les voiles thermiques de mon aérodyne de leurs ailes multicolores, puis repartaient aussitôt glisser dans les alizés en poussant des cris exaltés. Au loin, des sommets rocheux se découpaient dans l'azur limpide.
Accrochée au flanc d'une crête, l'architecture massive surmontée d'une coupole était à peine visible tant elle était envahie par la végétation. Deux robustes bastions siégeaient aux extrémités de la structure circulaire qui s'enfonçait dans la montagne.
Entièrement autoguidé depuis le terminal aérien d'Octopi, l'astroport principal de cette planète, l'hélioporteur décéléra et vint accoster à un aéroquai qui flottait dans le vide. Depuis les arcades mon regard se perdit en contrebas vers la vallée parsemée de floraisons. Le froid et les neiges d'Atliur avaient plongé mes sens dans une certaine monotonie et j'avais maintenant l'impression de pouvoir saisir à nouveau toutes les splendeurs de la vie. J'inspirai une grande bouffée de l'air frais et vif du matin. Un parfum de roche chauffée par le soleil montait par vagues le long des parois. Un peu plus bas, derrière les chants d'oiseaux qui batifolaient dans les feuillages, s'élevait le grondement d'un torrent impétueux.
J'arrivai sur une terrasse couverte de ramures de végétation qui tombaient en lourdes grappes et laissaient à peine voir le ciel. Je pénétrai dans une pièce au centre de laquelle un foyer de braises incandescentes se consumait bruyamment. Au-dessus, une grande hotte de métal noirci avalait impassiblement les volutes de fumée blanche. Aux murs étaient accrochées différentes armes dont beaucoup m'étaient inconnues. Sans doute avaient-elles appartenues à quelques lointains adversaires d'Imarudh. Le silence qui régnait donnait au crépitement du feu un relief saisissant. Je m'approchai d'un pilier sur lequel reposai une sorte d'énorme archerie qui avait éveillé ma curiosité. Je tentai de deviner la créature capable d'utiliser pareille arme quand, en une milliseconde, je perçu une présence derrière moi. Je fis instantanément volte-face. La pièce était vide. J'étais certain d'avoir senti un être s'approcher mais malgré toute ma concentration je ne parvenais pas à le localiser dans l'obscurité.
— Le petit homme n'a-t-il pas passé assez de temps sur Atliur ?
Sa voix m'était restée aussi familière que si nous ne nous étions pas quittés. Je tentai vainement de le discerner mais à présent un épais brouillard engourdissait mes sens.
— Tu manques de vigilance Jaadhur... si j'étais ton ennemi, ta drôle de petite tête ornerait déjà le haut de ma cheminée.
Les pouvoirs mūddū pouvaient s'insinuer dans l'adversaire et voiler ses facultés, en prendre le contrôle, au point de l'aveugler.
Imarudh sortit d'un nuage d'ombres face à moi.
Nous nous inclinâmes en appliquant les paumes des mains, les siennes couvrant les miennes.
— La paix soit sur toi Jaadhur.
— La paix en toutes choses, père.
L'échange des flux lia nos deux consciences qui ne firent plus qu'une pendant un instant.
Il se redressa et du haut de ses deux mètres pénétra mon regard de ses yeux profonds comme l'espace. Je devinai qu'il y cherchait encore l'enfant qu'il avait laissé sur Atliur dix ans auparavant.
— Ton apprentissage a été rude, reprit-il, mais je vois qu'il t'a été bénéfique.
— Le vent des montagnes d'Atliur résonne toujours dans mon cœur comme le chant d'une mère.
— Talissande occupe encore tes pensées. Déleste-toi de ce fardeau et rappelle-toi constamment de ne jamais laisser ton esprit s'obscurcir. Nous partons pour Pamira.
Je lui emboitai le pas vers la terrasse où les rayons de soleil perçaient à travers les nuages.
— Imarudh, alors tu...
— Oui. Tu vas me seconder jusqu'à ce que l'Union t'engage, si tel est ton souhait.
— Mais la galaxie de Pamira n'est-elle pas restée indépendante de l'Union ?
Il affermit la voix :
— En attendant tu es encore sous mes ordres. Ne t'encombre pas de toutes ces questions. Vas te reposer et restaure toi, tu es ici chez toi.
Il ajouta d'un ton entendu :
— Ah... j'allai oublier, le grand arc que tu contemplais tout à l'heure est celui d'une des créatures indigènes qui peuplent les terres vierges de la planète Adalis. Certaines de ses flèches parviennent à traverser les blindages de nos astronefs. Mais tu auras certainement la chance d'en voir de près puisque c'est là que nous nous rendons. À tout à l'heure fils.
Je restai figé quelques secondes, m'imaginant aux prises avec l'un de ces archers géants puis décidai de trouver les cuisines car la faim commençait à me tenailler.
Les dix années qui s'étaient écoulées n'avaient eu aucune emprise sur Imarudh. Sa force et sa vivacité semblaient au contraire avoir augmenté. Toujours ce même visage impassible et serein qu'il portait comme un masque cachant les profondeurs insondables de son esprit. Car derrière cet infaillible guerrier qui avait toujours refusé les honneurs et les promotions au commandement des forces de l'Union le sage Imarudh veillait, libre, à la seule mission véritable qui lui incombait. Celle qui lui avait été confiée par une force dont j'ignorais encore l'existence. Celle qui, à mon tour, me serait un jour confiée. Et ce jour était proche.
À la nuit tombée je le rejoins qui observait le ciel étoilé à travers l'optique d'un télescope. J'entrai dans la salle circulaire où des cristaux flottaient sur leurs suspenseurs, émettant une lumière diffuse. Nous allâmes nous asseoir autour du foyer central de la pièce où des mets fumants étaient disposés à côté de grappes de fruits et de baies.
— Prend des forces, Jaadhur, me dit-il en se servant sans attendre, nous partons pour un long voyage. Je suis un piètre cuisinier mais il y a là l'essentiel dont a besoin ton organisme, c'est le principal.
— Quand embarquons-nous ?
— Le départ est pour après-demain.
Pamira : une nébuleuse solitaire évoluant bien loin d'Ishvarā, la galaxie principale de l'amas galactique d'Olomis.
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Les Forêts d'Acora
Science FictionAu cœur du système Autarcique d'Auriande, de mystérieux objets célestes viennent de s'écraser sur une jeune planète du nom d'Acora. Sous le sceau de Vijā Saati, l'Alliance universelle secrète, Jaadhur et ses compagnons y sont mandatés. Leu...