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Amélia, encore fatigué, tata la poche de son manteau. Mais où étaient passées ses clés ? Elle poussa un grognement de mécontentement tout en se passant la main dans ses cheveux rouges. Il faisait nuit noire. Comment pouvait-elle les retrouver dans de telles conditions ? Après quelques instants de recherches frénétiques, elle les trouva enfin dans la poche arrière de son jean. Elle les sortit avec un air de triomphe au visage, quittant momentanément son masque glacial et impérieux. Elle inséra ses clés dans la serrure de la porte et les tourna lentement. Deux coups brefs. "Pitié faites qu'il ne soit pas réveillé", pensa t-elle, en ouvrant la porte.

Malheureusement pour elle, il était. Elle poussa un soupir et avança, prête à affronter cet homme. Se tenant droit, bras croisés sur son torse, l'air sévère. Son père.

Il alluma la lampe du salon d'un geste brusque, son visage n'exprimant que fureur et déception. Elle cligna des yeux plusieurs fois, n'étant pas habituée à une lumière si aveuglante après autant de temps passé dans le noir.

- Bonjour papa, je suis heureuse de te voir aussi.

Il ne répondit pas, préférant contourner la table, dans une lenteur extrême, comme un lion prêt à attaquer sa proie. Il se posta devant elle en se raclant la gorge.

- Tu as encore fait le mur, constata t-il.

- T'es un génie, toi, dit-elle en levant les yeux au ciel.

Son père passa une main dans ses cheveux, ne préférant pas envenimer la situation. Ses traits autrefois souriants étaient devenus fatigués avec le temps. Ses rides prononcées formaient de grandes lignes horizontales, décuplant cette impression de fatigue. Oui, c'était cela, un homme triste et épuisé. Brisé par la vie.

- Va te coucher. On reparlera de ça plus tard.

- Cette délicate attention me touche, ironisa-t-elle main sur le cœur.

Ses cheveux lui retombaient au visage, devenu collant et poisseux à cause de la folle nuit qu'elle avait passé. La teinture rouge commençait à partir lentement laissant entrevoir des cheveux châtains. Elle passa sa langue sur sa bouche, desséchée à cause de la quantité de cigarette fumée ces derniers temps.

Autrefois, sa bouche fine et son nez en trompette lui avaient valu des regards envieux. Et ses yeux ! Ses yeux, d'un vert tacheté de jaunes, en laissait plus d'un étonné. Mais ce temps-là était révolu. Ses yeux n'étaient plus aussi jolis. Ils étaient devenus ternes et sans vie, ne laissant jamais apparaître aucune émotion. Et le souvenir d'un sourire sur ses lèvres n'était qu'un souvenir parmi tant d'autres. Cette vie qu'ils n'arrivaient pas à oublier, l'un comme l'autre, et qu'ils tentaient par tous les moyens de changer. Cette tentative s'était soldée par un échec.

L'un préférant se noyer dans le travail.

Et l'autre dans l'alcool, les fêtes et les clopes. Raffolant cette sensation d'ivresse, et d'étourdissement que cela lui procurait.

Il se retourna et attrapa une bouteille d'eau qu'il lui lança à la figure. Elle la rattrapa de justesse, manquant de se faire mal.

- Dessoûle-toi.

- Eh oh ! Ça va pas la tête ?

Il ne répondit pas, et revint s'asseoir sur la table. De nombreux papiers s'étaient accumulés dessus. Il devait finir avant demain. C'était son travail. Tout ce qu'il lui restait. À part sa fille. Et encore, il n'en était plus aussi sûr. Il passa son regard sur la paperasse et se décida enfin de les ranger en prenant une liasse.

Amélia le regarda étonnée. D'habitude, il lui reprochait son insolence, et elle continuait de répondre. Mais aujourd'hui, cela ne s'était pas passé de la même manière. Elle haussa les épaules et monta dans sa chambre.

AméliaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant