- C'est un endroit parfait pour vivre ! Lança l'agent immobilier à Lemie.
Celui ci ne voyait pas dans le regard de cette dernière, qu'elle n'était pas vraiment là pour un nouveau départ. C'était tout autre chose qui l'avait menée là. Pourtant, la jeune femme ne voulait surtout pas troubler l'homme, qui tentait de conclure l'affaire.
A chaque pièce qu'elle découvrait, Lemie se voyait ; ici, dans cette cuisine, elle pourrait pleurer toutes les larmes de son corps, assise sur une chaise, les coudes sur la table en bois ; là, dans ce salon aux allures anciennes, elle finirait sûrement par tester la solidité du mur, quand l'envie d'y frapper lui prendrait soudainement et qu'elle ne trouverait pas le courage d'y résister. Un peu plus loin, dans la salle de bain, elle savait qu'elle pourrait orchestrer et mettre en scène son dernier tableau, le plus beau. Son grand final. Car Lemie était, avant tout, une artiste. Seule elle le savait car son manque de confiance en son propre jugement l'empêchait de le révéler au reste du monde. Et puis, de toute façon, Lemie se fichait des gens. Ils ne lui avaient, jusque là, rien apporté de bon dans son existence. Cet appartement avait d'ailleurs ceci de parfait, qu'il n'avait pas de voisin.
En pensant à tout cela, Lemie n'entendit pas grand chose de ce que l'agent immobilier pouvait lui dire. Il lui détaillait certainement les maigres avantages des lieux, les quelques magasins se trouvant dans la ville, le système de bus, pratique, en toutes circonstances. Il devait sans nul doute lui faire l'historique de tout, sans ménager ses efforts. Mais Lemie ne s'y intéressa pas tellement, sa décision était déjà prise au fond d'elle. Elle s'y voyait parfaitement pour concrétiser son projet, et c'est tout ce qu'elle avait besoin de savoir au fond.
Quand l'homme sortit le formulaire, pour constituer le dossier de location, Lemie s'empara du papier avec énergie, comme pour lui faire comprendre qu'elle n'avait pas besoin de plus de temps pour y réfléchir. C'était là, précisément, qu'elle devait se trouver.
Comme il est d'usage, le professionnel l'avertit qu'il allait étudier son dossier, dès lors qu'il aurait reçu tous les formulaires demandés. Lemie ne sut pas bien pourquoi, mais elle sentit que si elle venait à ne pas s'installer là, alors elle ne serait faite pour nulle part. Il n'y avait pas d'alternative possible.
En sortant de l'appartement, alors que la jeune femme allait s'en aller, l'agent immobilier l'interpella :
- Ah ! J'ai oublié.
Tout en pointant du doigt une porte brune se trouvant sur le palier, il ajouta :
- Cette pièce appartient également au logement. Je ne peux pas vous la montrer dans l'immédiat, car l'ancienne locataire ne nous a pas rendu les clés.
L'homme se confondit en excuses, assurant que compte tenu du caractère non urgent de la situation, et en prenant en compte que nous étions en pleine période de grandes vacances, le seul rendez vous qu'il avait pu décrocher avec un serrurier, tomberait dans un peu plus d'un mois. Lemie s'en fichait. Ce qu'elle voulait, c'était l'appartement. Ce qu'il vantait comme potentielle chambre d'ami ne l'intéressait guère. Il faut avoir des amis pour vouloir mettre une pièce à disposition pour eux, et ça, Lemie n'en avait pas. Alors à quoi bon s'affoler sur la question ?
Ainsi, l'agent immobilier laissa repartir la jeune femme, après avoir déroulé toutes les formules de politesse qu'il semblait connaître. Lemie rentra chez elle, pleine d'espoir. En attendant, il fallait qu'elle continue de vivre entre les quatre murs dont elle avait l'habitude, et qu'elle avait fini par détester au plus haut point.
Les jours passèrent sans qu'aucun appel ne soit reçu sur le téléphone de la jeune femme. Ni de l'agent immobilier, ni de qui que ce soit d'autre d'ailleurs. Lemie commença à angoisser. Et si son dossier n'était pas suffisant ? Si les maigres garanties qu'elle avait proposées, ne faisaient pas le poids face à d'autres éventuels candidats bien mieux qu'elle ? Lemie pouvait bien se torturer, cela ne faisait pas avancer plus rapidement son affaire.
Et puis, neuf jours après être tombée sous le charme de cet appartement complètement vétuste, Lemie reçu enfin un coup de fil. Tremblante, la jeune femme laissa quelques sonneries avant de décrocher, pour ne pas se montrer trop désespérée, trop impatiente. Enfin en ligne, l'agent immobilier. Lemie fut à quelques secondes de savoir, et ne put s'empêcher de couper la parole à l'homme, pour enfin connaître le verdict.
- Il est pour vous, si vous le voulez toujours.
La remarque fut impertinente. Il semblait évident que Lemie désirait toujours ce logement qui avait su la séduire, sans qu'il n'ait rien de séduisant. La date de remise des clés, signatures du bail et état des lieux fut facilement posée. Dans seulement dix petits jours, Lemie allait enfin commencer, ou finir quelque chose. Qu'importe, sa vie allait changer, elle allait avancer dans un sens ou dans un autre, et c'est tout ce qu'elle désirait au plus profond d'elle même. En raccrochant, elle fit un long soupir de soulagement en laissant son corps se reposer sur le fauteuil gris. Son projet allait pouvoir se mettre en marche. Qu'aurait elle pu vouloir de plus à ce moment précis ?
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L'Appartement
Short Story"La solitude, autant qu'on peut la vouloir ou l'espérer, sonne comme un abandon quand elle s'éternise un peu trop".