Perdu dans des équations alambiquées, Kūmara, le grand intendant du Corpus Biomedis et chef du Bienveillant Conseil sur Acora, s'obstinait fiévreusement dans ses recherches. Bien que les valeurs des données qu'il manipulait dépassassent ses facultés de raisonnement tant elles étaient complexes, il était parvenu à déceler une constante. Il en était à présent certain. Le signal émis par la sphère qui se trouvait au cœur des forêts d'Acora reproduisait la fréquence dynalithique. C'était comme si ces forces inconnues imitaient ces ondes afin de transmettre des données intelligibles, adaptées au langage scientifique d'Acora.
Quatre jours avaient passé sans qu'il n'eût quitté son laboratoire, ne serait-ce que pour prendre un repas. L'obsession qui l'avait envahi grandissait à mesure qu'il avançait dans des calculs toujours plus poussés. Il avait réussi à clarifier ses premières interprétations. Peu à peu, les termes se révélaient. Malgré la fatigue qui le gagnait, il trouvait encore la force de poursuivre. Il le fallait. Et ces maux de tête qui lui martelaient le crâne...
Ces corps célestes avaient une origine, c'était certain. Une intelligence incroyablement évoluée, éloignée de plusieurs milliards de cycles-lumière, bien au-delà de l'Abysse, était parvenue à envoyer jusqu'ici cette sorte de dispositif. Définir la trajectoire... comprendre les intentions de ces entités... Kūmara devinait que des enjeux qui dépassaient encore sa conscience se jouaient là, sous ses yeux, dans ces calculs qui défilaient sur l'écran de son neuroprocesseur.
Ce matin, Valkelis était venu lui apporter de quoi se restaurer. Étrangement, il ne lui avait pas dit un mot. Il s'était contenté de le regarder avaler rapidement les plats qu'il lui avait préparés. Peut-être ne voulait-il pas le déranger dans son travail ?
Au soir du cinquième jour, il avait enfin terminé. Il était épuisé. Ses membres étaient parcourus de frissons et de spasmes. Les premières lettres, puis les premiers mots, commencèrent à apparaître sur l'écran, entre de longues séries de calculs. Puis des chiffres encore... Il se resservit de la liqueur sirupeuse que lui avait apportée Valkelis. Le tavernier lui avait aussi préparé un délicieux maroush fumé. Mais où avait-il posé le potage aux pousses de juki qu'il lui servait toujours ?
Il observa le ciel à travers la coupole, sa vision était trouble... il distinguait à peine les lunes qui apparaissaient et disparaissaient derrière les nuages. D'ici quelques minutes, le neuroprocesseur aurait terminé son travail. Ses mains tremblaient. Les maux de tête qui le tenaillaient s'étaient changés en une douleur insoutenable. Il tenta de se lever mais n'y parvint pas. Il balbutia quelques mots inarticulés... appela Valkelis. Ses membres ne répondaient plus.
Son esprit bascula soudain. Sa conscience cherchait malgré lui dans ses souvenirs. Il lui revint presque aussitôt cette journée où des étrangers étaient venus lui demander de l'aide... des agents de l'Alliance qui partaient pour les montagnes... Uthaïhadda. Sa volonté lui échappait, les images de cet après-midi-là tournaient sans cesse. Pourquoi pensait-il à cela maintenant ?
Assis dans l'ombre, Valkelis le regardait se débattre, immobile, le regard entièrement vide. Dans un dernier moment de lucidité Kūmara comprit.
Le vieil homme tenta de rassembler ce qu'il lui restait de force et de volonté pour éclaircir sa vue et lire l'imprimé qui était sorti de la machine. Il s'effondra à terre. Valkelis, ou plutôt la chose qui lui ressemblait comme un reflet froid et dépourvu de vie, se leva et se pencha vers lui. Il ôta de sa tête le neurocapteur pour le placer sur la sienne. Les gestes étaient lents et attentifs. Il lut mentalement les données et prit la feuille où s'étaient inscrites une dizaine de lignes. Il se focalisa sur les dernières : les coordonnées de l'origine d'une trajectoire.
Le tavernier enjamba le corps inerte de Kūmara. Il l'examina encore quelques secondes. Il était trop vieux. Ses os étaient comme des brindilles sèches. Il ne pouvait plus rien en faire. Il leva ses yeux froids vers la nuit étoilée et chercha à lire dans le ciel ce que le vieil homme y avait vu avant de s'éteindre, puis il quitta l'étude. Deux mots se répétaient en écho dans son système et soulevaient des ondes d'alertes qui parcouraient le flux de ses particules : Vijā Saati... Vijā Saati...
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Les Forêts d'Acora
Science FictionAu cœur du système Autarcique d'Auriande, de mystérieux objets célestes viennent de s'écraser sur une jeune planète du nom d'Acora. Sous le sceau de Vijā Saati, l'Alliance universelle secrète, Jaadhur et ses compagnons y sont mandatés. Leu...