Il me dévisagea d'un air surpris :
— Slabbja ! Fallait l'dire plus tôt ! Fait' moi sortir de là slabbja et j'vous dis tout ça qu'voulez savoir, camaradcha ! Hoggar perdit un peu en diplomatie :
— Tu vas nous conduire d'abord aux fichiers, le bleu, on t'embarquera une fois qu'on les aura retrouvés, pas avant.
— Slabbja, vous conduire chez le Subōr je peux, mais slabbja...
Il s'arrêta net, comme pétrifié par la peur.
— Quoi Mossrō ? Mais quoi ?
— 'Savez pas c'que l'syndic a mis là dehors à m'attendre dans les rues. Les pires espèces de tueurs de tout l'système slabbjadu ! N'a qui disent qu'ils s'entretuent entre eux tell'ment l'contrat l'est gros slabbja !...
— On a l'habitude de ce genre d'opérations Mossrō, on va te sortir de là, lui dis-je.
Nous étions apparemment sa seule solution. Une lueur se mit à briller intensément dans ses petites billes. Il se redressa sur ses pattes et termina son verre cul-sec.
— Allons-y slabbja !
Il chargea bruyamment deux énormes blasters qu'il tenait sous la table.
La rue était sombre et froide, aucune lumière ou presque. De temps à autre passaient et repassaient des robots-léviteurs qui martelaient leur propagande d'un ton monocorde. Parfois quelques lourds vaisseaux taxis heurtaient au passage les câbles et les poutres métalliques des sous-bassement de la cité-planète, éveillant la convoitise des êtres qui vivaient dans ces bas-fonds.
Tsebōra entière était sombre et froide. La plupart de ses secteurs étaient pourtant peuplés d'une multitude d'espèces qui cohabitaient dans un tumulte assourdissant. L'agitation des astrogares, où des migrants venaient des plus lointaines galaxies, ou s'y rendaient ; ou le grondement des gigantesques couloirs d'échanges, au sein desquels se livrait un troc permanent, de jour comme de nuit, ne changeait rien à la pesanteur suffocante, à la densité monolithique, qu'imprimaient les parois de métal et de pierre stellaire qui s'élevaient à perte de vue vers l'espace. La vie semblait se réunir dans ces artères géantes, fourmiller de concert, s'agiter éperdument comme pour lutter contre la froideur et le silence des murs immenses ; structure titanesque qui écrasait aveuglément tout espoir, toute volonté de penser... toute liberté.
Un agent fixe de l'Alliance nous avait appareillé un glisseur sobre et rapide. L'antre de Subōr se trouvait dans un district des niveaux populaires.
À la sortie du Stella's, le couloir des rampes d'accès aux routes aériennes résonnait de voix androïdes cristallines. Elles annonçaient en boucle la densité du trafic, la météo et tous les autres facteurs nécessaires à la navigation urbaine. Leur ton avait quelque chose de frais et de joyeux, comme une valse entraînante, un printemps synthétique dans toute cette noirceur. La réalité de l'instant me replongea aussitôt dans ces profondeurs froides comme la mort.
Quelque chose venait d'attirer mon attention. Quelque chose qui se déplaçait sans émettre le moindre son, imperceptiblement...
... presque imperceptiblement.
Hoggar sentit comme moi la présence hostile au-dessus de nous. L'assassin comptait certainement sur la rapidité de son attaque.
Les Fajughs aimaient l'ombre. Ils y étaient dans leur élément. Mais les lunes, qui cette nuit-là perçaient à travers l'épaisse couche de l'anneau, ne furent pas ses alliées.
Avant même que la rampe ne nous engloutît, je lâchai les contrôles du glisseur et tirai quatre lourdes décharges à travers le plafond de l'appareil. Le corps déchiré de l'enfant des ombres plongea dans le vide derrière nous. Ce n'était pas un similoïde.
Ce tueur n'était peut-être pas là pour Mossrō. Si c'était le cas, c'était nous qui étions leur cible. Dans un cas comme dans l'autre, en quoi les Fajughs et la Lune Noire étaient-ils impliqués ? Peut-être simplement parce que cette espèce avait la réputation d'être porteuse des meilleurs assassins que comptait l'Univers.
Il se pouvait donc que ce tueur n'eût aucun lien direct avec notre affaire. Mon intuition n'était pas infaillible. Mais elle m'avait rarement trompé.
Dès notre arrivée sur les aéroquais du district-centre je m'attendais encore au pire. Même si je n'avais jamais mis les pieds dans ce secteur je sentis que les lieux avaient été comme désertés. N'importe qui d'autre aurait eu cette impression. Car ici à toute heure l'on pouvait voir habituellement une foule de voyageurs en attente de flycab... des junkies survoltés, planqués dans les coins, prêts à tout pour leur dose de koroïne... ou des prostituées originaires de Shibba qui aguichaient bruyamment les passants en exposant leurs poitrines velues aux multiples mamelles. Au lieu de tout cela, personne.
Un silence de plomb pesait sur les quais. Un silence qui en disait long.
Ils étaient quatre.
Dissimulés dans les galeries de service, prêts à fondre sur nous. Du genre amateur comparé au Fajugh qui s'était accroché au toit du glisseur. Je bondis hors de l'appareil et neutralisai d'un coup de blaster l'éclairage des quais tandis qu'Hoggar s'engouffrait dans le tunnel plongé dans le noir total qui passait sous les voies, Mossrō accroché dans son dos. L'arachnoklobe profitait de la protection du bouclier dorsal d'Hoggar et pouvait aligner ainsi tout ce qui arriverait à revers. Deux d'entre eux s'étaient repliés vers le parvis du niveau supérieur. Je sortis mon épée sans un bruit. L'ombre dense dans laquelle les lieux étaient immergés jouait en ma faveur. Ils s'étaient sûrement postés par ici. Je ne parvenais pas à les sentir. Soudain, le crissement d'une lame qui entamait une armure se fit entendre en bas, et aussitôt, un coup de blastofendeur en réponse, qui déchiqueta l'assaillant. Hoggar poussa un râle tonitruant. Ils n'étaient plus que trois.
À cet instant, j'entendis une créature au pas lourd arriver derrière moi à pleine vitesse. Aussitôt je bondis et m'accrochai à une tuyauterie au plafond. Le réseau de conduits me dissimulait parfaitement. Le Surruk était maladroit, et il respirait fort. Je l'entendis jurer entre ses dents.
Un coup de blaster retentit en-dessous, puis un bruit sourd. Mossrō venait d'en abattre un autre.
Alors que je m'apprêtais à sauter pour décapiter mon assaillant, un froissement à peine audible me retint accroché. Le Surruk ne le savait certainement pas, mais l'autre assassin se servait de lui comme appât. Ce que l'autre ignorait aussi certainement, c'est que je l'avais repéré. Je bondis d'abord sur l'appât en feignant de m'être laissé prendre au piège. L'autre créature sortit en un éclair du recoin où elle s'était dissimulée et fondit sur moi. Ce dernier tueur à gages était un Oloïde de Tedrā, redoutable. Je parvins de justesse à parer les lames volantes qu'il me décocha et fis volte-face pour le délester aussitôt de sa jambe droite. L'autre avait fait feu à deux reprises de son arme, maladroitement. Il n'eut pas le temps de réagir à ma riposte.
Hoggar accourut, son épaule était entamée et son sang se répandait au sol. Il empoigna l'Oloïde et tenta de le faire parler, mais celui-ci se mit à ricaner, avant d'être pris de tremblements et rendre son dernier souffle... il venait d'ingérer une léthadose.
Le comité d'accueil que les sbires du syndicat nous avaient préparé n'avait pas duré plus de quatre minutes. Le long de l'escalier qui descendait derrière nous roulait encore bruyamment, telle une grosse noix de koriok vidée de son jus, la tête massive du chasseur de primes surukk... dans son regard figé on pouvait lire l'incompréhension la plus totale.
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Les Forêts d'Acora
Ficção CientíficaAu cœur du système Autarcique d'Auriande, de mystérieux objets célestes viennent de s'écraser sur une jeune planète du nom d'Acora. Sous le sceau de Vijā Saati, l'Alliance universelle secrète, Jaadhur et ses compagnons y sont mandatés. Leu...