XXXIII. Les chasseurs chassés

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Les gouttes de sang glissaient encore sur le bois humide de la cabane. L'odeur répugnante devenue trop habituelle par ce nouveau monde infectait l'endroit malgré l'air libre.

- Quel gâchis, dit Ailana.

- C'est horrible tu veux dire, souffla Edana.

Un cadavre se tourna vers eux, les yeux livides. Malgré la quantité de sang qui avait dû quitter le corps de cet être, il semblait toujours en bonne forme. Ou du moins comparé à d'autres cadavres. Un carreau vola et alla se planter dans le crâne du monstre.

- Et dire qu'on comptait dessus pour mettre fin à nos problèmes, soupira Ailana.

Devant les deux jumelles se dessinait un tableau plus macabre que tout ce qu'elles avaient pu voir en image. Durant la nuit qui avait suivi la visite des pilleurs, un coup de feu avait retenti. Tous s'étaient redressés, tendus, tous avaient écouté avec attention. Les quelques rôdeurs qui avaient accroché les protections de la ferme avaient alors tourné les talons en direction de la forêt, cherchant l'origine de ce coup de feu. Puis plus rien. Que s'était-il passé ? À ce moment personne ne le savait. Ils s'étaient alors tous rejoint dans la cours et la décision fut rapidement prise : Si aucun autre coup de feu ne retentissait, cela signifiait qu'il s'agissait probablement d'une erreur, ou que la situation était gérée par ceux qui avaient tiré. Les chasseurs.

- Ils ont dû être rapides, remarqua Edana en avançant vers le rôdeur que sa sœur venait d'abattre.

Des quatre chasseurs qu'ils connaissaient, trois d'entre eux étaient maintenant morts. L'un avait prit une balle en pleine tête, un autre avait été égorgé avant de voir son crâne percé par on le savait quelle lame, et le dernier avait plusieurs entailles au niveau de l'estomac. Celui-ci s'était relevé à l'approche des jumelles pour tenter de les dévorer. Et leurs affaires étaient prêtes. Il y avait une caisse pleine de fusils et de cartouches, un carton contenant une vingtaine de conserves et ils avaient même remplis une autre caisse de viande séchée. Même si cela semblait énorme, en réalité cela ne prolongerait leurs réserves que pour une semaine d'après la quantité. Quoique une semaine était déjà énorme au vu de leurs dernières expéditions. Les deux sœurs prirent une bonne partie de la matinée pour charger le tout dans leur véhicule. Le pickup permettant un stockage important. Puis elles rentrèrent à la ferme ou attendait Amélie avec un air stressé.

- Alors ? Demanda cette dernière quand Edana ouvrir sa portière.

- On a ramené ce qu'il restait, répondit-elle calmement.

Amélie compris immédiatement ce que cela signifiait : les chasseurs avaient été massacrés dans la nuit.

- Il manque Henry, ajouta Edana.

Amélie la regarda.

- Comment ça ?

- Son corps est introuvable, dit Ailana. Vivant ou mort, il n'est pas là-bas.

- Vous pensez qu'ils l'ont emmené avec eux ?

- Difficile à dire, dit Edana, il y a eut du mouvement là-bas. Mais on pense qu'ils l'ont traîné jusqu'à leur fourgon avant de repartir. D'après les quelques traces qu'on pense avoir trouvé.

Philippe approcha, suivit de Martin et Amir.

- Alors quel est le plan ? Demanda le fermier. On ne peut pas attaquer, le chasseur serait immédiatement abattu. Et nous ne sommes pas assez nombreux. Malcom et les autres ne sont même pas rentrés.

C'était ce point qui finissait d'achever Amélie : Malcom n'était pas rentré. Ou étaient-ils tous les trois ? Étaient-ils morts ? Peut-être avaient-ils croisé la route des pilleurs et que ceux-ci leur avaient réservé le même sort qu'aux chasseurs ?

- Amélie, souffla Martin avec hésitation.

Elle se tourna vers lui, craignant déjà, à la vu de son regard, ce qu'il allait dire.

- Je pense que c'est le moment, dit-il. On est dans une impasse. Si on agit, on est en position de faiblesse, si on agit pas, on risque à tout moment d'être massacrés. Il faut trouver autre chose. Tenter autre chose. Laisse la essayer.

- Je ne sais pas Martin...

- Nous n'avons qu'à voter, comme nous le faisons depuis le début. Quoique nous fassions, si Malcom ne rentre pas, nous sommes condamnés. Et même s'il rentrait maintenant personne ici ne pourrait me dire avec certitude que nous serons toujours au complet dans une semaine. Il est déjà difficile de lutter contre les morts, mais plus encore lorsqu'il s'agit d'affronter les vivants. Emma tient à ce groupe. Elle a été la première ici à préparer une résistance.

- Et elle a échoué, siffla Amélie.

- Oui elle a échoué. Et sans toi Amélie, elle ne serait plus de ce monde. Mais c'est aussi grâce à elle que tu es toujours de ce monde. Toi, Malcom et Nicolas. Car à l'école tout le monde l'a écouté, vous lui avez fait confiance. Et elle n'a pas échoué. Aujourd'hui, il ne s'agit pas de vouloir lui faire confiance, il s'agit de comprendre qu'elle est de notre côté, et qu'elle est la seule solution que nous n'avons pas encore essayé.

Martin croisa le regard de Amir.

- Je sais qu'elle a fait des choses horribles, poursuivi Martin. J'en ai été le premier sous le choque. Mais qui n'en a pas fait ? Qui ici peut me jurer que jamais il n'a eu rien que l'envie profonde de faire de même ? Personne. Ce monde n'a plus de lois, les règles se sont écroulées avec les Hommes, il n'en reste que d'infimes morceaux. Aujourd'hui ces règles nous limitent, et lorsque je vois nos ennemis, je suis plus certain que jamais que nous ne pouvons nous permettre de nous limiter.

Il acheva son discours dans un souffle qui montrait à quel point il avait mit de son coeur dedans. Amélie prit un air désolé puis répondit :

- Martin... Si nous acceptons de briser le peu de règles qu'il reste... À quoi notre humanité tiendra-t-elle ? On ne peut pas.

- Nous pouvons vivre dans ce nouveau monde ou mourir dans l'ancien, dit Philippe avec une pince apparente. C'est ce que m'a dit Emma il y a quelques jours. Je n'avais pas saisi exactement ce qu'elle voulait dire par là. Mais c'était exactement de ça qu'elle parlait. Nous devons nous adapter. Ce qui était juste avant peut sembler stupide aujourd'hui.

- Sauf qu'on ne tue pas nos prisonniers, répliqua Amélie.

- Ils n'auraient jamais changé, dit Ailana. Nous étions en manque de nourriture. Se poser trop de questions n'est plus une bonne chose dans ce monde.

- C'était de la torture, dit Amélie avec le regard qui perdait de sa fougue peu à peu. Et on ne peut tolérer ça.

- Pour être sincère, dit Edana, dans l'immédiat je ne suis plus trop d'humeur à juger de son passé. Noham, vous saviez que c'était un enfoiré non ? Qui l'a viré du groupe ? Personne, parce-qu'il vous dirigeait, vous donnait une personne à suivre.

- Je suis désolé Amélie, dit Amir, mais je pense que c'est cette fois notre dernière chance.

Alors Amélie se rendit compte qu'elle de trouvait face à tout les autres, et qu'ils avaient tous le regard figé sur elle. Devait-elle vraiment poser la question ?

- Qui est pour la libération de Emma... ? Demanda Amélie en relevant la tête.

Toutes les mains face à elle se levèrent.

- Que le diable l'emporte, cracha Amélie.

Puis, plus calmement :

- Donnez lui une arme. Les pilleurs ont dû laisser une moto dans leur fuite, elle n'aura qu'à la prendre.

Alors, avec un pas qui montrait la colère de la jeune femme, elle se dirigea vers la maison. Le monstre allait sortir de sa tanière. Il allait bientôt falloir un chasseur adapté... 

Humanité : Tome 2 - PouvoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant