21. Un peu d'histoire

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Dès lors qu'avait été signé le traité d'abdication de l'Empire par le successeur d'Ivrid II, en la triste personne de son fils, les Guildes qui étaient parvenues à se défaire de l'emprise d'Alkor, s'empressèrent de se ranger aux côtés des Conglomérats Commerçants de l'Unification. Étrangement, elles se fondirent dans la masse de la multi-galactique Tractant, l'un des plus puissants groupes industriels que comptait le secteur de l'astronavale. Suite à cette fusion, les représentants des Guildes disparurent purement et simplement. Le parlement des forces intérieures de l'U.I.A. se réunit après une commission d'enquête spéciale qui n'avait pu aboutir : la section qui avait été mandatée pour contrôler officiellement les activités du groupe Tractant s'était vu refuser tout accès...

L'U.I.A. venait d'absorber les territoires alkoriens et tlomosites.

À la base, l'Unification avait été constituée pour des manœuvres militaires de grande ampleur, principalement celles de l'attaque du Vortex ; à présent les nouveaux enjeux allaient au-delà de la raison et le terrain des négociations marchandes était quasi-infini. Les frontières que contrôlait l'U.I.A. étaient démesurées. Le Legistat allait bientôt être dépassé.

Il s'agissait en priorité d'établir une multitude de lois communes visant à limiter globalement la production, cela s'imposait. Ensuite il fallait faire émerger de la multitude des valeurs qui avaient cours dans ce champ incroyablement vaste une monnaie universelle commune.

L'Alliance déploya un dispositif d'infiltration et de surveillance sans précédent au sein des Parlements Unifiés et de celui du Très Haut Conseil de l'U.I.A. Il fallait influer avec suffisamment de force pour que soient établies et appliqués les lois et les décrets qui allaient maintenir l'équilibre. La pérennité globale du nouveau système économique universel dépendait avant tout de la limitation des enjeux. Nous savions que malgré les lois de restrictions radicales qui venaient d'être proposées, certains groupes industriels trouveraient le moyen de les contourner pour produire, et produire encore... sans connaître aucune limite à leurs activités.

Les Lois Priméthiques furent ainsi proposées et votées pour dominer la récente législation et pallier aux débordements des méga-groupes producteurs. Les opposants de l'U.I.A essayèrent habilement, et vainement, de les ériger en de hauts dogmes souverains... et de les rendre ainsi presque inaccessibles à leur application proprement dite. Évidemment l'on devait ces attaques au seul parti, et non des moindres, des Représentants de la Table Marchande... Mais cela n'entama en rien l'esprit, l'élan et la volonté de la majorité des membres du Très Haut Conseil de l'Unification.

La limitation stricte de la production à l'échelle universelle s'imposait comme une nécessité de premier ordre ; ce qu'il était advenu de la galaxie solitaire située aux limites de l'Abysse ne pouvait être ignoré : la surévolution de Thi Selat n'avait eu pour seules causes que l'absence totale de limites et le fanatisme productionnel ; les Selati prônaient, idolâtraient, la Connaissance... Mais de quelle connaissance s'agissait-il ? La surenchère pseudo-scientifique et les expérimentations technologiques débridées qu'ils avaient mises en application influèrent jusqu'au cœur même de leur matière et modifièrent brutalement le cours de l'évolution de leur galaxie. La Connaissance. Il ne s'était agi en réalité que de leur connaissance, aveugle et obstinée. La véritable sagesse ne résultait pas de la volonté insensée de connaître. Il y avait là un enseignement profond à tirer. L'équilibre de l'Univers en dépendait à présent.

Ainsi, les premiers protocoles autarciques furent votés puis instaurés à titre expérimental dans divers systèmes. La plupart de ceux qui avaient choisi de suivre cette voie étaient encore technologiquement peu développés, d'autres avaient renoncé à cet avenir à l'horizon duquel se dessinait l'asservissement à la matière artificielle ; ceux-là avaient abandonné leurs systèmes méta-évolutifs. Ils avaient choisi de revenir à la sagesse originelle, commune à toutes les formes de conscience et érigée sur la seule véritable science, technologie fondamentale sur laquelle tout reposait : le processus de la vie. Pour les esprits qui avaient atteint un certain degré de clairvoyance, il était inutile de chercher plus loin, où ailleurs, que dans la profusion sans limite d'objets d'étude et de modèles naturels que proposait l'Évolution. Selon les Jaffaths : « L'Ultime n'est pas à atteindre ou à construire, il n'est pas dans l'avenir et dans les fabrications de l'esprit égaré, mais il est simplement présent, ici et maintenant, dans le creux de la main, au cœur de la Vie... » L'Alliance était bien sûr l'un des principaux instigateurs de ce mouvement.

L'alternative était initiée. De grands ordres apparurent et avec eux commença à naître ou à renaître l'espoir dans ces galaxies où le chaos régnait encore, ou dans d'autres qui avaient été frappées par les guerres et les invasions... car les systèmes qui avaient adopté les protocoles autarciques gagnaient en influence au sein de leurs nébuleuses ; l'exemple de la paix durable et de l'harmonie qui émanaient d'eux ne pouvait être obscurci. Le Très Haut Conseil de l'U.I.A décida d'élargir ces mesures.

Ailleurs... continuaient de s'étendre les mondes insensés, où l'on ne pouvait distinguer la moindre parcelle de raison... Dans ces champs incroyablement vastes, galaxies oubliées de la lumière, se perdaient les âmes de quadrillions d'êtres, emportées dans le fleuve d'une déchéance irréversible. Sur ces planètes mornes et desséchées, dans leurs méga-cités d'olonium, du haut de leurs tours, les vassaux de l'Entente des Systèmes Technocratiques cultivaient l'ignorance, nourrissaient l'attraction vers la luxure, étouffaient les êtres dans le vice et l'inertie des stations virtuelles et dictaient leurs lois par la terreur, les guerres, la corruption. Ailleurs ils s'appelaient Conglomérat de la Haute Chambre, ou encore Table Marchande... Les Guildes avaient officiellement cessé leurs activités et des hordes de dictateurs potentiels et autres empereurs auto-proclamés attendaient maintenant dans ces tristes ténèbres l'heure de leur avènement. Et bien que les délégués de l'U.I.A fussent reçus sur ces planètes avec diplomatie, l'on pouvait deviner dans l'ombre l'étendard des Guildes qui flottait encore.

Deux cyclocosmes s'étaient écoulés depuis la Transmission du Sceau que j'avais reçu des Anciens sur Adalis. L'expansion croissante des colonies n'avait cessé de s'étendre aux confins... la carte du cosmos s'était agrandie. Les missions que j'avais enchaînées les unes aux autres, sans trêve, m'avait conduit de Saddhakar à Irath Cetus, d'Avkhad à Lomahar... et plus loin encore. Les guerres sombres et les premières lueurs de l'aube de l'Unification me semblaient maintenant si lointaines. La vie, pour moi, avait perdu cette saveur éphémère faite de mystère, d'inattendu, de merveilleux. Cette joie qui naissait à chaque lever de soleil dans ce cœur d'enfant qui longtemps était resté le mien s'était peu à peu éteinte. J'essayais souvent de me rappeler ces souvenirs, mais ils devenaient de plus en plus flous et paraissaient s'envoler au loin, insaisissables, comme ces oiseaux sauvages de Nireemā. Car pour ceux qui avaient revêtu la robe d'Ujhaï, le temps s'était arrêté.

Parfois cela pouvait être comme une malédiction, cette solitude, cette immensité sans fin de l'espace qui devenait notre seule véritable demeure. Peu à peu l'esprit devait se familiariser avec cette force inconcevable qui émanait du vide. Il ne fallait pas lutter contre cela, certains en avaient perdu la raison ; c'était comme un monstre obscur, extrêmement sauvage, que l'on se devait d'adopter du mieux que l'on pouvait. Long était le chemin avant de pouvoir un jour en faire notre allié.

La dernière tenue du Concile de l'Alliance, lors de la dodécade cinquième de la cosmoère 4782, se prolongea inhabituellement. Les Anciens, qui étaient venus y assister, se réunirent à huis clos durant quatre jours, sans laisser filtrer de la raison de leur venue ni de celle d'une telle activité au sein du Profond Ordre.

Dès le Concile achevé j'affrétai le Shānradjal pour mettre le cap vers le spatioport du système autarcique d'Auriande, galaxie Lekhōrus, où un archer-messager de l'Alliance m'attendait. Hoggar, l'un de mes plus solides frères d'armes, allait se joindre à nous.

La mission dont j'avais reçu la charge était, sans aucune autre directive complémentaire, d'établir un lien direct entre l'Alliance et ce mystérieux Ordre Najab qui siégeait au sein d'une cité-monastère, perdue sur une jeune planète du nom d'Acora...






Protocole Autarcique : lois appliquées à un système dont l'autorité a décidé d'exclure toute technologie autre que celle de la science issue de la biodynamie ; toute transaction marchande et tout acte politique extérieur, en lien avec une réciprocité d'intérêts économiques. Le Protocole Autarcique place le système concerné sous l'égide du Corpus Biomedis. L'Unification Inter Amas, sous l'impulsion de Vijā Saati, fût l'instigatrice de ces mesures protocolaires.



Station virtuelle : forme d'activité où, dans un environnement psychosensoriel purement virtuel, créé par une immersion dans des cuves d'anothaïne, les libérés évoluent dans un monde artificiel conçu pour satisfaire leurs sens jusqu'à leur mort physique.



Les Forêts d'AcoraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant