XXX. Pilleurs

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 Les flammes du petit feu crépitaient dans la cheminée au bout de la pièce principale. Mise à part ce son quotidien qui berçait leurs nuits ainsi que les bruits de pas d'un membre du groupe qui n'aimait pas rester inactif, il n'y avait rien. Les rôdeurs cachés dans cet endroit étaient définitivement morts depuis longtemps. Les quelques uns qui revenaient rôder dans le coin voyaient leurs corps perdre tout forme de vie à l'aube, brûler avant que le soleil n'atteigne son plus haut point, réduit en cendre avant que l'ombre de la nuit ne les envahisse. La plus grosse partie des monstres qui étaient encore dans cette foutue ville devait former une énorme marre mortelle quelque part au centre ville. Une marre qui menaçait à tout moment de devenir un véritable tsunami qui noierait alors tout survivant qui s'y tenterait. Même s'ils savaient pertinemment que les grands froids n'allaient pas tarder à devenir de plus en plus absents, les survivants ne pouvaient s'empêcher de maudire ces températures qui les faisaient claquer des dents, ces températures qui les obligeaient à faire du feu régulièrement, à aller chercher du bois régulièrement, à le faire sécher souvent avant de pouvoir l'utiliser efficacement, et tout cela pour un maître réconfort qui ne savait qu'effleurer leur peau salé et gelée.

- Alors c'est quoi le plan maintenant ? Demanda Phil en soufflant un petit nuage blanc.

- On passe à l'action, répondit Kayle d'une voix tremblante.

Les autres se contentèrent de hocher la tête. Voilà deux semaines qu'ils étaient arrivés ici. Deux semaines qu'ils avaient posé bagages dans cette petite maison qui avait l'avantage d'avoir une cheminée. S'ils avaient l'air sûrs d'eux quand ils étaient dehors, quand ils tentaient de ramener de quoi manger, ils étaient en réalité plus perdus et faibles que jamais. Depuis le début, Kayle, son frère et la femme de ce dernier étaient ensembles. "Pour le meilleur et pour le pire" avait dit son aîné en lui attrapant la main. Ces mots raisonnaient encore dans sa tête. Le pire. C'était tout ce qui les avait attendu par-delà de leur ville natale. La peau noire, les yeux et cheveux de la même couleur, Kayle n'était pas très grand, mais il était de loin le plus musclé de leur groupe. À son exacte opposé, Phil était d'un blanc pâle, il était incroyablement grand mais lui trouver des muscles semblait être mission impossible. Du moins c'est ce que disaient les autres pour se moquer à l'époque où rire faisaient encore parti de leur loisirs. Au début, lorsque tout semblait n'être qu'une maladie passagère, ils riaient encore. Peu, certes, mais ils le faisaient. Kayle avait rencontré Phil dans ce petit camp de survivants qui n'était gardé que par une vingtaine de militaires. Un jour leur chef de troupe n'a plus eu de nouvelles de ses supérieurs et a donné l'ordre de lever les voiles. Le lendemain, le camp était sans la moindre protection et au bord de l'anarchie. Kayle, son frère, la femme de ce dernier ainsi que quelques amis rencontrés sur place ne perdirent pas une seconde et quittèrent les lieux avec trois voitures. Ils trouvèrent refuge dans une auberge qui semblait abandonnée dans un premier temps. L'endroit s'était révélé aussi désert qu'attendu et ils y étaient resté une nuit. Le lendemain d'autres survivants arrivaient et le sang chaud des nouveaux arrivants poussa le petit groupe à reprendre la route. Kayle avait espéré pouvoir collaborer avec eux mais deux coups bien placés respectivement à hauteur de foie et dans sa mâchoire, il avait finalement convenu que casser plus d'un bras à leur ennemi n'était pas une bonne idée. Ils avaient rejoint un petit camping qui avait déjà des occupants. Des occupants plutôt bienveillants cette fois. Puis le frère de Kayle avait prit les initiatives concernant la protection des lieux. Il fut rapidement considéré comme celui qui était le plus apte à les diriger. Malgré lui. Ils restèrent plusieurs mois dans ce camping. La plupart des hommes et quelques femmes avaient rapidement appris à manier les armes de corps à corps, permettant ainsi au groupe de survivre face aux morts revenus. Au loin, dans la direction de la ville, des coups de feu étaient régulièrement entendus. Puis débarqua un groupe d'apparence sympathique. Ils étaient une dizaine et avaient pas moins de cinq voitures pleines de provisions, il ne manquait qu'un abris, affirmaient-ils. Oui, le frère de Kayle avait eu confiance. Particulièrement en ce père qui avait perdu ses deux filles un mois plus tôt. Deux jours après, Kayle enterrait son frère et la femme de ce dernier. La nuit avait été la pire qu'il n'avait jamais vécu. Ce nouveau groupe avait massacré tout le monde, dans la moindre pitié. De nouveau sur la route, Kayle avait prit la tête de leur petit groupe de 8 survivants. L'un d'eux ferma définitivement ses yeux quelques jours après, succombant à des blessures particulièrement violentes. Puis ils étaient arrivés dans cette nouvelle ville, espérant pouvoir s'y installer le temps que l'hiver passe. Puis Billy avait surgit au milieu de la route. Ce jour là... Kayle revoyait le gamin apparaître devant leur voiture, Phil freiner violemment et agiter rapidement le volant pour éviter l'enfant. Le gosse était frigorifié, emmitouflé dans un blouson troué. Kayle et son groupe l'avaient embarqué avec eux. Une bouche de plus à nourrir mais quoi, allaient-ils vraiment laisser un pauvre gosse crever de froid ? Certainement pas.

- Si on se foire... Souffla Daniel.

- Il ne faut pas, dit froidement Kayle. Ou on ne passera pas l'hiver.

Depuis deux semaines qu'ils étaient près de hauts bâtiments, ils avaient évité la ville au mieux, espérant trouver quantité de nourriture à moindre risque. Alors ils étaient tombés sur un entrepôt qui était peut-être plein de nourriture. Un trésor. Mais à leur arrivée ils avaient découverts que d'autres survivants convoitaient cette réserve dorée. Devaient-ils avoir confiance ? Alors qu'ils étaient faibles et incapables de se défendre ? Les risques étaient trop élevés. Kayle avait alors espéré pouvoir les arrêter et utiliser leurs quelques munitions pour les dépouiller de leurs biens. Mais Alan, aussi bon motard était-il, avait brusquement chuté de sa moto, bousculé par l'énorme 4x4 qu'ils poursuivaient. Et Kayle n'avait aucune envie de voir mourir l'un des leurs de nouveau. Aucun d'eux ne le voulait. Ceux qu'ils avaient attaqué savaient qu'ils étaient là, ils allaient forcément tenté l'attaque prochainement. Kayle avait bien conscience qu'il avait ouvert les hostilités, mais ils ne pouvaient plus reculer.
À force d'explorer les environs, ils avaient finit par tomber sur une ferme entourée de barricades. Le 4x4 était là. L'endroit était gardé en permanence, les survivants ne semblaient pas nombreux mais ils étaient bien armés et leur physique ne démontrait pas de gros manques concernant la nourriture. La maison était énorme et la grange devait abriter quantité de nourriture et d'armes que Kayle rêvait plus que jamais d'avoir. Cet endroit était l'endroit rêvé, non seulement pour lui et son groupe, mais plus précisément pour le petit Billy qui ne cessait de grelotter toute la journée en serrant le petit cœur en peluche contre sa poitrine. "C'est mon amie qui me l'a donné" disait-il quand on posait la question de l'origine de ce petit cœur. L'enfant ne parlait que très peu et refusait de donner la moindre indication quant à la façon dont il avait survécu jusque là. "Traumatisé", justifiait Derek en regardant l'enfant avec un air inquiet. Derek n'avait jamais aimé les enfants à ses dires. À 34 ans il était redevenu célibataire, planifiant le tour du monde rêvé depuis ses 12 ans. Et s'il n'avait pas tenté l'expérience plus tôt, c'était parce-qu'il était "bloqué par une vipère sans nom". Une autre façon de d'écrire son ex-femme ainsi que leur amour passionné.

- De toutes façons que l'on y passe là-bas où que l'on attende ici, râlait Derek, on ne passera pas l'hiver. Autant tenter le coup.

Non sans hésitation, le groupe avait donc décidé de le faire. Ils allaient tenter de prendre cette ferme de force. La diplomatie était une option mais, en cas de besoin, les armes seraient des outils nécessaires. C'est ainsi qu'en ce début d'après-midi, alors que pour la première fois depuis trop longtemps le soleil perçait timidement, Kayle lança son arme de poing sur le siège conducteur du fourgon.

- Tu es sûr que vous allez y arriver ? Demanda Phil en faisant une grimace craintive. Je peux toujours venir tu sais ?

- C'est sympas Phil, répondit Kayle avec un sourire forcé. Mais nous savons tous à quel point les armes te font peur. Et Billy ne peut pas rester tout seul, imagine que des morts-vivants arrivent pendant notre absence ? Il a besoin de toi. On a besoin de toi.

Kayle lui posa la main sur l'épaule et lui adressa cette fois un sourire sincère. Phil le lui rendit et hocha la tête. Leur groupe était soudé malgré les épreuves qu'ils avaient dû traverser. Derek attrapa une moto, raidement imité par Alan. Kayle et les trois autres montèrent dans le fourgon avant de quitter l'endroit. Allaient-ils revenir ? Aucun ne le savait. En fait, il était même certains que parmi eux, une part espérait intérieurement que tout s'arrête là-bas. Mais les choses n'avaient jamais été aussi simples. Jamais.  

Humanité : Tome 2 - PouvoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant