16 Vol-lumière vers Pamira

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La première phase de réveil était toujours difficile. Je sentais tous mes os prêts à se rompre au moindre de mes mouvements et mes muscles étaient si atrophiés que la douleur des crampes et des courbatures était à peine perceptible. La connexion au terminal du régénérateur ne pouvait se faire que manuellement ; les capteurs détectaient ainsi l'intensité de l'influx nerveux et d'autres paramètres vitaux du sujet s'éveillant d'un vol-lumière.

Après de pénibles efforts pour terminer la manœuvre, je raccordai le flexible à la cryostase et laissai le bain m'immerger entièrement. Je sentis avec soulagement l'énergie réparatrice de la solution m'envelopper et me rendormis au rythme irrégulier des cliquetis de la coque du vaisseau qui refroidissait. Une quarantaine d'heures plus tard, je m'extirpai de ma combinaison et posai le pied sur le sol encore chaud.

Un lumiotraceur semblait m'attendre. Je déambulai derrière lui dans les entrailles du vaisseau. Comme la plupart des astronefs biomécaniques, un neuroprocesseur central régissait l'ensemble des fonctions de l'appareil et était directement connecté au système nerveux du pilote principal.

Encore engourdi, je m'arrêtai quelques secondes pour m'étirer quand une voix ronde, aux inflexions métalliques, se fit entendre :

— Nous approchons la galaxie Pamira et aurons rejoint la planète Adalis d'ici approximativement cent vingt heures. Vous devez être Jaadhur, fils d'Imarudh, je présume ?

Surpris, je répondis en levant la tête vers le haut du couloir sans trop savoir à qui je m'adressais :

— Exact... à qui ai-je l'honneur ?

— Mon nom est Liātt, j'incarne l'entité pensante du Shānradjal, le vaisseau dans lequel vous vous trouvez, répondit la voix d'un ton amical. Soyez le bienvenu, Jaadhur, vous êtes ici chez vous. C'est moi qui ai composé la solution qui a régénéré votre structure. Si je peux me permettre, la salle d'entraînement vous attend. La séance progressive que j'ai programmée rétablira au mieux votre équilibre métabolique. Veuillez suivre le lumiotraceur, je vous prie.

Je m'exécutai sagement bien que je trouvais l'attention que me portait ce neuroprocesseur envahissante. Après réflexion, je n'avais pas encore pu récupérer toutes mes forces depuis Atliur ; cette remise en forme assistée me parut finalement opportune. Je me laissai guider en m'en remettant à la biomachine qui semblait vouloir sympathiser, ce qui était assez amusant.

— ... Où est Imarudh ?

— Actuellement dans la salle de transmissions, en communication avec un contrôleur de la station-frontière de Pamira.

— Que peux-tu m'apprendre d'Adalis, Liātt ?

— Son atmosphère est composée du mélange azote-oxygène propice à la vie organique. L'eau y est présente à l'état liquide et recouvre soixante-cinq pour cent de sa surface. Planète tellurique, son relief le plus élevé culmine à douze mille huit cent quarante mètres. Sa température moyenne au sol est de quatorze degrés celsius et sa pesanteur de un point sept G.

— Des formes de vie évoluées ?

— L'évolution y a généré une très grande diversité d'espèces végétales et animales primaires, aucune espèce intelligente n'y a été recensée. Cette planète demeure officiellement sous l'égide d'un puissant et très ancien ordre scientifique : le Laamrad.

— Officiellement ?

— Je regrette de ne pouvoir te donner plus d'informations, Jaadhur, l'accès à la base de données du Laamrad est contrôlé par un vieux cerbère mnémorg qui ne...

— Jaadhur ? Retrouve-moi sur l'aile quatre, j'ai besoin de ton aide pour colmater la coque. Nous avons rencontré quelques grains, reçu ?

— Reçu, j'arrive immédiatement.

Je me souvins m'être élancé comme un enfant le long des couloirs vers le sas d'accès de l'aile quatre. Une énergie nouvelle affluait dans mon corps et mes muscles répondaient avec une force et une vivacité qui me surprenaient. Le reconditionnement auquel je venais de me livrer et la solution régénératrice de Liātt y étaient pour quelque chose. Je me revois encore courir et bondir comme un jeune tigre, par Iva ! J'aurais pu terrasser un Thog-taali à mains nues.

La voix de Liātt s'éleva dans le corridor :

— Bouclier désactivé.

Toute l'aile quatre venait d'être dépressurisée. Imarudh avait revêtu une combinaison de sortie. Je pénétrai dans le sas.

— Jaadhur... Tu as fait de beaux rêves ?

— Je me sens très en forme.

— Toute cette énergie va t'être utile, enfile ça.

Il me tendit une tenue autonome de sortie spatiale à ma taille dans laquelle je me glissai. Il me dit ensuite quelque chose que je ne pus entendre car il venait de passer son casque.

Je m'empressai de mettre le mien. Le transmetteur se connecta automatiquement :

— ... dans l'embarras... Tu verras par toi-même. Accroche-toi, ça va secouer un peu.

Le sas s'ouvrit sur le secteur quatre et la plateforme sur laquelle nous étions se propulsa aussitôt et fila dans le vide à travers l'immense salle du générateur central. Nous évoluions dans les lueurs vertes de l'incessant ballet des girovalves géantes qui tournaient au ralenti. Je me laissai distraire un instant par l'émanation d'énergie qui sortait du réacteur central et la beauté froide de sa biomécanique endormie.

— Je ne t'ai pas entendu... Qui est dans l'embarras ?

— Liātt, répondit-il en chargeant un fusionneur, être dans l'impossibilité d'apporter une réponse est une chose qu'il n'aime vraiment pas. Tu trouveras bientôt des éclaircissements à toutes tes questions. Nous arrimerons d'ici une dizaine d'heures. Tout juste assez de temps pour cette réparation.

La plateforme se dirigea vers le haut de la colonne d'un réacteur auxiliaire et s'immobilisa près d'un collecteur.

— Très bien. Tu vas m'alimenter en doronium pendant que je colmate. Tu me relaieras ensuite. Raccorde le drain au collecteur et maintiens le flux à quatre-vingts, attends que la réserve soit pleine et libère tout ça à mon signal, reçu?

— Reçu.


Mnémorgs : espèce de Penseurs* dont le système cérébral particulier lui confère un pouvoir de réflexion supérieur aux autres Penseurs. Les Penseurs mnémorgs se distinguent par leurs capacités stratégiques. Longtemps ils furent interdits d'exercer dans les sphères politiques et étaient cantonnés à des tâches administratives complexes. La création et le développement du Mnémolab leur permit de faire entendre leur voix dans les Legistats et les parlements et d'y être finalement acceptés.


Les Forêts d'AcoraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant