Chapitre 9 : «Vois ça comme l'opportunité de tout recommencer à zéro.»

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Le commandant Wild avait été bon prince, je dois le dire, mais j'imagine qu'il l'avait été sous les ordres d'un de ses supérieurs ou de ma protectrice. Il m'avait accordé plusieurs jours de répit pour réfléchir et prendre ma décision. Pour cela je ne me risquais plus à me rendre au Siège. C'est à peine si je voyais quelqu'un en dehors de Grâce. Enfin si, Flora passait quelques fois à la maison. Elle avait des horaires qui nous permettaient de nous voir dans l'après-midi et par ailleurs, elle était la seule à connaître la proposition de Wild avec Grâce. J'aurais très bien pu en parler à mes autres nouveaux amis, mais je ne voulais en aucun cas être influencée.

Je venais de me lever et il était plus de dix heures. Hier, j'étais allée à une soirée entre filles avec Flora et j'étais revenu tard. Je me dirigeais nonchalante jusqu'à la cuisine quand je remarquais le chat tigré miauler dans un coin du canapé. Intriguée, je rejoignis Jupiter en trois enjambées et là en effet un objet rectangulaire plat s'illuminait sur le canapé. L'animal cherchait à jouer avec le portable. Je m'emparais de l'objet et le regardais sur toutes ses coutures. Il s'agissait bel et bien du portable de Rey, objet dont elle ne se séparait sous aucun prétexte. Elle l'avait sûrement oublié dans la précipitation du matin. Je n'avais rien prévu d'exceptionnel aujourd'hui, il aurait été de mauvaise volonté de ne pas aller le ramener à sa propriétaire. Je connaissais le trajet qui menait au Siège sans problème.

Après avoir pris une douche et m'être préparée, je pris le portable que je rangeais avec précaution dans la poche de mon jean. Jupiter me suppliait du regard de ne pas partir, toujours en miaulant :

— Pas maintenant, mon vieux. Je reviens vite.

Enfin arrivée à destination, je me rendis à l'accueil, demander si je pouvais voir Grâce.

— Attendez, je regarde ça. La secrétaire s'activa sur son écran et après quelques minutes de consultation... Elle n'est pas disponible pour le moment, elle est en réunion.

— Est-ce que je peux l'attendre dans son cabinet ?

— Et vous êtes ? demanda-t-elle professionnelle jusqu'au bout des ongles.

— Gaïa. Le docteur Rey est ma tutrice.

— Oh, fit-elle comme rappelée à l'ordre. Son bureau est au troisième étage, couloir de droite, prenait cet ascenseur.

— Je préfère prendre les escaliers.

— Dans ce cas, c'est au fond du rez-de-chaussée, m'indiqua-t-elle en le pointant du doigt.

Je la remerciais et m'apprêtais à monter les imposantes marches. Au bout du premier escalier, je commençais à regretter ma décision. J'en avais encore cinq à monter ! Ça n'arrangeait pas mon affaire. C'est décidée que je gravissais les marches à un rythme lent et arrivée au niveau du second étage, je vis une troupe de gens arriver avec à leur tête la sénatrice Thérésa dans une tenue impeccable bleue foncée et gris sombre. Pour son âge, elle avait encore fière allure. Celle-ci me remarqua et posa son regard aimable de diplomate. Elle s'approcha de moi sans prendre garde à la horde de gens qui la suivait et elle me salua :

— Bonjour Gaïa, tu vas bien ?

D'abord étonnée par son tutoiement, je restais plantée là sans réponse. Je devais la tutoyer moi aussi ? Je sentis les regards autour de moi, je pense qu'il fallait que je réponde le plus vite possible :

— Oui, merci beaucoup, sénatrice.

— Où te rendais-tu ainsi ?

— Je devais aller voir, le docteure Rey.

— Au troisième étage, c'est ça ? C'est là où je vais. Christopher ? fit-elle à l'intention d'un homme derrière elle qui portait un costard dénué de cravate avec une veste du même bleu qu'elle.

Il s'approcha d'elle jetant un dernier regard sur sa tablette :

— Oui, madame.

— Je vais faire le reste du trajet avec cette demoiselle, ce n'est pas la peine de m'accompagner.

— Bien, madame.

Et ni une ni deux, toutes les personnes qui accompagnaient la femme reculèrent de plusieurs pas, me laissant seule avec elle. Je pensais que nous allions rejoindre l'ascenseur, mais non, elle se sentait d'attaque pour monter les marches. Après tout, il ne restait plus que deux escaliers, ce n'était pas la mer à boire.

— Le conseil se penche longuement sur la décision qu'on doit prendre te concernant.

— Vraiment ? fis-je d'une voix inaudible.

La nervosité était en train de me gagner.

— Rien n'a encore était décidé et tu es quelqu'un qui n'a pour l'instant pas commis d'écarts de conduite. Tu es sur la bonne voie.

— J'aimerais en être aussi sûre que vous, soufflais-je.

Zut ! Ses paroles ne lui étaient pas destinées.

— Comment ça ? m'interrogea-t-elle en me fixant du regard.

— Votre collègue, m'a fait comprendre au gala que pour avoir sa place sur Ankor et dans la cité d'Andromède, il fallait jouer un rôle important dans la société. Et pour le moment, je suis sans emploi et sans avenir fixe...

— Et personne ne t'en a proposé un ?

— Si, avouais-je à demi-mot.

— Ce travail est bien payé ?

— Oui.

— Décent ?

— Oui.

— Il sert aisément la cité d'Andromède ?

— Oui.

— Alors il n'y a aucun problème. Dès lors que tu auras signé les papiers en bonne et due forme, il va de soi que le conseil sera contraint de te donner des mois de répit si ce n'est des années pour que tu puisses rester. Mais je remarque que tu hésites encore.

Que dire ? Évidemment que j'hésitais. Il ne s'agissait pas de choisir entre deux pâtisseries sur l'étalage d'une boulangerie. Je choisissais mon destin, cela n'avait rien d'anodin. La sénatrice s'arrêta au troisième étage et me regarda droit dans les yeux.

— Je sais que tu vas mal le croire, mais moi aussi, j'étais perdue comme toi.

— Vous ?

Nous continuâmes à marcher jusqu'à arrivée à nos destinations respectives.

— Je viens d'une Colonie et quand mes parents sont morts, j'ai dû venir sur Ankor dans la cité d'Andromède à dix-huit ans vivre chez un oncle, que je ne voyais quasiment jamais. J'étais totalement perdue et cela se sentait dans mon comportement. Une vérité percutante m'a traversé un jour. Mes parents ne reviendront jamais. Il fallait que j'aille de l'avant. C'est la même chose pour toi, Gaïa. Oublie le passé, même si c'est déjà fait. Si quelqu'un te cherchait, il y a longtemps qu'il t'aurait trouvé. Maintenant, tout ce que tu peux faire, c'est avancer et démarrer une nouvelle vie. Vois ça comme l'opportunité de tout recommencer à zéro.

Tout le long de son discours, j'étais restée silencieuse. Elle s'excusa et s'éclipsa pour se rendre à une salle plus loin. Je m'empressais de remettre son portable à Grâce puis de rentrer directement à l'appartement, je n'aimais pas laisser trop longtemps Jupiter même si il avait de quoi s'amuser.

La sénatrice avait raison. Le seul problème dans l'équation, c'était moi. Au fond, suivre les ordres du commandant n'était pas le grand problème comme je m'efforçais de me le faire croire. La vraie raison était que j'avais peur de ma nature. Lorsque j'avais touché cette arme, un sentiment de joie et d'excitation avait prit place en moi. Et cette facette me faisait peur. Être Rangers impliquait que je devrais tenir une arme la majeure partie de mon temps et je n'avais pas envie de regoûter à cette joie destructrice. Soit, je ne savais plus qui j'étais, mais j'avais peur de m'en souvenir. Et si j'étais un monstre incontrôlable ?

Psychologiquement, je n'étais pas dangereuse, mais peut-être que l'amnésie avait effacé cette partie de moi. Peut-être que j'avais tué des gens au nom de conviction que je croyais juste. Les pires scénarios se faisaient dans mon esprit.

D'autre part, il fallait que je considère mon amnésie comme une seconde chance. Une vie de rédemption, même si la seconde vie ne m'absoudra pas totalement de la première. C'est bon, j'avais pris ma décision.

Ankor livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant