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Toute la rancoeur qu'elle avait accumulé contre son père se traduisait par des larmes. Elle ne parvenait pas à les arrêter, mais l'épaule ferme et à la fois douce de Tamara était d'une grande aide. Elle n'avait jamais réussi à parler de son père, ou même de sa mère à qui que ce soit. La seule personne à qui elle aurait aimé se confier avait préféré se renfermer sur elle-même. C'était donc la première fois qu'elle s'ouvrait vraiment à quelqu'un, et lui racontait les souvenirs les plus douloureux qu'elle avait. Des souvenirs qu'elle tentait de ne pas penser et qui la hantait pourtant jour et nuit. Elle aurait aimé que les choses se passent différemment. Entre elle et sa mère. Mais aussi avec son père. Mais les choses n'évoluaient jamais dans le sens qu'on le voulait, n'est-ce pas ? Elle était bien placée pour le savoir.

Tamara lui caressait doucement le dos et les cheveux d'un mouvement régulier qui l'apaisait. Andrew lui restait silencieux, ce qui n'était pas habituel. Quand Amélia sécha enfin ses larmes, elle se tourna vers lui. Il regardait au loin, le regard pensif. Elle essuya ses larmes du revers de sa main, et les regarda.

- Je suis désolée de vous ennuyer de toutes mes histoires, dit-elle en riant.

- T'excuses pas. Je suis contente que tu te confies enfin à nous, dis Tamara avec un sourire.

- Moi aussi, dit Andrew. Découvrir la vraie Amélia. Sous ce masque, et sous ses airs froids. Je suis heureux de découvrir que c'est une vraie personne. Avec des émotions et tout le bazar. Pas un robot sans émotions, comme je le pensais au début.

- Ah mince, on m'a grillée !

- Désolée ma belle, on ne dupe pas inspecteur Andrew.

- Excusez-moi d'avoir tenté de vous duper.

- Cela ne marche pas avec moi, mademoiselle. Non, plus sérieusement, je suis vraiment content que tu nous ai parlé un peu plus à coeur ouvert. Si tu as osé te confier à nous, cela veut sans doute dire qu'il y a une volonté de changer, n'est-ce pas ?

- Probablement...

- Raconte-nous ta relation avec ton père, demanda Andrew.

- Quand ça ? Avant la mort de ma mère ?

- Oui, avant.

- Nous avions de très bonnes relations... Oui, on s'entendait super bien. On riait ensemble, on parlait ensemble... Nous étions très proches. Évidemment, je n'étais pas aussi proche de lui que je l'étais de ma mère, mais je les aimais tous les deux de la même manière. Il m'emmenait souvent au parc plus jeune pour que je puisse jouer. Dès qu'il rentrait du travail, il me prenait sur ses épaules et on partait ensemble. Quand ma mère est tombée malade, il essayait de me sortir pour que je puisse me changer les idées. Ça marchait la plupart du temps. C'était un bon père. Aimant et affectueux. Il voulait le meilleur pour moi.

- Et comment ils étaient tous les deux ? Tes deux parents entre eux.

- Je n'ai jamais vu un amour aussi fort qu'entre eux, dit-elle après un certain temps. Ils étaient... Ce couple idéal dont tout le monde rêve. Il suffisait que vous les observiez tous les deux ensemble pendant quelques minutes, et vous voyiez la symbiose entre eux. Il y avait quelque chose entre eux... Quelque chose qui émanait d'eux. La définition même du bonheur, raconta t-elle en souriant. La définition même du bonheur... Je ne les ai vu se disputer qu'une fois avant la maladie de ma mère. Et puis après, les disputes étaient un peu plus fréquentes puisqu'elle avait arrêté tous ces traitements, ce que mon père refusait. 

- Tu lui en voulais d'avoir arrêter de se battre, demanda Tamara.

- Au début oui. Mais après... J'ai compris que même les plus forts d'entre nous ne gagnent pas toutes les batailles. Et il faut accepter l'échec, parce que c'est ce qui nous permet d'avancer. Et d'évoluer, de construire de belles choses. Mon père n'a pas voulu accepter cet échec. S'il l'avait fait, les choses auraient probablement été radicalement différentes. Mais peut être que ces médecins allaient vraiment la sauver ? Je ne sais pas. Je suis heureuse de l'avoir connu. Malgré le fait que cela ne soit que pour un court instant. Parce que lorsque je repense à elle, tout ce que je vois c'est son sourire radieux, et sa douceur. Et sa me rassure. Je ne sais pas si le paradis ou l'enfer existe. Est-ce qu'on se réincarne ? Est-ce qu'on redevient de la poussière ? Je n'en ai aucune idée. Et je ne cherche même pas à savoir. Parce que je suis sûre d'une chose. Elle est dans mon coeur.

- Et comment était ton père ? Après sa mort ?

- Lorsqu'il est revenu avec le corps de ma mère, il n'a même pas eu le courage de me l'annoncer. C'est une infirmière qui est venue me le dire. Il ne m'a pas parlé. Il était cloitré dans son bureau. Ou à la morgue. Il veillait sur son corps. L'infirmière m'avait demandé si je voulais voir son corps. J'ai répondu que je voulais voir mon père. Il a refusé de me voir. Et j'ai refusé d'aller voir son corps. C'était juste... Impensable. Je ne regrette pas mon choix. La voir vide d'expression, sans ce sourire qu'elle arborait toujours fièrement... Impossible. Mon père n'a recommencé à me parler que trois semaines plus tard, c'est à dire après l'enterrement. Où j'avais refusé de mettre les pieds d'ailleurs. Malgré les supplications de ma famille. Si mon père m'avait demandé d'y aller, je m'y serais probablement rendu. Mais il ne m'a rien dit. Il s'est contenté de me regarder, comme si je le décevais. Je ne voulais pas voir toutes ses personnes vêtues de noir me regarder avec pitié et me dire « toutes mes condoléances, c'était une femme charmante ». Non ! Ce n'était pas une femme charmante. C'était une femme pétillante, une femme pleine de vie, malicieuse ! Il ne la connaissait même pas... Mon père m'a adressé la parole qu'en rentrant de l'enterrement. Il m'a dit : « Qu'est-ce que tu veux manger ce soir ? ». Je l'ai juste regardé comme si c'était une autre personne. Ou était passé mon père ? Je lui ai répondu, et il a fait comme si rien ne s'était jamais passé. Comme si ma mère n'existait plus. C'est à ce moment la que notre relation s'est vraiment brisée.

- Tu ne lui en a pas voulu avant ?

- En amenant ma mère loin de nous ? Si, beaucoup. Mais au fond de moi, je me disais qu'il avait peut être raison. Qu'on allait finir par la sauver, et que tout allait rentrer dans l'ordre. Alors je ne lui en voulait pas tellement. Était-ce fou de vouloir la sauver à tout prix ? Il lui vouait un amour inconditionnel. Je lui en ai beaucoup voulu au départ, mais maintenant avec du recul, je comprends pourquoi il l'a fait. Il l'aimait à la folie. Mais ce que je lui pardonne pas, c'est de m'avoir ignoré pendant tout ce temps. Il n'a même pas pris la peine de s'excuser. Nous en avons même pas parlé. Rien de tout cela, juste comme si... Comme si elle n'avait jamais existé. J'aurais aimé qu'il exprime son ressentit. Qu'on pleure un bon coup ensemble. Mais rien de tout ça ne s'est passé, dit-elle en poussant un soupir. 

AméliaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant