XII. Ténèbres

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(L'air de cette musique va bien avec ce chapitre ;) )

Amélie laissa sa tête tomber en arrière pour s'appuyer sur le dossier de son siège. Cela faisait près d'une heure qu'elle était dans sa voiture, sur cette longue route bloquée par on ne savait quoi. Il y a quelques jours, un état d'urgence avait été déclaré, des camps de réfugiés mit en place par le gouvernement. Une sorte d'infection avait commencée à ravager le pays. La nuit était tombée en peu de temps. Amélie avait préparé une grosse valise et comptait rejoindre ses parents dans un état voisin où les choses allaient peut-être mieux. Devant, les gens étaient pour une grande part hors de leur véhicule, patientant comme ils le pouvaient. Amélie fit de même, décidée à comprendre ce qu'il se passait. Un petit aux cheveux bruns se plaignait qu'il avait faim, sa mère et son père disaient qu'ils allaient tenter d'avancer pour voir si quelqu'un savait ce qu'il se passait. Au dessus de leur tête, un hélicoptère passa. Les deux adultes partirent vers l'avant pendant que le petit restait avec un autre couple qui avait déjà une fille. Amélie espérait au fond qu'ils reviennent rapidement avec une explication rassurante. Mais quelques minutes après, une explosion retentit loin devant. La foule de civils sur la route leva la tête. Les gens commençaient à s'agiter. Trois nouveaux hélicoptères passèrent au-dessus de leur tête. Amélie eut un haut le cœur, elle sentait que la panique montait. Elle saisit son sac à dos à l'arrière de son véhicule et courra rapidement vers l'endroit d'où venait l'explosion. Elle ne savait pas ce qu'il se passait mais elle voulait voir. Comprendre.

Elle longea la route et suivit plusieurs personnes dans une forêt, sur le bord. Alors elle vit ce qu'elle ne pensait possible qu'en cauchemars. Devant, de l'autre côté de la forêt, une armée d'hélicoptères bombardait la ville qui se trouvait à quelques kilomètres. Elle saisit le collier en forme de cœur attaché à son cou et le serra avec force. Elle comprit tout de suite : l'armée ne gérait pas si bien que le gouvernement ne voulait le laisser entendre...

Les chaussures abîmées par la marche, le jean troué par les chutes, la veste humidifiée par la pluie...

Amélie marchait. Tout ce qu'elle savait reposait en ces deux mots. Elle marchait.

Les pieds meurtris par les pressions sur le sol, les jambes souffrantes par l'effort, les bras frigorifiés par le froid, les mains blessées par les écorchures...

Amélie passa devant une vieille voiture qu'elle ne remarqua même pas.

Les cheveux emmêlés par le temps, les lèvres séchées par le vent, les cernes naissantes par la fatigue, les joues salies par les larmes...

Amélie dépassa un rôdeur somnambule sans l'entendre.

Les yeux vidés par le désespoir, il manquait cette étincelle, celle que ses parents aimaient tant regarder, celle que ses collègues de stages admiraient...

Le rôdeur n'avait pas mangé depuis fort longtemps, et cette belle jeune femme en détresse avait un teint mat des plus appétissants.

Elle n'avait plus cette étincelle. Elle n'avait plus que son corps. Comme ces rôdeurs tout autour. Elle marchait, boitant par moment, râlant à d'autres, cherchant simplement à atteindre une fin, une ligne derrière laquelle tout s'arrêterait. Tout ce qu'elle voulait, c'était arrêter de souffrir, peu importe où elle trouverait ce qu'elle cherchait. Le ciel gris la suivait partout où elle allait, comme ces jumeaux dont elle avait arrêter d'entendre les gémissements après trois heures de route à quelques mètres d'eux. Ces morts. Tous morts. Ou en train de mourir. Tout le monde pleurait du réchauffement climatique, de la surpopulation. Personne n'avait pleuré de ce qui pouvait réellement arriver. Aujourd'hui c'était là. Et il n'y avait plus personne pour le voir. À l'époque on regardait les morts à la télévision et on émettait des hypothèses sur la victime d'une batte entourée de barbelés. Tous morts. C'était tout. Rien d'autre que la mort. C'était ça le monde maintenant. Peut-être qu'elle finirait par s'habituer à ces douleurs sans fin. Elle arrêterait aussi probablement de pleurer. Parce que tout était mort. Mort. Mort mort mort. Les feuilles, les animaux, l'air, l'eau, les humains... elle. Morts. Aucun oiseau ne chantait aux alentours, peut-être même que plus aucun oiseau ne chantait dans le monde. Seul les chœurs joués par les rôdeurs animaient la scène. Plus rien que le monotone d'une vie décédée. Les nuages eux-même semblaient mourir et se laisser guider dans le vide absolu d'un ciel brisé, d'un espace fendu par une glace froide. Le froid qui enveloppait le monde, les êtres, les vivants comme les morts. Un froid ténébreux. Un silence oppressant. Une sensation de vide plein de désespoir. Les feuilles mortes reposaient à même le sol dans un sommeil éternel. Les arbres les laissaient tomber sans lutter.

Humanité : Tome 2 - PouvoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant